Zofia. Pitié, pas elle. Tout le monde, mais pas elle. Bon d'accord, personne, ce serait encore mieux. Mais à la rigueur, si vraiment Raphaël devait supporter quelqu'un à cet instant précis, il apprécierait grandement qu'on procède à un échange. Il ne pouvait pas rester dans la même pièce que la jeune femme, c'était tout bonnement impensable. Il donnerait alors n'importe quoi pour qu'on l'en débarrasse - n'y voyez rien de méchant, c'était simplement par désir de ne pas vivre un moment trop difficile à nouveau - et ainsi qu'on lui colle quelqu'un d'autre. Parce que sa camarade était parvenue à l'embarrasser d'une horrible manière la semaine passée. Elle s'était montrée curieuse, insistante et même tactile. Tant d'éléments fâcheux qui avaient alors eu tendance à le mettre dans un état épouvantable. Il se souvenait même avoir durement bataillé pour ne pas pleurer, pour ne pas craquer désespérément. Et aujourd'hui, il n'avait clairement pas envie de revivre un tel moment. Ainsi donc, lorsqu'il vit sa camarade dos à lui, dans cette chambre où il passait relativement peu de temps, Raphaël songea à s'y éclipser aussi discrètement que possible, histoire que sa camarade n'en vienne même pas à penser qu'il ait pu s'y trouver à un quelconque instant. Mais ce plan des plus ingénieux - enfin, si on veut - était naturellement sans compter sur le fait que l'univers était visiblement décidé à lui pourrir la vie une fois de plus. Car tandis qu'il tenta de s'éclipser de la pièce, voilà qu'il trouva le moyen de heurter un meuble à l'aide sa chaussure. Ah ben bravo, il était bien embêté maintenant. Parce qu'évidemment, il ne fallut qu'une demie-seconde à Zofia pour se retourner brusquement et pour lui poser une question des plus déstabilisantes. Ça y est, ça recommençait. Bien évidemment embarrassé, Raphaël se surprit à laisser son regard admirer sa jolie camarade. Parce que oui, elle était jolie. Clairement. Et ça aussi, ça le mettait mal à l'aise. Parce qu'une telle tenue, pfiou, ça l'embarrassait grandement effectivement. « Cette robe est très belle » lâcha-t-il alors, les joues quelques peu rosies. Il passa une main contre sa nuque et soupira doucement. « Tu es très belle » reprit-il, cette fois-ci rouge écarlate. Voilà, à vouloir se montrer sincère, il s'embarrassait lui même. Finalement, peut être n'avait-il besoin de personne pour se causer du tort. En fait, c'était même certain.

A cet instant précis, Raphaël se maudissait profondément d'avoir trouvé le moyen de faire du bruit au moment très exact où il aurait justement fallu qu'il n'en fasse aucun. Quelle merde de hasard, tout de même, que sa chaussure ait tapé dans un meuble, alors qu'il essayait justement de s'éclipser de la salle dans un parfait silence. Du coup, il avait été repéré. Et quand on sait qu'il avait très peurde Zofia, l'on comprenait pourquoi il ne tenait pas spécialement à rester dans cette chambre, seul avec la jeune femme. Oui, il avait véritablement peur de sa camarade. Peur que cette dernière se décide aujourd'hui encore à se montrer insistante et oppressante à son égard. Car Raphaël gardait un mauvais souvenir de leur entrevue de la dernière fois. En l'espace d'une vingtaine de minutes, elle était parvenue à l'embarrasser terriblement, à le mettre si mal à l'aise qu'il se souvenait avoir eu envie de mourir ce fameux jour. Visiblement, sa camarade avait bien compris où se situaient les nombreuses faiblesses du jeune homme, qui avait été à sa merci quelques jours plus tôt et qui n'avait pas la moindre envie de revivre un moment aussi déplaisant. Alors, que pouvait-il faire ? S'enfuir de là en courant ? Non, il ne se voyait pas abandonner sa camarade alors qu'elle s'adressait à lui. Elle n'avait peut être pas nécessairement l'intention de le persécuter aujourd'hui. C'est en tout cas ce qu'il tâchait de se dire, histoire de ne pas être véritablement tenté de quitter les lieux, ce qu'il trouverait tout de même particulièrement irrespectueux. Pour une fois, il avait envie de croire que quelqu'un pouvait ne pas lui vouloir du mal. Oui, même s'il s'agissait de Zofia, à savoir de la demoiselle qui avait probablement adoré le voir si mal à l'aise la dernière fois. Quoi qu'il en soit, il venait de faire savoir à Zofia que la robe qu'elle portait été très belle, étant même allé jusqu'à dire qu'elle même l'était. Et du coup, il n'avait pu s'empêcher d'en rougir. Parce qu'il n'était pas un expert pour ce qui était de complimenter. Et également parce qu'une telle tenue le troublait. Sa camarade disait alors être convaincue de la garder. Il ne répondit rien et se contenta de se demander ce qu'elle lui réservait désormais. Il eut bientôt une réponse. Car voilà qu'elle se tourna, lui montrant son dos - entre autres choses, dirons-nous - et lui demanda visiblement de l'aider à ficeler sa robe. Il arqua un sourcil. Cette tâche nécessitait réellement son intervention ? Bien. Raphaël s'approcha alors, commençant délicatement à s'occuper des ficelles de cette jolie robe. Il lui fallut deux petites minutes pour en venir à bout, tâchant de ne pas trop trembler sur la fin. « Je pense avoir terminé » articula-t-il alors, faisant un ou deux pas en arrière pour réduire leur proximité. « Je suis désolé, mes mains ont peut être effleuré ta peau, et on me dit souvent qu'elles sont glacées. » Tiens donc, comme celles d'un mort.

