Raphaël avait récemment pris une grande résolution. Oui vraiment, il en avait pris une. Une résolution qu'il comptait alors bien tenir. Sachez qu'il avait décidé de ne plus être ridicule. Il n'en pouvait plus de passer pour un idiot en permanence, d'être gêné à la moindre occasion et de subir les railleries de ses semblables. Aujourd'hui, et même si ça ne durait finalement que le temps d'une courte journée, le jeune homme avait véritablement envie de s'abstenir de faire quoi que ce soit qui pourrait assurément le placer dans une situation des plus délicates. Par exemple, il n'allait pas refaire la conversation à la chèvre de la ferme, chose qui lui avait pour sûr valu de passer pour un imbécile aux yeux de Tris, la semaine passée. Il faut dire qu'il se sentait terriblement seul, et que sa profonde solitude avait bêtement tendance à lui laisser croire qu'une malheureuse chèvre serait alors disposée à comprendre son malheur. En ce jour, il se contenterait d'observer l'animal, qui restait pour le moins fascinant à ses yeux. Il ne lui parlerait pas. Non, il ne lui adresserait pas le moindre mot. Il se l'était promis, après tout. Et il ne pouvait pas, en plus de se torturer mentalement au quotidien, se permettre en plus de ne pas tenir une promesse qu'il s'était fait à lui même. Il était masochiste, mais pas à ce point. Quoi qu'il en soit, et tandis qu'il admirait véritablement la chèvre, il sentit comme une présence dans son dos. Pour le coup, qu'importe qui venait de débarquer, il n'avait pas de quoi rougir. On ne venait pas de le surprendre en pleine conversation avec un animal, alors tout allait bien. Pour le coup, cela le mettait presque de bonne humeur, et le rendait presque sociable. Surtout qu'il avait maintenant à ses cotés un jeune homme à qui il ne se souvenait pas d'avoir déjà adressé la parole. Pour autant, son visage lui disait quelque chose. Et justement, tout lui revint soudainement à l'esprit. « Tu es en couple avec Sven, non ? » demanda-t-il alors. Oui, Raphaël avait toujours trois trains de retard. Mais il le vivait bien. « C'est quelqu'un de bien » reprit-il, dans l'esquisse d'un sourire. Il ne savait pas pourquoi il lui disait tout ça. Sans doute parce qu'il tâchait de faire la conversation, hm. Mais il va de soi qu'il était sincère.

C'était une question parfaitement idiote, hm. Demander à ce jeune homme s'il était en couple avec Sven alors que tout le monde ne parlait que d'eux, pour en plus enchainer en affirmant que Sven était quelqu'un de bien, disons que ça n'était pas franchement logique. Mais c'était bien souvent comme cela avec Raphaël. Se montrer sociable n'avait rien d'aisé, et cela était même particulièrement difficile à certains moments. Et la pression qu'il se mettait présentement avait tendance à le déstabiliser légèrement, et ainsi à le pousser à poser des questions dont tout le monde se serait assurément passé, à commencer par Joshua. Ce dernier prit tout de même la peine de lui confirmer qu'il était en couple avec Sven, tandis qu'il ne tarda pas à demander à Raphaël si celui-ci connaissait ledit jeune homme. Sur le coup, il ne comprit pas tellement le sens de cette question, se demandant ce que cela venait faire là, vu qu'en plus il paraissait évident que puisqu'il parlait de lui, il le connaissait un minimum. Mais justement, c'est à cet instant précis qu'il comprit. Joshua cherchait probablement à savoir comment Raphaël pouvait être amené à certifier que Sven était quelqu'un de bien, alors qu'il ne devait le connaitre que depuis quelques jours. Après, il était fort probable qu'à l'image de la question qu'il avait posé tout à l'heure à Joshua, cette question-ci ne nécessite pas tellement de réponse non plus. Mais puisque son camarade avait malgré tout fait l'effort d'en formuler une un peu plus tôt, Raphaël décida de faire de même. « J'ai eu l'occasion de discuter avec lui, la semaine passée » commença-t-il alors par formuler, repensant subitement au fait qu'il ait d'abord était particulièrement gêné par l'entrain de son camarade, avant de s'être senti plutôt en sécurité à ses cotés. « Il s'est montré aimable et bienveillant. Et je dois dire que sa vitalité m'a fait beaucoup de bien. Et puis, il n'avait pas l'air de se moquer de moi. Je l'ai senti sincère. » Il s'arrêta net, constatant qu'il n'était pas nécessairement utile de résumer tout cela à Joshua qui, honnêtement, devait un petit peu s'en foutre. Il lui adressa alors un sourire quelques peu gêné. « Vous êtes assez différents l'un de l'autre, n'est-ce pas ? » demanda-t-il finalement, un peu trop curieux probablement. Parce qu'en soit, tout cela ne le regardait pas. Mais il avait tendance à s'intéresser à ce couple. Comme il s'intéressait à beaucoup de couples, en réalité. Vivre l'amour par procuration, il savait très bien faire.

