La semaine passée j’ai confectionné du punch pour l’ensemble des candidats car j’avais envie de mettre à profit mes capacités et on m’a gentiment remercié par l’award du candidat le plus méchant. Que d’injustice ! Je me tâte donc à réitérer l’expérience. Trop bon, trop con comme on dit. En attendant, je m’amuse à réaliser un cocktail pour moi ce midi en jonglant un tantinet avec le shaker derrière le comptoir. Je ne peux m’en empêcher. J’ai pour habitude de cumuler les deux. Mais voilà qu’une personne interrompt ma recette en engageant une conversation un peu surprenante. Sa présence ne m’aurait pas dérangé s’il s’était contenté de regarder. «  C’était censé être ironique ? » Je lève les yeux vers lui avec une lenteur extrême presque comme si mes paupières étaient faites de plomb. Fatigue, lassitude, asthénie. «  Car je vois pas où est le mal à réussir ce cocktail. Surtout que je suis barman donc je pense pas qu’il y ait de problème de ce côté-là. » J’ai une formation plutôt béton en ce qui concerne le flair, le service et les cocktails. Si j’avoue ne pas toujours être au point sur le service par faute d’inattention ou sur la forme, je suis plutôt armé en ce qui concerne la confection des mélanges puis aussi la partie flair vu que c’est mon principal passe-temps. Un cocktail raté, ça m’étonnerait que ça arrive du coup. «  Tu fais donc parti de ces candidats qui me trouve méchant ou agaçant. » Simple déduction. Libre à lui de m’avouer ou non ses pensées à mon égard. J’imagine qu’il ne me porte pas dans son cœur car je suis trop proche de Lara et que lui aussi alors il me voit comme un concurrent ou un truc du genre donc il a forcément une mauvaise image de moi. Enfin j’en sais rien après tout et je m’en fiche un peu.

Je suis pas très sûr de ce que le candidat insinue à mon sujet et je suis pas non plus vraiment sûr de vouloir le savoir. J’essaye quand même d’y montrer un minimum d’intérêt puisqu’il est là et qu’il ne semble pas vouloir bouger. Bien, c’est son droit. Je vais pas le faire fuir. Je m’adapte. Je m’en fou dans le fond qu’il soit là ou pas. En revanche, si son intention est de m’envoyer des pics, je risque de pas apprécier très longtemps. Mais pour l’instant, tout va bien, je suis calme. Trop calme. L’attitude du candidat me blase plus qu’autre chose. Il joue aux innocents alors qu’il semble vouloir me reprocher quelque chose. Soit il dit clairement ce qui va pas, soit il se tait. Bon, j’vais l’aider à se livrer puisque visiblement il n’arrive pas à dire ce qu’il pense par lui-même. Fait-il parti des candidats pensant que je suis méchant et agaçant ? Visiblement oui. Le contraire m’aurait étonné. « Me donner un genre ? » J’affiche un air étonné puis un regard déstabilisant au candidat. Serait-il en train d’insinuer que je suis quelqu’un de faux ? Attention, je pourrai me fâcher. « Agaçant, d’accord. Je sais que je suis chiant, je provoque, je pousse un peu loin parfois mais je fourre pas mon nez partout. Là y’a erreur. J’en ai rien à foutre des histoires des uns et des autres. » Je baisse la tête puis poursuit la confection du cocktail. Il est bientôt fini. Il manque encore la décoration et un ou deux glaçons.

