Posément, le regard de Deirdre allait de Blaise à Leone, et de Leone à Blaise. Si la fragile poupée ne concevait pas toujours tout du monde qui l'entourait, il y avait quelques détails, quelques perceptions, qu'elle comprenait, et même qu'elle possédait, avec la même pertinence que le commun des mortels. En l'état, elle avait tout à fait conscience qu'elle aurait pu s'enfouir sous les draps et les laisser, là, s'échanger autant de mots que de regards. Mais puisqu'elle avait fait le choix de se manifester et que Blaise lui-même semblait ne pas se remettre du tempérament de la jeune irlandaise, elle ne fit rien qui put faciliter leurs échanges par sa propre absence. Au contraire puisque, pour une fois, Deirdre crut bon d'intervenir s'agissant de ses caractéristiques de mur un brin philosophe. « Ce constant besoin de parler pour le seul plaisir empathique de s'écouter... C'est une singulière masturbation, je trouve. » Tout ce temps, Deirdre n'avait pas exactement parlé à Blaise. Comme souvent, elle semblait s'adresser au vide, et au silence. Et puis, quelques rares fois, elle s'adressait bel et bien à quelqu'un, et c'était exactement ce qu'il s'était passé avec Leone. Le jeune homme, d'ailleurs, fût on ne peut plus tactile, mais ce fût pas pour faire fuir la jeune fille. Combien pouvaient décemment en dire autant, hm ?... « Ce n'est pas grave, assura-t-elle comme Leone s'adressait déjà à Blaise. » Ce matin-même, elle avait pris une douche si glacée que ses tempes hurlaient encore, tant et si bien que le traitement qu'elle s'infligeait ne semblait pas mériter tant de considération. Et comme Leone esquissait le geste de s'y rendre lui-même, Deirdre attrapa son poignet. « J'ai abusé des robes d'été dans la neige, lâcha-t-elle encore pour le néant. Le cœur humain faiblit de dix à vingt pourcents lors des chocs de température... Parfois, on finit même avec la sensation de suffoquer. » Elle sembla revenir au propre de l'instant. « Mais ça ne dure jamais plus d'une demi seconde. Jamais plus... »

▬ Celui qui me passera la corde au cou n'est pas encore née. Répondis-je tout simplement à l'habitant.


Étrangement, Leone m'était sympathique. Il avait un sens de la répartie qu'une bonne partie des habitants ne semblaient pas possédé où en était tout simplement amputé... Emergeant de son silence mortuaire, Deirdre me lança une joute verbale qui n'eut pour seul effet que de me faire sourire. Décidement, elle était hors-du-commun elle aussi et peut-être pas dans le bon sens du terme.

Celle-ci continuant de parler - ce qui me semblait assez extraordinaire ( peut-être la fièvre ) - le brun me demanda d'aller humidifier un gant de toilette pour la philosophe... Après un instant d'hésitation, je choisit d'obtempérer. Après tout, si je m'étais retrouvé dans la même situation qu'elle j'aurais aimé qu'on m'aide. Enfin, peut-être...

C'est après quelques secondes d'abscence que je revins donc le gant de toilette à la main que je tendis à Leone, et je préférais pour une fois rester silencieux...

Le jeune homme remercia Blaise d’un sourire. Finalement il était moins con que ce qu’il aurait pu penser. Concentré, Leone retourna auprès de Deirdre, se penchant au dessus d’elle. Il prit soin de lui dégager le front de ses longs cheveux bruns puis appliqua d’une grande délicatesse le gant de toilette sur l’ensemble de son visage. Une fois la tâche terminée, il l’essora faisant ainsi tomber les dernières gouttelettes d’eau fraîche le long de son cou fragile. La fille d’Apollon demeurait un mystère complet pour lui. Il ne savait pas pourquoi elle s’infligeait une telle torture, regrets du passé ? Culpabilité oppressante ?

« Ne recommence plus. » Lui dit-il attentionné, sachant parfaitement qu’elle ne tiendrait pas compte de son avis. Il semblait avoir trouvé le parfait compromis entre infirmier et voleur.

