La falaise majestueuse l'aspire vers le bas dans une chute qu'il a imaginé une centaine de fois depuis qu'il a intégré le nid. Ghika n'aimait pas le vide jusqu'à il y a quelques temps. Mais apprendre à marcher sur un fil dans le gymnase lui a donné le goût du risque, il a développé cet attrait pour le vide, la sensation d'être aspiré par un trou béant. C'est cette même sensation qui l'a bouleversé il y a une semaine de ça quand Auguste lui a annoncé qu'il quittait l'aventure. Il n'ose pas imaginer dans quel état se trouve Clémentine, sa partenaire de la première semaine, qui a noué avec Hadrien des liens forts et solides. Aussi, sa promenade prend-elle une toute autre tournure quand il la voit, seule, assise sur le banc au bord de la falaise. Il longe le bord, sécurisé, depuis cinq minutes, mais ce n'est qu'en voyant les cheveux blonds agités par le vent qu'il décide d'aller la voir. Ils s'entendent bien, oh ils ne sont pas les meilleurs amis du monde et il se doute bien qu'il ne pourra rien dire ou faire pour apaiser le trouble qui l'agite et la colère qui doit l'habiter face à ce départ. En arrivant derrière elle, Ghika pose délicatement une main sur son épaule avant de la contourner et de s'asseoir à ses côtés. Silence, calme et solennité habitent l'air, une ambiance dont Ghika ne sait que difficilement s'accommoder. « Tu veux en parler ? » demande-t-il doucement, sans chercher à la brusquer. Sa réponse importe peu, Clémentine est bien assez grande pour gérer elle-même la situation, il le sait pertinemment. Il veut juste qu'elle sache qu'il est là. Voilà tout.

Quand Clémentine répond à sa question Ghika esquisse un sourire. Evidemment qu'elle ne peut pas balancer tout ce qu'elle a sur le cœur, ce serait griller toutes ses cartouches en un coup et franchement à ce stade du jeu, avoir quelques cartes en main est un luxe dont personne n'a envie de se passer. « Tu veux qu'on essaie le langage codé ? » demande-t-il mi-amusé mi-sérieux. Ils ne sont pas cons, ils devraient être capable de communiquer sur un sujet comme celui-là de façon suffisamment discrète pour que seuls eux comprennent. Qu'aucun intrus ne surprenne leur conversation en s'incrustant sur le banc ou qu'une personne dans la salle de contrôle n'en déduise des choses. Déséquilibrée. Le mot est fort, plein de sens. C'est marrant, Ghika trouve que ça ne lui correspond pas. Elle est forte Clémentine, elle a une volonté de fer. Il le sait, il le sent. « Tu trouveras des gens pour retrouver une stabilité. Pas que tu aies besoin de qui que ce soit pour tenir debout. » dit-il avec un petit sourire chaleureux. Il admire les personnes capables de vivre par elles-même, de ne pas avoir besoin de quiconque pour se relever quand leur monde est perturbé. Il en fait partie, parfois, d'autres fois il a du mal à ne pas s'effondrer face à un obstacle ridicule. Ce n'est pas comme s'il aimait ça, c'est juste que les problèmes normaux ne lui sont pas toujours familiers, ou du moins qu'il n'arrive pas à intégrer comment les résoudre. « J'ai aucun doute là dessus. » répond-il d'un ton assuré. Clémentine et Hadrien ne peuvent pas ne pas se revoir, leur alchimie est trop frappante pour ne pas être remarqué par un œil avisé. « Tu écoutais quoi ? » questionne-t-il en pointant du doigt le lecteur de musique. C'est pas tellement qu'il veut changer de sujet, c'est plus qu'il a le sentiment que reste concentré uniquement sur le départ d'Hadrien n'a aucune vertu curative sur le vague à l'âme que connaît son ancienne partenaire.

En parlant de code secret, Ghika se sent un peu ramené en arrière. Dix-neuf ans plus tôt pour être exact, quand il vivait encore en Louisiane. Parce qu'il ne sait pas quoi ajouter à la réponse de Clémentine, et qu'il trouve l'anecdote amusante, il se dit qu'elle vaut la peine d'être racontée. « Quand j'étais gosse j'avais inventé un langage secret. Il me servait à rien puisque j'avais personne avec qui le pratiquer à la maison et qu'à l'école j'avais tendance à être celui à qui on parlait pas mais bon. Ghika-sans-parents... c'cruel les gosses franchement ! » Ce surnom il l'avait traîné pendant... des années, un truc d'enfants, une connerie qui avait pris des proportions un peu trop grandes le jour où il s'était retrouvé à l'infirmerie pour avoir frappé un camarade classe qui s'était mis en tête de répéter ce surnom cinquante fois sans s'arrêter. Evidemment, le maigrichon était celui qui avait atterri à l'infirmerie alors qu'il avait porté le premier coup... Tirant un trait sur ce souvenir malheureux, il reporte son attention sur son ancienne partenaire. « J'en suis sûr. » accorde-t-il quand elle se dit déjà redressée, qu'elle est prête à le faire dix mille fois de plus. Quant à être à la hauteur des attentes de Ghika, ce n'est pas une question qu'il se pose. « Tu me forces à me répéter mais, j'ai aucun doute sur le fait que tu ne me décevras pas. T'as trop de caractère pour ça. » admet-il en souriant. Clémentine est la seule fille avec laquelle il ait été en couple dans le nid et pourtant elle reste à bien des égards la plus mystérieuse à ses yeux. Il sait cependant, pour y avoir assisté aux premières loges, qu'elle ne manque pas de caractère aussi, ce n'est que justice qu'il lui accorde sa confiance quant à sa capacité à remplir toutes ses espérances. Il met l'écouteur qu'elle lui tend dans l'oreille gauche, attentif il décrypte ce qu'il peut de la musique sans reconnaître. « Non, ça me dit rien. Mais tu sais, moi j'ai besoin qu'il y ait des paroles. C'est le texte qui me parle avant la musique. » Une façon comme une autre de souligner l'évidence. Ghika qui préfère écouter les mots que l'absence de discours ? Parlez d'un sccop !