Jorah a vraisemblablement des choses à dire à mon sujet. Très bien, je l’écoute. Je pense pas avoir de compte à lui rendre mais s’il veut me parler, qu’il le fasse, y’a pas de mal. Par contre, j’apprécie moins le fait qu’il me juge facilement et que son jugement soit biaisé. Mais je dis rien, après tout, libre à lui de penser ce qu’il veut de moi. « Je suis aussi impulsif ici que dans la vie de tous les jours, ouais. » Et encore ici, je me contiens parfois. Il y a les caméras donc ça joue un peu dans la balance. Je maîtrise ma colère tant bien que mal et mes émotions par de l’ironie, de la moquerie ou autres. J’ai trouvé pas mal de parades que j’use pas forcément au même point dans la vie de tous les jours. Je me suis battu pas mal de fois après.. ouais, enfin voilà. Maintenant j’ai arrêté la violence envers les autres. Ça me ressemble pas et j’aime pas ça. La seule violence que je pourrai infliger sera envers moi-même. Ou verbale à petite dose à la limite. « Non. » D’accord, c’est vrai, il a pas dit « partout ». Ça tombait de sens pour moi mais visiblement je fais erreur. Je comprends alors où le candidat veut en venir. Selon lui, je me suis mêlé de sa relation avec Lara. C’est pas totalement vrai. J’ai juste posé une ou deux questions et charrier la jeune femme à ce sujet. Mais comment est-il au courant ? Elle lui a balancée tout ça ? Mouais, non, je pense pas. Ça m’étonnerait d’elle. Du coup, j’en déduis en vue des propos du candidat qu’il a entendu certaines choses. Et bah, je dois parler fort alors. « T’es sûr que j’ai besoin de te donner mon avis ? T’as l’air de savoir lire dans les pensées ou sur les lèvres, j’sais pas trop. » Ou alors il a des oreilles bioniques, c’est peut-être ça. En tout cas, il fait clairement erreur à mon sujet. J’le vois bien. Je sais pas ce qu’il s’est imaginé mais il a faux. « Ecoutes, t’as le droit de dire ce que tu penses de moi, que je suis agaçant, que tu trouves que je me donne un genre, ou je-ne-sais-quoi, y’a pas de souci. Moi, c’est pareil, je dis ce que je veux à La..Krisjana. Je plaisante avec elle de la manière qui me fait envie. » Je me suis repris pour le prénom. Je sais que j’ai trop tendance à utiliser mes surnoms et que tout le monde ne les connaît pas forcément et ne les utilise donc pas.

Si j’étais assez zen et détaché en début de conversation, je commence à prendre les choses plus à cœur au-fur-et-à-mesure que Jorah continue à m’incendier. Le mec a une sérieuse dent contre moi. Mes commentaires sont stupides, je suis débile, faux, j’agis gratuitement, j’ai fais passé un mauvais prime à Lara donc je suis une mauvaise influence sur elle. En gros, j’ai rien pour moi. « Et qu’est-ce-que ça peut te faire que je l’ai contrarié ? Tu veux me casser la gueule pour une nana que tu connais à peine ? » Je ne crois pas, non. Auquel cas, je lui laisse l’opportunité de frapper. Personnellement, j’en ai pas envie, après s’il y tient vraiment, qu’il se gêne pas. Il me demande aussitôt si j’ai un problème face à leur relation. Je soupire. Il aurait pas pu me poser cette question directement ? Finalement, tout ce discours n’avait que pour but cette question. C’est ce que voulait savoir Jorah dans le fond. Rien d’autre. « Et alors quoi, maintenant tu veux ma bénédiction ? Non parce que tu peux pas avoir le beurre, l’argent du beurre et la crémière. Si j’ai un problème, ça me regarde-moi uniquement. Lara est une grande fille, c’est elle qui prend les décisions. Mais t’inquiètes pas, de toute façon, il y a même pas de décision à prendre. Je m’interposerai pas entre vous. Elle me plait, oui, mais je suis pas un gars bien pour elle. » Là il doit être soulagé le garçon. Ou pas d’ailleurs, vu son air suffisant et ce qu’il pense de moi, je n’avais aucune chance à ses yeux vis-à-vis de la brune. « Et toi tu l’es, visiblement. » Je m’empresse d’ajouter afin d’accentuer le fait qu’il me considère comme de la merde. C’est grosso-modo ça. « Maintenant, si tu veux bien, j’aimerai rester tout seul au bar. » Oui, je l’invite clairement à déguerpir. J’ai pas envie de rester une seconde de plus en sa compagnie. Ses mots ont touché ma carapace. J’ai besoin de me divertir à présent et de me revaloriser dans quelque chose auquel je pense être doué : le flair. Alors j’ose au moins daigner qu’il me laisse ce lieu.