empty chairs at empty tables
ft. Lou & Andreja

A peine le prime terminé Andreja avait quitté le plateau pour sortir prendre l'air, loin de la cohue et du bruit. Pia l'avait bien rejoint à un moment donné mais il avait invoqué le fait de ne pas avoir encore sommeil et l'avait laissée monter se coucher toute seule en assurant qu'il la rejoindrait plus tard. Mais il ne s'était pas pointé finalement, ce fourbe de sommeil, et alors que le ciel laissait peu à peu place à cet entre-deux grisâtre entre le jour et la nuit, Andreja lui vagabondait toujours d'un endroit à l'autre du jardin, de la forêt, de la falaise ou de la plage. Comme s'il marchait en direction du marchand de sable sans parvenir jamais à le rattraper. Et il n'y avait pas trente-six raisons à cela, il avait la tête trop pleine, d'impressions sans mots à mettre dessus, de questions, de souvenirs ... ça cogitait simplement trop pour qu'il ne parvienne à dormir. Il n'avait pas fait assez attention durant le prime, pas assez scruté les réactions de ses camarades concernant les réponses à son détecteur pour déceler l'oeil brillant d'une idée venue grâce aux réponses venues concernant son secret, ou le regard accusateur allant de paire avec le jugement qu'on réservait à ceux qui avaient connu les joies de l'enfermement pénitencier, pour quelque raison que ce soit. Il n'avait pas fait attention ou bien il n'avait pas voulu chercher, se berçant encore durant quelques heures dans l'illusion que ces questions seraient vite oubliées et que personne ne s'en servirait contre lui à l'occasion d'un buzz. L'aube pointant enfin le bout de son nez ses pas l'avaient conduits jusqu'au stade, où il avait eu la surprise de trouver un Lou soit terriblement lève-tôt, soit terriblement couche-tard. Au choix. L'observant un instant de loin, assis dans les gradins, il s'était finalement décidé à le rejoindre et, parcourant la distance qui les séparait d'un pas tranquille il s'était assis non loin de lui. « Tu rester toute la nuit là ? » Ce n'était en rien un reproche, du tout, c'était simplement une question comme ça, histoire de tâter le terrain, de savoir si la tête de déterré qu'il avait était due au manque de sommeil ou bien si c'était simplement le poids de tout ce qu'il donnait l'air de trainer derrière lui comme un boulet. « Tu devoirais parler à Tilda. » Lui parler pour de vrai, mettre les choses à plat, il n'en savait rien, mais il fallait d'urgence que ces deux-là face quelque chose parce que c'était tout bonnement stupide, de se regarder ainsi d'un air abattu mais de ne plus être capables de communiquer. « Tu fumes pas, toujours ? » avait-il enfin demandé machinalement, tout en sortant son paquet de cigarettes et son briquet de la poche de sa veste. Sa consommation de cigarettes à lui était en dent de scie, dehors il fumait occasionnellement, durant ses premières semaines ici il avait fumé comme une cheminée, avant de se calmer, et repartir depuis peu de plus belle. On lui avait retiré l'alcool, il s'était donc cherché un autre vice.

Finalement, je n’avais même pas pris la peine de retourner sur le plateau après l’avoir quitté. Je n’avais pas été éliminé, et Sacha non plus. Alors je n’avais aucun intérêt à retourner là-bas. Autant traîner comme une âme en peine dans le nid. Pour changer. Je n’avais plus franchement l’impression d’être moi-même dans ce nid, et c’était quelque chose qui me tracassait. Les choses changeaient. A commencer par ma relation avec Tilda. Elle m’avait fait comprendre qu’elle n’avait pas besoin de moi et ne voulait pas de moi en me repoussant lors du prime. Et bien évidemment, ça m’avait blessé. Plus que je ne l’aurai pensé. Mais qu’est-ce que je pouvais y faire ? J’avais l’impression de le mériter. Après avoir tenté de dormir - en vain - j’avais compris que ça ne servait à rien d’insister. J’avais donc enfiler un jogging, un gros pull, mes baskets et je m’étais dirigé jusqu’au stade. Il devait être 3h du matin, peut-être 4. Je n’avais plus vraiment la notion du temps, de toute manière. Et j’ai couru. Pendant un long, long moment. J’ai couru à en perdre le souffle, et surtout à en oublier mes problèmes. C’était la seule solution. Courir. Je n’avais plus le droit à l’alcool pour oublier, alors je trouvais un autre moyen. Et la course remplaçait plutôt bien la vodka, et autant dire que c’était franchement plus sain, hm. Je ne m’arrête que lorsque mes jambes me lâchent et me crient de stopper le carnage. Je mets au moins une bonne vingtaine de minutes avant de reprendre mon souffle normal après cet effort intense, alors que je me suis installé dans les gradins. Le regard sur l’horizon, je me remets malheureusement à penser. Mais la voix de Andreja m’extirpe de ma bulle. J’hoche la tête à sa question. «  Je n’arrive pas à dormir. » je dis tout simplement comme si ce n’était pas vraiment important. Je rattraperai ça un autre jour, j’avais encore tellement de jours et de nuits à passer dans ma vie. «  Toi aussi ? » je lui demande alors, me doutant quelque peu de la réponse. Et je lâche un léger soupire à ses paroles. Tilda. Lui parler. C’était deux choses qui n’allaient pas vraiment ensemble en ce moment. «  Qu’est-ce que tu veux que je lui dise ? » je demande alors qu’un léger sourire triste se dessine sur mes lèvres, comme pour lui faire comprendre qu’il n’avait pas à s’inquiéter pour ça. Il n’y avait rien à dire. Elle savait déjà tout. Elle savait même ce que je n’avais pas dit, tout simplement parce que j’avais l’impression qu’elle pouvait lire en moi comme un livre ouvert. «  Elle a été très claire. » Du moins à mes yeux elle l’a été. Son message était passé, elle n’avait pas besoin de moi, et ne me pardonnerait pas. D’un côté, ce n’était pas étonnant. Mais ça n’empêchait pas que ça me foutait un coup au moral. «  Ça serait débile que tu meurs d’un cancer du poumon tu sais. » je lui dis, lui montrant par la même occasion que la réponse était bel et bien non. Je ne fumais toujours pas. Même si ces derniers temps la tentation de reprendre était forte, j’avais réussi à résister.

