w/elsa

Comme à son habitude depuis qu’il est ici, il fuit le nid dès que celui-ci devient trop bruyant. Et c’est exactement ce qu’il se passe en ce tout début d’après-midi, puisque plusieurs candidats se sont réunis pour remplir leurs estomacs, occasionnant un bruit non négligeable et désagréable pour Alistair qui s’est tranquillement posé, seul, pour manger. Il n’a donc pas tardé à déguerpir après l’arrivée massive d’un petit groupe de candidats, préférant rester seul plutôt que d’avoir l’impression d’imposer sa présence certainement non-désirée. Il ne se fait pas d’illusions depuis qu’il s’est pris une claque dans la gueule en voyant la côte de popularité. Il s’accommode très bien de sa vingtième place, pour autant ça lui fait réaliser qu’il n’est pas forcément bien vu dans le coin. Rien d’étonnant en soin, c’est ainsi partout où il passe, mais ce n’est pas pour autant que c’est plus facile à accepter, même en ayant l’habitude. Il a donc disparu à l’extérieur, même si une petite voix dans sa tête ne cesse de lui répéter qu’il se tire une balle dans le pied en faisant aussi peu d’efforts. Il a l’impression d’en faire, pourtant, mais il ne peut tout simplement pas changer en un claquement de doigts. Il lui faut du temps, il parvient déjà sans peine à saluer ses camarades quand il les croise, et c’est déjà pas mal, lui qui est à l’habitude d’être transparent ou de ne voir personne excepté Peter durant des semaines. Il marche d’un pas rapide pour s’éloigner du logement quand il tombe sur la plage. Il aimait bien la plage quand il était gosse. C’était des éclats de rire assurés à chaque fois que ses parents l’amenaient voir la mer. Il pouvait y passer des heures sans se fatiguer. Ça a bien changé, depuis. Pourtant, il en vient à enlever ses chaussures pour laisser le sable chatouiller ses pieds. Il adorait ça, plus jeune, faut croire que malgré tout il n’est pas prêt à tirer un trait sur chaque détail de son passé. Sa tranquillité est perturbée quand il distingue une silhouette un peu plus loin, qui vient en sa direction. Il ne bouge pas, attend de savoir si celle-ci va venir le rejoindre – ce qui est le cas – et laisse finalement échapper un « Salut. » du bout des lèvres, bien trop concentré à enfoncer ses pieds dans le sable. Au bout de quelques instants, il reporte son attention sur sa camarade, suffisamment longtemps pour essayer de l’identifier, mais pas assez pour qu’il soit mal à l’aise. « Elsa ? » Il lance, un peu au pif. Mais il lui semble qu’il vise juste. Elle fait partie de ceux qui ont un prénom court et qui, par conséquent, permette à Alistair de les mémoriser plus facilement que d’autres. Reste à savoir si elle le contredira ou non, au pire il s’en fiche, il est satisfait d’avoir essayé.

La proximité avec la plage m'est assez familière. Je vis également en Australie, à Brisbane, à quelques pas de la plage et c'est sans aucun doute ma fille qui en profite le plus. C'est également celle qui apprécie le plus cet endroit et c'est un peu nostalgique de nos moments que je quitte le nid, décidant d'aller marcher au bord de l'eau. Ce genre de moment ne m'est pas encore arrivé depuis que je suis entée dans le nid, j'évite souvent de me retrouver seule pour ne pas sombrer. Je n'aime pas laisser entrevoir cette fille un peu trop fragile, un peu trop sensible qui s'écroule lorsqu'elle parle de son enfant. C'est d'ailleurs pour cette raison que je n'en ai pas encore réellement parlé non plus... J'sais même pas si tous mes camarades sont au courant de ma situation familiale. Ils le sauront tous à un moment donné, cela n'a guère importance. J'aime ma fille mais je ne veux pas l'impliquer dans une émission de télé-réalité, je ne veux pas révéler trop de choses à son sujet. Son prénom que j'ai cité au casting, son âge, c'est déjà bien assez je trouve. Les mains enfouies dans les poches de mon petit short et l'esprit dans un monde parallèle, j'aligne mes pas sans vraiment réfléchir à la direction que je prends. Je déambule le long de l'eau, c'est tout. Ce n'est que lorsque je repère un autre candidat que mon esprit revient dans ce monde. Il s'agit d'un candidat que je ne connais pas encore très bien, pour dire, j'ai même un peu de mal à le reconnaître de loin et je préfère m'avancer pour aller à sa rencontre. Il me salue, même si il ne semble pas réellement concentré sur ma personne... Il joue avec le sable et ce dernier semble être plus intéressant que moi. Je ne me vexe pas pour autant et décide de le saluer à mon tour, le gratifiant même d'un sourire. Chanceux. «Salut, comment vas-tu ? » articulais-je sur un ton totalement neutre, portant mon regard sur le jeune homme. Il cite mon prénom qu'il semble avoir trouvé par hasard. J’acquiesce et accompagne mon geste de paroles, histoire de donner un peu de vie à cette rencontre. «Oui, c'est bien ça. Et toi tu es ... »Mallaury ou bien Alistair ? hum. J'ai encore un peu de mal à les différencier ces deux-là et je me sens gênée de ne pas savoir l'identifier correctement alors que lui, il vient de le faire. «Je... J'suis vraiment désolée... J'ai peur de dire une bêtise en t'attribuant un prénom qui ne serait pas le tien.» C'est une façon détourner de lui demander de me rappeler son prénom. «Qu'est-ce que tu fais ici ? Tout seul... »

