Il est drôle de voir comment l'horloge biologique d'un homme est réglé. J'entends par là, comment une personne normalement constitué mange quasiment tous les jours à la même heure, s'endort au même instants, ces petits évènements à quelques dizaines de minutes près réglementé par son propre corps. Dans les immenses couloirs de la production, il était un peu plus de midi et j'avais faim, vraiment très faim. En même temps, à part un petit-déjeuner assez dégueulasse pris sur le pouce dans ma chambre d'hôtel, je n'avais rien ingurgité depuis la veille au soir et l'excellent repas dans un charmant petit restaurant libanais. Bon, cessons de parler de bouffe et reprenons le fil de l'histoire... J'avais faim et bien évidemment, je n'avais rien pris à manger. J'imaginais certainement pouvoir passer avant midi ou alors trouvez ici de quoi me mettre sous la dent, mais pour l'instant rien...

Un peu désespéré et poussé par ma vessie qui m'indiquait une envie de plus en plus pressante, je me dirigeais vers la salle d'eau où comble du malheur l'unique toilette était déjà occupé. J'attendais longtemps, très longtemps, trop longtemps, jusqu'à en voir sortir une jeune femme. Belle, brune, élancée, elle ressemblait à ces pins-ups des années 60, une grâce subtile mise en valeur par un charmant look vintage. Impatient, énervé par la faim qui me tiraillait les entrailles, je ne pus m'empêcher de marmonner :

Punaise ce qu'elle a été longue...

Un bref regard à la demoiselle, j'espérais qu'elle ne m'avait pas entendu. Ce n'était pas dans mon habitude de critiquer, mais là... C'était trop, j'étais perdu, excédé par l'attente qui s'annonçait interminable et surtout j'étais loin de chez-moi. Trop de chose pour le parisien sédentaire que j'étais... Certes je rêvais de voyage, mais des voyages organisés un minimum et non pas une escapade comme celle-ci, prévu à la dernière minute où rien ne se passait comme prévu.

+ Je suis assez fière de moi, aujourd'hui je n'ai pas mis trop de temps à me préparer pour aller passer l'audition dans les locaux de Fake Lover. Qu'est-ce que j'aime cette émission. Et puis l'Irlande est un pays magique, enfin, surtout très différent des Etats-Unis et je suis enchantée du peu que j'ai pu en voir. Mais revenons en à moi. Je suis fière de moi parce que je ne me suis pas mise en retard en perdant du temps inutilement. Je savais ce que je voulais porter, une robe de ma mère, je n'ai pas mis des tonnes de maquillage et ma coiffure est des plus simples. Je suis belle, je trouve, et je suis presque certaine de leur plaire, au jury. D'ailleurs, j'attends mon tour. Je suis tranquillement assise dans la salle d'attente, un magasine de mode sur mes jambes que je croise et décroise sans arrêt depuis près de cinq minutes. Je ne suis pas particulièrement stressée, non, mais je crois que je ferais bien d'aller me repoudrer le nez, si vous voyez ce que je veux dire. J'ai été stupide de me retenir depuis le moment où j'ai senti que je devais y aller, mais c'est que j'avais peur de ne pas être là quand ils appelleraient mon nom. Sauf que je ne peux vraiment plus me retenir. Je repose le magasine sur la pile où je l'ai pris, adressant un sourire aux personnes qui me regardent en se demandant ce que je peux bien faire, des fois que je décide finalement de m'en aller, leur laissant ainsi une chance supplémentaire. Et je me dirige le plus vite que je peux vers la salle d'eau, mais quand on est perchée sur une paire de talons ce n'est pas évident. Je soupire de soulagement quand j'atteins la porte de la seule cabine mise à notre disposition, j'entre à l'intérieur et la verrouille, pour éviter toutes intrusions involontaires. J'essaye de faire mon affaire assez rapidement, mais je m'en empêche depuis tellement longtemps que c'est un peu plus long que prévu, je me dis qu'un peu plus et ma vessie aurait explosé, ouf. Et là, j'entends que quelqu'un arrive. Bien sûr. Je me fais la plus discrète possible en terminant puis je sors, ne désirant jeter qu'un bref coup d'œil à la personne qui a dû attendre après moi. Mes yeux s'y attardent un peu trop. Hm, j'en ai vu des drôles de types dans ma vie, ça oui, mais alors lui c'est quelque chose. Je fronce légèrement les sourcils, décidant finalement de me concentrer sur mes mains que je vais prendre grand soin de laver pour éviter d'abîmer un des mes très jolis ongles quand je l'entends marmonner que j'ai été longue. Je me retourne vers lui. « Désolée, mais je ne savais pas que les squelettes avaient besoin de soulager leur vessie eux aussi. » Que je réponds, faussement désolée en fait. Mais bref, je ferais mieux de me laver les mains moi au lieu de parler à un type assez bizarre pour s'être fait tatouer une bonne partie du corps de sorte à ce qu'il n'est pas besoin de porter de déguisement le jour d'Halloween.

