“ I stood for nothing,
so I fell for everything ”

feat. celse

Il fallait bien avouer que ça n'était pas franchement simple à suivre, toute cette histoire. Car voilà qu'alors qu'au début du prime de l'avant-veille Freddie avait appris qu'elle serait menottée à Camille pendant toute la semaine et qu'il ne lui en avait pas fallu beaucoup plus pour commencer à penser à l'organisation dont il leur faudrait faire preuve pour s'en sortir, son camarade avait préféré refuser, apparemment peu disposé à être confronté à ce genre de situations en ce moment, lui qui semblait vouloir régler certaines choses avec quelques uns de leurs camarades, et sans l'avoir dans les pattes. Comprenez bien qu'elle le concevait, et qu'elle ne lui en avait même pas tenu rigueur. Car bien qu'il soit possible que leurs cagnottes en souffrent, Freddie voyait le bon coté de la chose : elle n'aurait pas à rester près de lui lorsqu'il soulagerait ses besoins et vice versa. Alors elle s'était rendue dans la salle de sport au petit matin, elle qui était pourtant généralement aussi sportive qu'une spatule à pizzas mais qui avait manifestement eu envie de profiter d'une façon inattendue du fait d'être plus que jamais libre de ses mouvements. Oui enfin, entendons-nous bien, elle n'allait pas non plus préparer les J.O et se contenterait de quelques foulées sur le tapis de course, ce qui pour elle équivalait approximativement à un entraînement acharné, soyons clairs. Ainsi elle se mit en route mais ne tarda pas à entendre quelqu'un la rejoindre, elle qui aurait pourtant juré que pas grand monde n'avait généralement le courage de venir ici avant la pause déjeuner. Et pourtant, Celse était là. Celse, qui avait peut être eu un peu de mal à suivre l'histoire des menottes lui aussi, et le fait qu'elle ait tout de même trouvé le moyen de découcher l'autre soir alors que rien ne l'y forçait. Le fait aussi qu'elle ait pu sembler un tantinet accusatrice, sans avoir nécessairement eu l'intention de l'être. Toujours est-il qu'il était là et qu'à le voir s'approcher, elle en profita pour ralentir le rythme de ses enjambées. « De deux choses l'une, soit j'ai sous-estimé ma souplesse et tu t'apprêtes à me dire que tu me trouves gracieuse à souhait sur ce tapis de course, soit - et c'est déjà plus probable - tu es sur le point de me demander si je n'ai pas en réalité soixante-quinze ans, et dans ces cas-là je préférerais éventuellement que tu t'abstiennes. Ça pourrait être légèrement vexant, disons. » Oh elle le savait bien, hein, qu'elle avait la vivacité d'une poignée de porte et qu'elle était certainement plus risible qu'autre chose dans cette situation. Mais que voulez-vous, elle ne pouvait pas deviner que Celse entrerait, sinon c'est clair qu'elle aurait choisi un autre moment pour se couvrir de ridicule, oui. « Tu m'as suivie, avoue-le » qu'elle reprit en un sourire à demi amusé, pas sûre de ce qu'elle avançait, simplement désireuse de savoir si elle devait mettre cette rencontre sur le dos du hasard, ou si elle lui avait simplement manqué quand elle avait déserté leur lit, dernièrement. De là à dire que c'est ce qu'elle espérait forcément entendre, doh, peut être pas quand même ...

Je sors à peine du lit et, déjà, j’enfile mon short, un t-shirt large, emporte mon sac contenant serviette éponge et boisson énergétique et me dirige vers la salle de bain. Je plonge (façon de parler) dans un bain d’eau glacée et m’oblige à y rester un quart d’heure. Je masse ensuite mes muscles avec un gel spécial et fonce à la salle de sport. J’aimerais bien y trouver ce gars, Lewis, qui m’avait l’air d’un sportif quand je l’ai rencontré et avec qui je pourrais peut-être faire mes entrainements sans me sentir trop seul. Je pousse la porte, concentré, les sourcils légèrement froncés, lève le nez pour observer qui occupe la pièce de façon si matinale, et tombe sur Freddie. Les chatouillis dans mon ventre me décrochent un sourire. Ça me fait plaisir autant que ça m’amuse, de la voir là, en train de courir de façon gauche sur ce tapis roulant. Je m’apprête à la vanner, mais elle est la plus rapide et je lui laisse volontiers la première manche pour cette fois. Elle se fustige, tiens donc, elle qui a pourtant pris l’habitude, devant moi, de se dépeindre en déesse, c’est maintenant au portrait inverse auquel j’ai droit. Je secoue la tête, navré par tant de fausseté. « Ni l’un ni l’autre. Je crois seulement que tu as récemment pris conscience de ma préférence pour les femmes au ventre plat et aux fesses rebondies, et que dans la crainte de me décevoir, tu te mets aux abdos-fessiers  », je déroule d’une traite en m’installant près des machines, posant mon sac à terre et suspendant ma serviette au vélo d’appartement sur lequel je ne risque pas de grimper.  « Sache que tu n’es pas obligée – je te prends comme tu es  », j’ajoute sans la regarder pendant que je retire mon t-shirt, comme d’habitude, pour être plus à l’aise. J’ai l’air de dire ça sur un ton négligé, répétant sans arrêt la même rengaine (alors que je n'ai jamais pris le temps d'observer ni le ventre de Freddie, ni ses fesses), mais n’y croyez pas. Je sais exactement ce que je dis et comment je le dis, et, tout en me redressant et balançant mon t-shirt à côté de ma serviette, je lui jette un coup d’œil en biais, malin à souhait, pour observer l’effet de mes paroles. Toujours pareil. Freddie semble intouchable de ce côté-là, et quand je comprendrai que ça ne fonctionne définitivement pas avec elle, d’accord, je changerai d’angle d’attaque. Que voulez-vous, c’est son petit sourire en coin, cette imperceptible lueur au fond de son regard qui m’incitent toujours à continuer dans cette voie. Elle ajoute que j’ai sûrement dû la suivre. Elle entre elle-même dans le jeu, signe qu’elle n’en est pas encore lassée, j’aime bien. Je lève les yeux au ciel, sérieux comme un pape, tout en fixant les poids de chaque côté de la barre dans l’idée de faire des haltères. « Chaque minute passée loin de toi est une torture que je ne saurais tolérer  », je récite comme si j’avais pour coutume de le lui répéter dix fois par jour, avant de m’allonger sur le tapis, de replier les jambes et, à demi redressé, de lui adresser un regard ironique. « T’es sur mon territoire, Calamity Jane.  » J’attends quelques secondes avant de m’allonger, un sourire en coin à force de la regarder trop longtemps, et d’empoigner les haltères que je soulève et abaisse à rythme constant.