Il va de soi que Raphaël ne manqua pas d'être franchement embarrassé par la demande de sa camarade. Celle-ci l'avait alors prié de l'aider avec l'arrière de sa robe, qu'elle peinait visiblement à attacher toute seule. Bon, il est vrai qu'à en voir toutes ces ficelles, il ne devait pas être aisé de se débrouiller seule. Pour autant, il aurait préféré qu'elle s’abstienne de lui demander de l'aider, parce qu'il n'avait pu qu'être extrêmement gêné à l'idée de devoir se tenir tout près de Zofia, histoire de l'aider avec sa robe. Mais il n'avait pas pu le lui refuser, étant donné qu'il était plutôt serviable de nature. Ainsi donc, il s'était placé dans son dos, et de ses mains assez délicates, il avait commencé à faire en sorte que tout ce petit bordel se tienne tranquille. Et le résultat était loin d'être foireux, à ses yeux. Pour une fois qu'il était presque satisfait de lui, ça changeait. Surtout que bon, il s'était débrouillé pour faire ça le plus rapidement possible, assurément motivé par le fait de pouvoir retrouver sa place une fois cette tâche terminée. Voilà pourquoi Raphaël ne tarda pas à reculer de quelques pas lorsqu'il eut terminé de s'attarder sur cette jolie robe. Pour autant, il ne pouvait maintenant s'empêcher de culpabiliser à l'idée que ses mains froides aient pu entrer en contact avec la peau de la jeune femme. Il n'était même pas question de sa gêne à cet instant précis, mais bien de la désagréable sensation qu'elle avait pu connaitre si par mégarde il avait effectivement touché sa peau avec ses mains glacées. Sa camarade lui assura alors que ses mains étaient "correctes". Honnêtement, il ne sut pas tellement comment prendre cette remarque. Sans doute comme un compliment. Mais s'agissant de Zofia, il préférait en douter. Ainsi donc, il se contenta de rester muet, ne réagissant même pas gestuellement. Disons qu'il n'avait rien entendu, hm. Il vit bientôt sa camarade sautiller sur son lit, puis semblant l'inviter à l'y rejoindre. Il hésita un court instant, avant de s'y rendre, toutefois sans se presser, et à la manière d'un condamné à mort qui rejoindrait la chaise électrique. Il se posa à ses cotés, clairement gêné, mais tachant pour une fois de ne rien laisser transparaitre. Espérons qu'il y parvienne. Sa camarade lui posa alors une question. Une question assez embarrassante. Pourquoi cherchait-elle décidément à voir en lui quelqu'un pouvant avoir un grain de folie ? Il n'en avait pas, c'était évident. Pour autant ... « Si je te le disais, tu me prendrais pour le type le plus dérangé au monde. Et je sais que tu te plairais à utiliser ça contre moi. Je le sais. » Il posa son regard sur elle un court instant avant de baisser la tête. Il ne pouvait pas le lui dire. S'il le faisait, il signerait son arrêt de mort, c'est évident.