Avec elle, j'y étais peut-être allé un peu fort. Prendre son temps pour vider sa vessie c'était humain non ? Au fond de moi je m'en voulais d'avoir été si agressif envers elle. Surtout qu'en une seule phrase, une jolie pique bien envoyé, elle réussissait l'exploit de me faire rire. Petit clin d'oeil et je répliquais :

Cela je vous l'accorde. Mais, bon ce n'est qu'une apparence, une illusion pour dissimuler ma nature d'être humain... C'est comme vous avec votre style, vos manières, vous vous créer un personnage pour vous protéger du regard non ?

De toute manière se créer une carapace pour vivre en communauté était un comportement naturel de l'homme normalement constitué. Certain ce défendait en prônant une différence, en sortant de la norme, des gens comme quoi... Tandis que d'autres préférait rester dans les clous, être beau/belle, porter de jolis vêtements, faire bonne impression, donner confiance, séduire... Catégorie dans laquelle je plaçais la charmante inconnue. Même si les toilettes n'étaient pas le lieu propice pour discuter et surtout dans la mesure où l'on viendrait à se croiser plusieurs fois dans les mois à venir, je tenais tout de même à me présenter :

Au fait, je ne sais pas si cela vous intéresse, mais je suis Icare...

C'était un peu étrange comme présentation, mais bon comme ça c'était fait et bien fait... Je souriais à l'inconnue tentant ainsi de me faire pardonner de ma maladresse passée. À sa place, je ne laisserais pas passé cela avec quelque jolies mots mais apprécierais malgré tout l'effort. Il ne me restait donc plus qu'à attendre de voir si elle était comme moi, sur ce domaine-là en tout cas.

J'avoue ne pas avoir bien compris pourquoi je m'étais pris une critique dans le dos comme ça. S'il avait pris son temps alors que j'attendais qu'il finisse son affaire je ne lui aurais rien dit, j'aurais pensé qu'il aurait pu se dépêcher un peu mais je lui aurais adressé un sourire au lieu de râler comme il venait de le faire. Oui, c'est un peu hypocrite, mais c'est tout de même assez désagréable de se faire râler après de la sorte et surtout par un inconnu. Enfin peu importe, je comprends qu'il ait pu être agacé, même si je ne trouve pas ça très poli, et donc je me suis contenté de lui répliquer un petit quelque chose sans me montrer trop irritée pour autant. J'utilise son apparence, ce qui est le plus facile quand on ne connait pas la personne. Je doute qu'il le prenne mal parce que j'imagine qu'il doit entendre des choses pires que ça, et puis ce n'était pas méchant à la base, un simple retour de bâton. En tout cas, je m'empresse de me concentrer à nouveau sur mes mains pour pouvoir sortir d'ici au plus vite quand il reprend la parole. Je ne lui jette qu'un rapide coup d'œil alors qu'il m'explique que tout ceci n'est qu'une apparence. Oui, bon, je ne suis pas stupide, j'avais compris cette partie, je sais qu'il est tatoué et pas né comme ça. Ce serait vraiment trop bizarre si c'était le cas, hm. Il ajoute que ça dissimule sa nature d'être humain. Passionnant. Je m’égoutte les mains d'un geste soigné alors qu'il prétend que c'est pareil pour moi, mon style, mes manières. Je me créerais un personnage pour me protéger des regards des autres selon lui. J'affiche alors un air quelque peu étonné et c'est une main sur la hanche que je me tourne cette fois vers lui. « Non, pas du tout. » Que je réponds pas tellement convaincue et légèrement agacé par le fait qu'il ait tout de même un peu raison. Et c'est le cas de tout le monde, en société on essaye tous d'être un peu moins nous et un peu plus comme les autres, de rentrer dans la norme. Enfin, pas tout le temps, et ce gars en est un assez bon exemple. Mais bref, j'ai terminé, je n'ai plus qu'à m'essuyer les mains et m'en aller parce que je ne veux vraiment pas manquer mon entretient. Et puis j'avoue qu'il me fait un peu peur, pas parce qu'il ressemble à un squelette, ou peut-être un peu si, mais surtout parce qu'il a l'air de lire en moins comme dans un livre ouvert, ou presque, et je n'aime pas trop ça. Mais il m'adresse à nouveau la parole, pour se présenter cette fois. Icare, donc. Un prénom aussi original que celui qui le porte. Il me sourit, même si on dirait plus un rictus semblable à ceux du Joker qu'un vrai sourire. « Jessica. » Que je dis simplement en plaquant ma main au dessus de ma poitrine comme pour spécifier que c'est bien mon prénom, à moi. Enfin, c'est aussi celui d'un tas d'autres filles, moi je ne peux pas me vanter d'avoir un prénom aussi original que le sien. « Et, je préfère qu'on se tutoie, si ça ne te gêne pas. » Oui parce que là j'ai l'impression d'avoir pris dix à quinze ans de plus d'un coup et je ne suis vraiment pas impatiente que ce soit vraiment le cas.

