La lecture est une activité à laquelle j'ai renoncé un jour. Simplement parce que cela me paraissait moins important que le reste, moins important que ma fille, moins important que mon travail. En tant que mère célibataire, mon quotidien tourne essentiellement autour de ces deux choses-là. Il m'arrive évidemment de m'amuser également mais lorsque je le fais, je ne pense pas forcément à lire. Je préfère de loin sortir boire un verre avec mes amis, sortir en boîte pour décompresser et oublier un peu que je suis différente de la plupart des gens de mon âge. Ici,c'est différent. Alors que d'habitude, j'ai l'impression que je n'ai pas assez de vingt-quatre heures dans une journée, ici, je pourrais très bien me contenter de douze. Nous avons moins de choses à faire, moins de devoir ou de tâches à exécuter et nous avons du temps à revendre. Du temps. J'ai trop de temps. Du temps qu'il m'est donc possible de gaspiller en me plongeant dans un livre. La bibliothèque étant l'endroit idéal pour s'adonner à ce genre d'activité, c'est dans celle-ci que je me trouve depuis une dizaine de minutes. Debout devant une étagère, une main posée sur la hanche, je me demande longuement ce que je vais bien pouvoir lire. Je ne sais pas trop ce qu'il y a de bien, cela fait trop longtemps que je ne me suis pas intéressée à ce monde-là. J'en attrape finalement un au hasard, juste en me basant sur la couverture -tout le monde sait que c'est la chose à ne pas faire. Je m'assois sans aucune grâce dans le canapé de la pièce, à vrai dire,je me laisse carrément tomber dedans. J'enlève mes chaussures, j'aime me mettre à l'aise et je m'enfonce complètement dans le canapé, posant mon dos contre l'appuie-bras tandis que j'étends mes jambes de l'autre côté. Une position qui me parait plutôt bien, une position idéale pour le laisser-aller. Tellement idéale que mes paupières se ferment sur le monde qui m'entourent, elles se ferment à maintes reprises et pour une durée un peu plus longues à chaque fois que je tourne la page. Finalement, le sommeil me cueille, me ramasse et m’emmène dans un monde parallèle. Le monde des rêves. Le livre s'écrase sur ma poitrine, j'ai l'impression que rien au monde ne peut me déranger dans cette sieste. Une activité un peu ridicule quand on sait qu'il s'agit de ma journée d'anniversaire. Une journée où je suis censée m'amuser et non pas faire des siestes comme une grand-mère de quatre-vingt ans.

Des caresses se font ressentir sur mon visage, des doigts glissent sur mon visage, de mon front à mon menton. Et ce regard, je le sens poser sur moi. C'est sans doute ce dernier qui me pousse à ouvrir les yeux pour fixer une identité à cette personne qui m'épie depuis quelques secondes. Les caresses, elles, ne m'auraient aucunement sorties de mon sommeil, au contraire, elles étaient drôlement apaisantes et me rappelais un peu l'époque où ma mère me couvrait de caresses pour m'endormir. Une époque où j'étais la personne la plus importante au monde pour elle, une époque où j'étais la seule à compter. Après, plus rien n'a plus jamais été pareil malheureusement. C'est Percy que je découvre et je suis surprise de tant de douceur. Enfin, une douceur qui ne dure pas bien longtemps puisqu'il me pince subitement la joue tandis qu'il me montre le livre qui m'avait, quelques minutes plus tôt, plongée dans une sieste improvisée. «T'as pas idée» articulais-je en étendant mes bras au dessus de la tête. On ne peut pas dire que ce canapé était le meilleur endroit pour faire une sieste, je sens déjà les douleurs musculaires arrivées. «Pour ce qui est de se la jouer belle au bois dormant, c'est raté» constatais-je alors. Il n'y a pas de prince charmant au sein de ce nid, il n'y a que des hommes. Rien que des hommes qui ne sauront jamais à la hauteur du prince des contes de fées. Un prince dans lequel j'ai longtemps cru. «C'était un baiser qui devait me tirer de mon sommeil, pas des caresses » lui expliquais-je alors. Visiblement, il n'avait pas tenu à rejouer la scène à la perfection, il avait sans doute sa propre vision du conte. «Si tu veux, on peut réessayer, regarde, je ferme les yeux »  Un sourire malin se dessina tandis que je m'exécutais pour clore une nouvelles fois mes paupières. C'était sans doute une façon pour moi de contrôler que le jeu faisait toujours parti de nos vie, que le moment passé ensemble lors de la semaine dernière n'a rien changé à la relation que nous partagions. Je n'ai pas envie que cela change, je n'ai pas envie de le perdre.