L’espace d’un instant, il retombe en enfance en enfonçant volontairement ses pieds dans le sable. Et pourtant, d’ici quelques dizaines de minutes, il regrettera sûrement ce comportement en sentant le sable s’infiltrer et ne plus vouloir partir même au bout de trois lavages intensifs de pieds. Mais ça ne lui fait pas de mal de se souvenir du garçon qu’il était il y a deux décennies, un garçon insouciant qui n’avait pas encore conscience de la réalité de ce monde et qui prenait du plaisir dans des activités sans importance. L’arrivée d’une autre candidate ne le perturbe pas plus que ça, il continue de fixer ses pieds qui ne sont désormais plus visibles, comme happé par cette vision et ses souvenirs qui redeviendront douloureux d’ici quelques minutes. Il la salue tout de même, question de politesse, car malgré son apparence rude, il se considère plutôt comme poli. Elle lui demande comment il va, il daigne enfin relever la tête. « Bien. » La réponse peut paraître surprenante tant le plaisir de vivre se lit sur son visage, mais globalement, oui ça va bien, pour preuve il n’a pas encore ressenti le besoin de tenter de se noyer dans l’eau, Mallaury serait fier de lui. « Et toi ? » Il lui retourne quand même la question même s’il n’est pas certain de s’intéresser à la réponse. Si elle répond par la négative, il ne saura pas comment la réconforter et si, au contraire, elle répond de manière positive, ça ne changera pas sa vie. Il observe ensuite la candidate. Il croit la reconnaître, il n’en est pas certain, il tente tout de même en balançant un prénom, elle ne va pas le laisser dans l’ignorance. Et il a visé juste. Sauf qu’elle, elle ne se souvient pas de son identité à lui. Ça vaut bien la peine qu’il essaie de faire des efforts de son côté, hm. Enfin, son attention est louable, elle ne veut pas l’affubler d’un prénom qui ne serait pas le sien. Il se vexerait, certes, mais après tout, Andreja arrive bien à massacrer son prénom et à le rendre étranger dès qu’il le prononce bien même s’il s’en souvient. « Alistair. » Il l’informe finalement. Quant à savoir ce qu’il fait ici, tout seul, la réponse parait évidente. « Je m’isole. » Pour autant, la présence de la candidate ne le dérange pas, enfin pas plus qu’une autre présence. « Et toi ? » Il lui retourne encore sa question. Ça fait beaucoup de retour de questions tout ça, mais il n’a jamais prétendu être un expert en conversation intéressante.