Spoiler:

Elle était drôle cette femme, à nier l'évidence... Tout le monde ce cachait derrière des apparences, personne n'était réellement lui-même, mais ça rare était ceux qui l'avouait. Son non, ne me surprit donc guère, je lui souriais, lui faisant comprendre que je comprenais... Je n'avais rien d'autre à dire... Juste un dernier petit sourire, je continuais ensuite à l'écouter, elle se nommait Jessica et préférait que l'on se tutoie. Prénom agréable pour une jeune femme qui l'était tout autant, je la complimentais :

Jolie prénom, il vous va à merveille... Enfin, il te va à merveille. Sinon désolé pour le vouvoiement, je suis français et est l'habitude de cela... Tu es française ?

Drôle de manière de relancer la conversation. En même temps, j'étais comme intrigué par cette file au point que ma vessie ne me tirait plus tant que cela. De tout manière il faudrait quand même que je rentre dans ces toilettes à un moment donné, sinon elle me ferait surement remarquer que je l'avais critiquer pour rien. Ce qui serait tout à fait justifiable. Mais pour l'instant, j'en avais pas l'envie, en même temps faire mes besoins avec une personne de l'autre côté de la porte c'était tout sauf glamour, je suis désolé...

Spoiler:

Je préfère qu'on se tutoie, même si je ne connais absolument pas ce gars, ça me met un peu moins mal à l'aise, déjà que j'ai du mal à le regarder dans les yeux quand je lui parle. On se présente, et il me complimente sur mon prénom, "joli" qu'il dit et il ajoute que ça me va bien. « Je sais, merci. » Je suis assez fier de m'appeler comme ça, pas que ce soit extraordinaire non plus, c'est même plutôt commun, tout le monde a rencontré une Jessica dans sa vie, beaucoup de personnes ont même une bonne copine qui s'appelle Jessica, qui se la pète peut-être un peu mais qui est plutôt cool quand même. Alors oui, je trouve aussi que mon prénom me va bien. Et puis c'est ma mère qui l'a choisi, donc c'est que ça lui plaisait et je ressemble beaucoup à ma mère, donc si elle aimait assez ce prénom pour me le donner, moi je l'aime aussi. Enfin bref. Il s'excuse pour le vouvoiement mais c'est parce qu'il est français. « Oh, français, c'est vrai ? » Oui, si c'est ce qu'il dit c'est surement vrai. Mais il pourrait très bien mentir donc on ne sait jamais, rien ne me coûte de demander pour être sûr. Il me demande alors si je suis française moi aussi. « Moi ? Non, je suis américaine, de Chicago. Je n'ai jamais mis les pieds en France, ni même en dehors de mon pays avant aujourd'hui. » Que j'explique. Je ne sais pas trop pourquoi je me mets à lui raconter ça, il ne doit rien en avoir à faire et je ferais bien de retourner à la salle d'attente maintenant. « Tu n'avais pas envie de... ? » Que je demande dans un petit sourire en pointant la porte des toilettes du doigt. Oui, je croyais qu'il avait sérieusement besoin de se soulager, il était même impatient au point d'en râler, alors qu'il y aille maintenant que la place est libre, comme ça, moi, je pourrais retourner m'asseoir là-bas et lire mon magasine en attendant de passer mon entretient.