La chose la plus folle que Raphaël avait voulu faire dans sa vie ? Honnêtement, il y en avait plus d'une. Il passait peut être pour quelqu'un d'extrêmement sérieux, de coincé, et nul doute qu'il l'était, mais le fait est qu'il avait parfois envie d'être autre chose, de faire preuve d'un peu plus de folie, d'un peu plus de spontanéité. Ainsi donc, et comme n'importe qui, il lui arrivait d'avoir envie de se montrer un peu fou, sans se soucier des conséquences. Pour autant, il ne se voyait pas répondre simplement à la question de sa camarade. Il eut été tenté de le faire durant une demie-seconde, mais la réponse qu'il avait failli formuler à voix haute aurait pu le placer dans une situation pour le moins délicate. Parce que bon, sa camarade semblait tout de même se plaire à appuyer là où ça faisait mal, en analysant ce qu'il faisait, ce qu'il était, pour assurément s'en servir contre lui par la suite. Pourtant, elle sembla quasiment s'offusquer qu'il puisse penser une pareille chose. Alors quoi, elle ne se voyait pas de la sorte ? Avait-elle déjà oublié la fois où elle avait bien failli le faire pleurer, simplement parce qu'il lui avait grandement plu, sur le moment, de tester la résistance de Raphaël au fait d'être touché ? A noter qu'il n'avait pas dit qu'elle était méchante. « Méchante, non. Sadique, plutôt » rectifia-t-il alors, clairement embarrassé par la manière dont sa camarade avait visiblement tendance à prendre la chose. Assez mal, non ? Ou alors, elle s'en fichait juste éperdument. C'était probable également, hm. « Ce sont des menaces ? » qu'il reprit, d'une petite voix, un sourcil arqué. Il avait l'habitude, mais tout de même, venait d'une jeune femme, c'était assez déstabilisant. Bon, peut être que ses tendances paranoïaques étaient pour beaucoup dans sa manière de comprendre la situation. Mais Raphaël ne comprenait pas pourquoi Zofia semblait tant se plaire à jouer avec lui, avec ce qui clochait chez lui. Elle n'était pas méchante, tout comme elle n'était pas une ordure. Mais elle l'effrayait, c'était déjà beaucoup. Beaucoup trop. Sa camarade lui confia alors qu'elle aimerait escalader l'Everest et crier au sommet de celui-ci le plus fort possible. Leurs regards se croisèrent. Cette fois-ci, Raphaël soutint celui de sa camarade. Il ne baissa ni les yeux, ni la tête. « Et si je le pouvais, je tuerais mes voisins et le mari de ma sœur, je quitterais mon appartement, ma ville, mon pays, pour m'enfuir loin, très loin, en ayant déterrée ma mère pour l'emmener avec moi, sur une terre où nous ne serions que tous les deux, où personne ne pourrait me faire du mal, où personne ne pourrait se mettre entre nous, pour retrouver notre ancienne complicité, avant de me donner la mort. » Tout au long de son récit, il avait gardé son regard ancré à celui de sa camarade. Ce n'est qu'une fois après avoir terminé qu'il le posa ailleurs. Et bien oui, il lui avait bien dit qu'elle le prendrait pour le type le plus dérangé au monde. Ce qu'il était probablement, hm.

Zofia n'était pas méchante. Elle était simplement sadique, voir un poil perverse. Mais ça n'était probablement pas de la méchanceté. Du moins, l'esprit de Raphaël n'avait pas envie de s'en convaincre. Il trouvait l'attitude de sa camarade dérangeante et oppressante, mais il n'avait pas envie de se dire que cela pouvait simplement émaner d'une grande méchanceté. Sa camarade avait peut être simplement envie de s'amuser avec lui, comme avec un jouet, histoire de tester ses réactions, de voir jusqu'où il pouvait tenir avant de s'effondrer. Parce que s'il commençait à se dire que c'était de la pure méchanceté, soyez sûrs qu'il ne tiendrait pas longtemps ici. Il passait suffisamment de temps à se questionner sur les intentions de ses semblables pour ne pas en rajouter une couche en partant du principe que tout le monde devait tout le temps être méchant à son égard. Mis à part cela, il craignait tout de même un tantinet que sa camarade soit en train de le menacer. Si les menaces pouvaient ne pas fonctionner sur la plupart des gens, sachez que cela avait fortement tendance à paniquer Raphaël. Pour le coup, il en viendrait presque à se demander s'il n'aurait pas du la considérer comme quelqu'un de méchant, au final. Pourtant, elle ne répondit pas à sa question, se contentant de prétendre qu'elle mordait. Que devait-il donc comprendre ? Que sa camarade se fichait de lui, et donc que ça n'étaient absolument pas des menaces ? Espérons-le. Il se contenta alors de passer à la suite. Une suite bien peu réjouissante, puisqu'il en vint à parler de la chose la plus folle qu'il aimerait faire. Et cette chose était effectivement folle. Bien plus que ça, même. Le fait est que Raphaël nourrissait une certaine rancœur à l'égard de quelques personnes. Aussi, sa défunte mère lui manquait. Et puis il y avait évidemment le fait qu'il ne se sente pas en sécurité là où il se trouvait, et qu'il serait assurément mieux loin de ses semblables. Du coup, il n'avait pu s'empêcher de sortir tout cela à sa camarade, d'une manière un peu inquiétante probablement. Il ne se voyait de toute façon pas enjoliver les choses, hm. Il se demanda alors comment réagirait sa camarade. Est-ce qu'elle rirait de lui ? Est-ce qu'elle demanderait à la Production de le virer du jeu ? Est-ce qu'elle allait simplement hausser les épaules, comme si ses propos étaient tout à fait normaux ? Rien de tout cela. En effet, Zofia se mit plutôt à lui poser une ribambelle de questions. Le visage du jeune homme se crispa alors légèrement. Elle voulait des détails ? Et bien figurez-vous qu'il n'avait pas tellement envie de lui en donner. Ce serait se mettre dans une pénible situation. Il n'avait assurément pas besoin d'empirer celle-ci. « Je ne peux pas expliquer tout ça. C'est trop dur, trop pénible. Il y a tant de choses à dire ... Des choses dont je n'ai pas nécessairement envie de parler. Est-ce que ... est-ce que tu peux comprendre ça ? » Peut être bien qu'elle ne pouvait pas, mais ça n'empêchait pas Raphaël de l'espérer.