Les caresses délicates sur le visage c'est bien mais c'est beaucoup moins amusant, beaucoup moins plaisant que de recevoir un baiser. Ou plutôt de jouer que l'issue du conte pour simplement vérifier si ce que nous avons partagés la semaine dernière n'a rien changé à la relation que nous connaissons depuis que nous nous sommes croisés dans la loge à maquillage pendant la période des casting. Une relation qui me plaisait énormément et que j'avais absolument pas envie de voir changer. Je craignais pourtant, que le candidat soit fidèle à sa réputation et qu'il se lasse de moi dès qu'il aurait obtenu ce qu'il cherchait. J'essaie donc de ne pas y penser, j'essaie de me comporter comme je le fais à chaque fois en sa présence et j'espère que cela sera efficace. Après lui avoir demandé de respecter la véritable tournure de l'histoire de la belle au bois dormant, je ferme les yeux et les mains posées sur mon estomac, j'attends simplement qu'il s'exécute. Qu'il me prouve que j'avais raison de ne pas le croire et de m'attacher à sa personne, qu'il me prouve qu'on est encore capable de s'amuser et de passer des moments agréables ensemble. Les yeux clos, je ne peux me fier qu'à mes autres sens. C'est son souffle que je sens se rapprocher de moi dans un premier temps - ce qui est plutôt bon signe- et ce sont ses lèvres que je sens se poser sur les miennes dans une infinie douceur. Ma main se glisse alors dans sa nuque que je caresse délicatement avec mon pouce, cela n'a rien de sauvage et ce baiser ne ressemble en rien à celui que nous avons partagé la semaine dernière. Il n'est cependant pas moins déplaisant. Différent mais agréable tout de même. Et puis, il se détache de moi et s'éloigne légèrement pour me dire quelque chose que je trouve assez étonnant. Pourquoi est-ce qu'il me parle d'Andreja soudainement ? Pourquoi est-ce qu'il se sent toujours obligé de me rappeler qu'il n'est pas le gendre idéal ? Je souffle un peu et roule des yeux pour lui montrer qu'il dit n'importe quoi. Je me redresse finalement pour passer de la position couchée à la position assise et ainsi, lui laisser un peu de place pour pouvoir s'asseoir également. «Qu'est-ce qui te fait croire que je cherche absolument le plus charmant du paquet ? » Ca me parait assez clair, si c'est ce que j'avais voulu, je n'aurais certainement pas craqué sur Percy. Moi j'aime ce que nous partageons et je n'ai pas envie de réfléchir plus loin que cela, je n'ai pas envie qu'il me demande de me projeter dans le futur parce que je préfère vivre le moment présent.  «Et pourquoi est-ce que tu me parles d'Andreja ?  » Ce n'est pas la même chose. J'apprécie les deux candidats mais pas de la même façon. Je ne saurais dire celui que je préfère et je ne veux pas avoir à le faire. J'apprécie les deux, chacun à leur façon et cela s'arrête là.  «Je n'ai pas envie de t'entendre me dire, une fois de plus, que je ne dois pas m'attacher à toi, que je ne dois pas attendre quelque chose de toi. Je le sais.» Et ce n'est pas pour cela que j'exécute ses demandes puisque je me suis bel et bien attachée à lui. Je sais ce qu'il veut mais je ne me sens pas obligée de lui obéir. D'ailleurs, si il avait été présent sur le prime, il saurait ce que j'ai pu dire durant le détecteur de mensonge et je pense que cela l'effraierait un peu. Je le connais, je sais qu'il n'a pas envie de m'entendre dire ce que j'ai pu dire sur ce prime. Je sais qu'il n'a pas envie de m'entendre parler de sentiments à son égard.