Elle avait beau paraître à l'aise à mes côtés, je voyais bien à ses gestes, ses regards qu'elle ne l'était pas. Elle était comme les autres, une excellente actrice... Quand elle me demande si c'était vrai que j'étais français, je riais :

Oui, je suis bel et bien français... Tu n'avais je pense pas besoin de me demander confirmation, de un je ne mens pas sur des choses aussi futile et de deux mon accent est facilement remarquable.

D'ailleurs je ne voyais pas l'intérêt d'inventer ce genre de chose, sauf pour ce cacher aux yeux des autres, mais on... Sur ce domaine-là, on peut dire que je me débrouillais plutôt très bien pour le moment. Certes j'intriguais, j'étais la source de nombreuses questions de la part des autres prétendants, mais c'était normal. De tout manière, cela n'aurait pas une grande importance tant que ma sélection pour le nid d'amour n'était pas officialisé. ÈA partir de là, il faudrait que je fasse plus attention, mais en attendant je préférais m'amuser, de toute manière j'étais là pour ça. D'ailleurs, la réponse concernant sa nationalité, finalement me surpris guère. Elle était américaine et en avait même le parfait look, un style très US vintage comme c'était revenu la mode. En entendant parlé de Chicago je ne put retenir :

Les états-unis, je rêve d'aller là-bas un jour. Sinon je suis comme toi, je n'avais jamais quitter ma terre natale avant aujourd'hui. Le comble pour une personne qui travaille dans un aéroport.

Je venais à peine de terminer ma phrase que Jessica reprenait la prole, me demandant si je ne devais pas aller au toilette. À cela ma vessie, me rappelait son existence et ce faisait de plus en plus pressante. Petit sourire gêné et je m'éclipsais :

Si, si c'est juste que je ne voulais pas paraître impoli en disparaissant au beau milieu d'une conversation, mais vu que celle-ci me semble terminée...

Enfin, ça c'est ce que je pensais. Après... Jessica avait peut-être d'autres questions à me poser. Au fond, je ne savais pas vraiment. Mais, bon si celles si étaient vraiment importante, elle n'aurait qu'à attendre que je sorte pour me les poser. Contrairement à elle, cela n'allait je pense pas durer longtemps. Enfin je l'espérais, dans le cas contraire, elle aurait toute les raisons de me charrier à ma sortie.

Spoiler:

Oui, bon, c'est vrai que c'est idiot de lui demander s'il est vraiment français, mais je l'ai juste dit comme ça, sans trop faire attention. Il me répondit donc que oui, il est français, puis j'ai l'impression qu'il se met un peu plus sur la défensive pour m'expliquer qu'il ne ment pas et que j'aurais pu avoir confirmation de sa nationalité par son accent. Je ne dis rien, me contentant de lui adresser un petit sourire, sorte d'excuse, même si je me force un peu. Je ne croise pas des Français et des gens complètement honnêtes tous les jours près de chez moi, non, loin de là, donc désolée si je n'ai pas reconnu son accent ou si j'ai remis sa parole en doute. Il me semble que j'avais tout de même le droit de le faire, les gens mentent tous plus ou moins, et lui aussi a déjà dû le faire, j'en suis sûre, même si ce n'était peut-être pas au sujet de sa nationalité. Mais bref, passons. Je lui apprends que je suis américaine et que je ne suis jamais allé voir au-delà des frontières de mon très beau pays. Il dit rêver de le visiter, mais qu'il n'a lui non plus jamais quitté sa terre natale, et pourtant il travaille dans un aéroport. « Hm. » Que je fais simplement en hochant légèrement la tête, l'air intéressé. Puis je désigne la porte de la cabine et je lui demande s'il ne devait pas y aller. Si, en effet, mais il ne voulait pas se montrer impoli. Oui, enfin pour ça il repassera, hein. Je n'ai pas oublié sa petite remarque à propos du temps que j'ai mis à terminer ma petite affaire. Mais peu importe. « Bon, et bien j'ai été ravie de te rencontrer. À bientôt, peut-être. » Je lui lance un dernier regard, j'étire un peu le sourire sur mes lèvres et un signe de la main et quelques pas plus tard, je sors enfin de la salle d'eau. Je croise les doigts pour qu'on n'ait pas encore appelé mon nom et je reprends vite ma place assise, ne pensant déjà presque plus à ce drôle d'individu avec qui j'ai discuté dans les toilettes.

~ the end