Il ne relève la tête qu'à partir du moment où je lui demande comment il va. J'sais pas trop pourquoi mais je me sens pas vraiment à l'aise en la compagnie de cet homme. Il me parait froid. Trop froid pour que ce soit possible de vivre à ses côtés tous les jours. Je ne sais pas pourquoi il est comme cela, pourquoi il se préoccupe à peine de mon arrivée et qu'il répond à ma question par un simple mot. Comme si il n'avait pas envie de se fatiguer, comme si ses mots étaient trop importants pour être gaspillés. Il va bien cependant. A quoi ressemble-t-il donc les jours où il va mal ? Je crois que je préfère ne pas le savoir et malgré mon 'malaise', je décide de répondre également à cette question qu'il vient de me retourner. «ça va.» C'est tout ce que j'ai à dire. De toute façon, c'est pas comme si il avait argumenté bien plus que cela, je me contente du minimum. Comme lui. Croisant mes bras l'un sur l'autre, je les frictionne l'un l'autre pour contrer la brise qui souffle doucement. «Ça se rafraîchit » Je le dis. Ce n'est pas nécessairement pour lui, c'est surtout pour contrer le silence qui règne jusqu'à ce qu'il cite mon prénom et que je tente d'en faire de même. En vain. Pourtant, j'étais pratiquement certaine de pouvoir identifier clairement tous les candidats mais maintenant que je suis devant lui, je me rends compte du contraire. Il ne semble pas m'en tenir rigueur et me cite son prénom. Alistair. «Il vient d'où ce prénom ? Il est assez rare non ?  » En tout cas, je ne connais aucun autre homme portant ce prénom.  Je manque peut-être cruellement de culture aussi et ça, je crains qu'il me le fasse lourdement remarqué. Encore une fois, je lui pose une question à laquelle il répond par deux petits mots. A mon avis, on lui vide sa cagnotte à chaque fois qu'il prononce un mot ... C'est pas possible d'être si peu bavard. C'est pas humain. Ne pouvant qu'accepter la réponse qu'il vient de me donner, ne pouvant lui demander d'argumenter plus, je décide de lui répondre à mon tour. «Comme toi. J'avais un peu besoin d'être seule. »

Il ne sait jamais quoi répondre quand on lui demande son état d’humeur. S’il se montrait parfaitement honnête, il se contenterait d’un non simple et concis, mais cela nécessiterait sûrement de s’épancher sur les raisons de sa mauvaise humeur et il n’en a aucune envie. D’autant plus que globalement, s’il fait abstraction des multiples problèmes qui le poursuivent et qui le poursuivront toujours, oui, il va bien, merci. Il lui retourne quand même la question, histoire d’être poli, même s’il espère secrètement qu’elle est plutôt en pleine forme, parce qu’il ne se voit pas jouer au psychologue. Non pas qu’il soit insensible à l’état d’esprit des autres, simplement il n’est pas doué avec les mots. Un léger silence s’installe, ce qui ne déplait pas à Alistair, mais que sa camarade finit par briser en sous-entendant qu’il commence à faire froid. « Je peux te passer mon pull si tu veux. » Il déclare, un peu à contrecœur. Non pas qu’il soit contre le fait de prêter ses affaires ou réticent à l’idée d’être serviable, simplement il porte presque toujours des habits qui cachent ses bras et il se sent un peu mis à nu quand il est obligé de montrer ceux-ci. Pour autant, il n’est pas un monstre qui laissera grelotter la jeune femme si elle commence sérieusement à avoir froid et il ne verra rien à dire quant au fait de lui prêter son pull, sinon il n’aurait pas proposé. Si lui a été en mesure de deviner son identité – même en visant un peu au pif – elle ne peut pas s’en vanter de faire de même, et il se voit contraint de se présenter. Enfin, contraint, ça ne le dérange pas outre-mesure. « C’est écossais. » Si ses souvenirs sont bons. Ses parents lui ont expliqué la signification et l’origine de son prénom au début de son adolescence, autant dire que cela remonte à loin. « Je crois, oui. » Il en a déjà rencontré un ou deux au cours de sa vie, mais globalement, c’est peu répandu, en tout cas bien moins qu’Elsa. Quand elle lui pose la question de savoir ce qu’il fait ici, il lui avoue clairement qu’il s’isole. Mais il n’essaie pas de faire passer un message à la jeune femme pour qu’elle déguerpisse, puisqu’il ne manque pas de lui retourner la question, après tout, elle aussi est seule. Peut-être qu’elle recherchait cette solitude, ou peut-être qu’elle se baladait simplement pour faire passer le temps. La première option est la bonne. « Tu n’as pas l’air d’être du genre solitaire, pourtant. » Il dit, sans attendre de réelle réponse mais plus comme étant un constat qu’il fait à voix haute. Elle a un visage plutôt doux, s’il devait se fier à sa première impression, elle a l’air plutôt gentille et pas forcément réservée. Libre à elle d’en dire plus ou non, de répondre ou non à sa réflexion. « Tu viens d’où, Elsa ? » Il dit son prénom à voix haute, c’est une sorte d’aide pour les mémoriser plus facilement, d’autant plus qu’il n’était pas certain qu’il s’agissait de son véritable prénom quand il s’est décidé à le balancer, un peu au pif, ça ne peut pas lui faire de mal d’essayer de le retenir. Il lui pose cette question un peu basique, mais il a cru déceler un accent dans sa voix, accent qu’il ne parvient pas à identifier.