Raphaël n'était personne pour affirmer que Sven était ou non quelqu'un de bien. Il ne le connaissait que depuis quelques jours, n'avait eu le temps que de se faire une première opinion de sa personne et n'était donc pas tellement bien placé pour faire part de ladite opinion au compagnon de celui-ci. Pour autant, il n'avait pas nécessairement l'impression de tenir des propos inappropriés. Certes, il ne connaissait pas suffisamment Sven pour affirmer que celui-ci était véritablement quelqu'un de bien, mais puisque leur entrevue de l'autre jour était parvenue à lui faire du bien, il ne se voyait pas penser autre chose de son camarade. Et sans doute essayait-il de faire comprendre à Joshua qu'il avait de la chance d'avoir quelqu'un d'aussi plaisant dans sa vie. Sauf qu'il ne se permettrait jamais de le formuler clairement. Déjà parce que leur vie de couple ne le regardait pas, mais également parce qu'il pourrait se méprendre et qu'il se passerait volontiers de tout quiproquo. Surtout que Joshua semblait être sympathique également. Un peu plus discret, mais plutôt souriant. Sa présence ne gênait pas tellement Raphaël, en tout cas. Et c'était une sorte d'exploit, quand on sait que ce dernier était facilement embarrassé. Quoi qu'il en soit, les dires de Raphaël semblèrent laisser Joshua légèrement perplexe. Sans doute ce dernier ne comprenait-il pas pourquoi Raphaël avait indirectement insinué que Sven aurait pu se moquer de lui. Là, il était bizarrement un peu moins à l'aise. Mais c'était de toute manière le cas chaque fois qu'on en venait à évoquer ses "problèmes". « Je suis paranoïaque. Chez moi, c'est une véritable pathologie. J'ai sans cesse l'impression d'être surveillé, jugé, critiqué. Alors je pars perpétuellement du principe qu'autrui est malfaisant et qu'il ne vit que pour se moquer de moi. C'est pitoyable, je sais, mais c'est vrai. » Ainsi donc, il était malheureusement bien souvent amené à penser qu'on pouvait se plaire à rire de lui. Il semblait présentement prendre conscience de sa paranoïa, mais ça n'était hélas pas toujours le cas. Généralement, il lui arrivait même de nier ses symptômes. Pour en revenir à Sven et Joshua, ils semblaient pour le moins différents. Une bonne chose sans doute, puisqu'on dit souvent que les contraires s'attirent. Oui bon, on dit aussi de même pour ceux qui se ressemblent, mais bon ... Joshua disait alors qu'ils se complétaient. Un petit sourire naquit alors sur les lèvres de Raphaël, qui le laissa poursuivre. Le Ying et le Yang ? Hm, il voyait où Joshua voulait en venir. Mais tandis qu'il s'apprêta à répondre, Joshua lui proposa une cigarette. Gnah, toujours ce même problème. « Je fumais. Je ne fume plus aujourd'hui » avoua-t-il alors. Il n'allait pas lui dire ce qu'il avait dit à Jared, parce qu'il savait que sa vie était aussi passionnante que les vingt premières minutes de Titanic. « Tu aimes Sven ? » Gné, question foireuse. Commande "annuler". Pas de réponse. Erreur fatale. Merde. « Pardonne-moi. Je ... je ne sais pas comment j'ai pu oser ... Je m'en veux, je suis vraiment navré. » Ah ça pour l'être, il l'était. Que la chèvre le tue, ou il le ferait lui même.