Après réflexion, la raison pour laquelle Freddie ne se souvenait pas avoir déjà croisé Celse en salle de sport s'expliquait certainement par une seule et unique chose : elle s'y rendait une fois toutes les deux semaines, et encore. Nul doute que lui, en type athlétique qu'il était, était déjà un plus grand habitué de ce genre d'endroits, et sans doute n'était-il alors que journalier pour lui de s'y rendre, comme ce matin. Oui, car tandis qu'elle s'étonna presque de sa venue, ou plutôt du fait qu'il trouve le moyen d'entrer quelques instants après elle, il ne lui vint pas immédiatement à l'esprit que Celse puisse simplement suivre un rituel quotidien dont elle ignorait tout. Toujours est-il que, d'une lucidité incomparable, l'anglaise savait pertinemment de quoi elle pouvait bien avoir l'air lorsqu'elle faisait du sport, à savoir d'un ragondin en fin de vie qui lutterait de toutes ses forces contre le trépas. Personne n'avait jamais eu besoin de lui faire le moindre commentaire à ce sujet, car elle s'en était véritablement rendue compte toute seule, elle qui n'avait en soi jamais ignoré que le sport en général n'était pas pour elle. Alors oui, elle anticipa toute remarque de sa part et préféra le prévenir qu'il ferait bien d'éviter de lui pondre un commentaire un peu trop moqueur, auquel cas elle pourrait très mal le pendre. C'est qu'à choisir, oui, elle préférait autant qu'on évite de se payer sa tronche, elle qui se trouvait déjà un peu kamikaze d'être venue ici à une heure où quelqu'un restait susceptible de l'y rejoindre. Le commentaire de son partenaire la fit alors sourire, lui qui y alla d'un second degré qu'elle lui connaissait bien, et qui lui inspirerait très certainement une réponse sur le même ton, parce qu'après tout ils avaient tous les deux l'habitude de ce genre d'échanges. « Maintenant que tu le dis, c'est vrai, j'aspire secrètement à ressembler à la femme de tes rêves. Que ne ferais-je pas pour correspondre à tes critères de beauté, hein. » C'est vrai que c'était maintenant une sorte d'évidence, hein, que Freddie essayait de correspondre à tout ce que Celse préférait chez une femme. C'était bien son genre, après tout, d'essayer de rentrer dans un moule bien particulier, dans l'unique but de plaire à quelqu'un. Définitivement son genre, c'est clair. Mais voilà qu'il disait maintenant la prendre comme elle était. « A savoir flasque et mal foutue, ouais, j'ai saisi. Et c'est bien trop aimable de ta part de m'accepter en dépit de mon physique disgracieux » souffla-t-elle alors, encore suffisamment au courant de ce à quoi elle pouvait bien ressembler pour le dire sur un ton humoristique. Si Freddie n'était pas une bombe anatomique, elle estimait être menue et pas nécessairement hideuse. Celse se débarrassa alors de son t-shirt et c'est d'un œil à peine émoustillé par ce que d'autres auraient regardé à la manière d'une groupie en chaleur que Freddie observa la scène, reportant bientôt son attention sur ce tapis de course, qu'elle avait du coup un peu délaissé. Et puis, elle en vint à supposer qu'il l'avait suivie. Plus sérieusement qu'on le croirait, mais uniquement parce qu'elle l'en savait capable. Il était fourbe, le lui avait déjà prouvé, ainsi donc elle s'en étonnerait à peine. Mais à la façon dont il lui répondit, elle put sans mal exclure cette piste. A force de lui faire croire qu'elle était son tout, elle allait finir par le croire, c'est certain. « Et la simple idée de m'imaginer avec un autre te rend fou, hein, ça me semble évident désormais » qu'elle renchérit alors, faisant indirectement référence à la question qu'il lui avait posé l'autre fois, sur l'hypothétique concurrence qu'il aurait à l'extérieur. Une question à laquelle elle n'avait pas cherché à répondre, pensant que ça n'aurait pas grand intérêt qu'il la sache prise ou libre comme l'air, dans la mesure où tout ça n'était que délire. A sa remarque suivante, elle quitta le tapis de course et s'accroupit près de lui lorsqu'il entama sa série d'haltères, le fixant avec un intérêt simulé à la manière d'une admiratrice éblouie par tant de force. « Oh voyons, je ne voudrais surtout pas t'empêcher d'éliminer le bison qui t'est resté sur le ventre, Buffalo Bill » qu'elle fit alors, réprimant durement l'envie qu'elle avait de lui chatouiller les côtes, dans un sourire trop angélique pour être honnête.