Il retourna à sa place initiale, allongé sur l’oreiller de Camille, avant de dévisager Blaise de son regard azur. Intéressé, il demanda :

« Toi qui n’as fait preuve d’aucune bonne volonté le soir de ton arrivée, ton intégration au sein du jeu se déroule bien ? Tu trouves tes repères ? »

Effectivement, Deirdre recommencerait. Que ce fût de l'avis de Leone ou de l'avis de tout, elle ne tiendrait rigueur d'aucun jugement, d'aucun conseil et surtout d'aucune bienveillance. Parce qu'elle pensait agir pour de fondées raisons, rien ne l'aurait empêchée d'agir comme elle le faisait, qu'importe que cela impliquât de douloureuses conséquences pour son organisme. Bien au contraire, même. A ce titre, elle ne fit preuve d'aucune reconnaissance particulière à l'égard des deux hommes. Un temps, Deirdre dévisagea Blaise qui, semble-t-il, devait combattre une nature (ou des a priori) pour obtempérer simplement. Puis elle observa Leone des plus attentivement, alors qu'il réalisait son ouvrage. Glacée par le contact de l'eau, elle se laissa faire, grisée. Il n'y comprenait rien, mais il n'en agissait pas moins pour autant. Bien au contraire. Et ce n'était même pas qu'elle fût vraiment ingrate. Non, elle méconnaissait seulement la reconnaissance en l'état. Elle était là, lui aussi. Rien de plus. Aussi se tut-elle, pour simplement les écouter, Blaise et lui. Puisque Leone semblait s'intéresser au jeune homme, elle fit le choix de ne pas intervenir, parfaitement allongée qu'elle était au milieu de ses draps. Un temps, elle fût même capable de fermer les yeux et, là, de trouver une sorte de semi coma qui l'enveloppa doucement, protecteur. Elle entendait encore, parfaitement consciente, mais elle ne dit rien. De toutes les façons, sa fièvre bataillait encore ardemment, monopolisant nombre de ses divagations.

Le jeune homme semblait vraiment attentioné à l'égard de la brune, presque comme un frère l'aurait été avec sa plus jeune soeur. Celle-ci semblait à peine supporter l'attention qu'on lui portait même si il était indéniable que l'aide qui lui était apporté la soulageait, ne fus-qu'un tout petit peu.

À force d'être solitaire, j'en avais presque oublier que ce genre de connexion pouvait exister, que des gens pouvaient être attentionné... La voix du brun me sortit de mes pensées et je me contentais de lui répondre de la manière la plus franche possible.


▬ J'ai juste voulu être moi-même, et visiblement ça n'a pas plut à tout le monde... Mais je m'en contre balance, je ne suis pas venu ici pour me faire aimer de tous, y a longtemps que j'ai abandonné ce genre d'utopie. Expliquais-je simplement. Mis-à-part ça, je pense que oui, petit à petit je trouve mes marques dans la maison et avec certains habitants. Visiblement, je n'ai pas eu l'effet douche froide sur tout le monde.


Je terminais par un leger sourire avant que mon regard ne se pose sur la malade qui semblait l'espace d'un instant s'être assoupie.


▬ Je sais que ça va surement te paraître bizarre comme question...Mais... Pourquoi tu prends soin d'elle comme ça?

Blaise vivait son aventure comme il l'entendait. Effectivement Leone n’avait pas apprécié la façon dont il s’était comporté lors de son arrivée, prenant les candidats de haut. Le jeune Américain partageait un tout autre point de vue mais ne remettrait pas en cause celui de son nouveau colocataire.

« Tu es libre de tes actes à partir du moment où tu es en mesure d’en assumer les conséquences. » Se contenta-t-il de répliquer d’un ton neutre. Il n’avait pas l’intention de se donner la peine d’expliquer à Blaise son opinion.

Le beau brun surveillait Deirdre du coin de l’œil. Elle était sereine, peut-être venait-elle de s’endormir ? Se tournant vers le garçon, il ne pût s’empêcher de sourire à sa question. Amusé, Leone répondit :

« J’espère que toi aussi tu sauras te montrer attentionné avec les candidats que tu apprécies. »