Pitoyable était un mot qui se faisait hélas des plus fréquents dans le vocabulaire de Raphaël. Il utilisait ce mot tantôt pour se qualifier, tantôt pour qualifier ses pensée, ses actions ... En gros, il l'utilisait toujours pour faire référence à ce qu'il était, à savoir quelqu'un de pitoyable. Et ce qui était pitoyable, également, c'était assurément d'être aussi paranoïaque. Il ne pouvait passer un seul jour de sa misérable existence sans en venir à redouter que quelqu'un lui fasse du mal, d'une quelconque manière. Parce que depuis quelques années, Raphaël se persuadait bêtement que ses semblables ne vivaient que pour lui causer du tort, que pour lui nuire, que pour s'acharner sur le peu de choses qu'il était. Alors oui, à ses yeux, tout cela était fortement pitoyable. Mais son camarade, quant à lui, ne semblait pas tellement d'accord avec lui. En effet, Joshua lui fit savoir qu'il était plutôt normal de penser d'une telle manière dans un monde tel que celui-ci. Pour le coup, il avait tendance à être assez d'accord avec son camarade. Parce qu'effectivement, ce monde était effrayant. Les gens passaient leur temps à se juger, à vouloir du mal à leurs semblables. Pour autant, il y avait un détail qui devait échapper à Joshua mais qui avait malheureusement une grande importance dans une telle réalité. « Il y a des jours où je ne peux même pas ouvrir les volets de mon appartement, simplement parce que j'ai peur de l'extérieur, de tout ce qui le constitue. Comme si j'allais m'exposer à un quelconque danger en laissant simplement les rayons du soleil illuminer mon séjour. Comme s'il était possible que des gens aient grimpé jusqu'à mes fenêtres dans la nuit pour mieux m'attaquer au petit matin. Chez moi, je me sens comme en sécurité. Pourtant, il m'arrive d'avoir peur de mon reflet dans le miroir, ou même de mon ombre. » Il poussa un soupire, ne sachant pas tellement pourquoi il lui racontait tout ça. Sans doute parce qu'il lui fallait prendre conscience de la gravité du problème et qu'il y parviendrait plus aisément en faisant part de celui-ci à quelqu'un. « Alors je ne pense pas que mes propos soient aussi justifiés que cela. Et je ne peux pas m'empêcher de me reprocher une chose : avoir laissé ma paranoïa prendre des dimensions dramatiques, au point de ne plus pouvoir vivre sereinement. » Il n'avait plus été serein depuis un bon moment, tant il se sentait menacé, persécuté ... Une vie terrible, voilà ce qu'il devait supporter. Mais tandis que son camarade lu proposa une cigarette qu'il ne put que refuser - il ne fumait plus à ce jour - voilà que Raphaël fit preuve d'une maladresse impensable en posant une question très malvenue à Joshua. Tout cela ne le regardait pas, c'est évident. Et il s'en voulait terriblement désormais. Son camarade prit en tout cas la décision de changer de sujet. Hm, peut être était-ce effectivement préférable. « J'ai vingt-trois ans » avoua-t-il alors, toujours embarrassé. « Est-ce que c'est important ? » reprit-il, se demandant pourquoi il venait de lui poser une telle question. Une question toutefois moins inappropriée que la sienne, hm.

Que conclure du petit discours de Raphaël au sujet de ses troubles et de ses phobies ? Et bien, qu'il avait peur de tout et de tout le monde. Au fond, ça n'était pas franchement nouveau. Il avait une peur panique de ses semblables, de tout ce qui pouvait l'entourer, et ce depuis déjà de longues années. Comment avait-il pu en arriver là ? Excellente question. Une question qu'on avait déjà du lui poser quelques dizaines de fois, et à laquelle il n'avait jamais été tellement capable de répondre. Ici, Joshua ne semblait pas partir à la pêche aux infos, et Raphaël lui en était intérieurement reconnaissant. Ce qu'il disait était d'ailleurs vrai. Il parlait alors d'une personne, comme si quelqu'un était à l'origine de l'état critique de Raphaël. Allez savoir, peut être effectivement qu'un individu était responsable de tout cela ? Peut être que cet individu lui avait ôté son humanité, en l'ayant transformé en quelqu'un d'extrêmement craintif, de psychotique par moments ... Oui, peut être bien. Aux paroles de Joshua, le visage de Raphaël se décomposa quelques peu. Entendre toutes ces choses avait tendance à le bouleverser. Il pensait tellement, à l'intérieur de son esprit, qu'il n'avait pas tellement pour habitude d'entendre ses semblables commenter ses troubles, les analyser. C'était pourtant le cas depuis qu'il était ici. Mais Joshua était assurément celui qui s'y prenait le mieux. Il ne le noyait pas sous une montagne de question douloureuses, comprenait certaines choses que beaucoup ne devaient probablement pas imaginer ... Vraiment, et même si ce discours mettait Raphaël clairement mal à l'aise, c'était plutôt plaisant de tenir une telle conversation. « Tu sais ... ça m'aide d'entendre ces choses-là » articula-t-il alors, la mine attristée mais l'esprit pour le moins apaisé. Il devait comprendre que ses problèmes ne venaient pas nécessairement de lui, qu'il n'était pas nécessairement le seul coupable, le seul responsable. Par la suite, et après que Raphaël ait posé une question bien maladroite et malvenue à son camarade, celui-ci le questionna au sujet de son âge. Question qui sortait un peu de nul part, mais qu'importe. Raphaël révéla alors qu'il avait vingt-trois ans, ayant droit à un sourire rassurant de la part de son camarade. Mais pourquoi une telle question ? Visiblement, simplement pour changer de sujet. « Je vois. Dans ce cas, et puisque je ne sais pas du tout quoi dire pour en lancer un autre, peut être pourrais-tu me révéler ton âge également ? » Oui, ce serait au final une conversation des plus passionnantes. Il le savait, oui oui.