Il ne s'attendait pas vraiment à croiser qui que ce soit dehors, et encore moins au stade, à une heure aussi matinale. Il était encore tôt, même pour ceux habitués à ne pas trainasser au lit jusqu'au milieu voir jusqu'à la fin de la matinée, et même le soleil n'était pas encore entièrement levé. Pourtant les gradins n'étaient pas aussi vides qu'à l'accoutumée, et même de loin il n'avait pas fallu longtemps au serbe pour reconnaître la silhouette de Lou, sans pour autant se presser plus que de raison tandis qu'il avançait dans sa direction. Le marin ne semblait même pas l'avoir remarqué, à vrai dire à mesure qu'il se rapprochait Andreja avait de plus en plus l'impression que si son enveloppe était ici son esprit lui était totalement ailleurs, assez pour n'avoir remarqué qu'il n'était plus tout seul qu'une fois qu'on lui avait adressé la parole. « Je n’arrive pas à dormir. Toi aussi ? » Il avait secoué vaguement la tête, s'installant à côté de Lou en étirant ses jambes devant lui, ses ses butant contre la rangée de gradins du dessous. « Je pas essayer. » Cela réglait encore plus rapidement le problème, soit. Et pour l'instant la fatigue n'était pas encore venu le cueillir, il ne dirait sans doute plus cela dans quelques heures mais pour le moment il était parfaitement éveillé, assez pour que, s'il ne portait pas toujours les affaires qu'il avait au prime la veille, il ait pu facilement faire croire qu'il était simplement du genre lève-tôt. Mais il ne voyait aucune raison de mentir à Lou, alors à quoi bon inventer une excuse. Au lieu de cela il avait préféré atteindre directement le coeur du problème et lui conseiller d'aller parler à Tilda ; Il n'était pas certain que ce soit la seule chose qui préoccupait Lou à cet instant, mais cela en faisait assurément partie, et à lui cela lui faisait un peu mal au coeur de les voir fâchés. « Qu’est-ce que tu veux que je lui dise ? » Ah mais lui ne voulait rien en particulier, Lou pouvait bien se débrouiller comme bon lui semblait et utiliser les mots et les stratagèmes qu'il préférait. « Elle a été très claire. » Presque malgré lui le serbe avait levé les yeux au ciel, légèrement. C'était la solution de facilité, ça, rejeter la faute sur Tilda en l'accusant d'être celle qui ne voulait pas que les choses s'arrangent. Pour qu'un dialogue soit rompu il fallait pourtant des torts des deux côtés, généralement. « Elle juste besoin de un peu de temps ... » De temps pour quoi il n'en savait trop rien, et il n'était pas assez intrusif pour avoir posé directement la question à la concernée, mais pour avoir passé le reste du prime à côté de Tilda et l'avoir écoutée soupiré qu'elle n'aurait pas du repousser Lou ainsi, il était certain que Lou noircissait beaucoup le tableau. « Ça pas être ce que tu faire, avec Sacha ? » C'était peut-être un peu présomptueux de sa part, d'affirmer alors qu'il n'avait en réalité aucune preuve de ce qu'il avançait, mais pourtant il ne pensait pas être si éloigné de la vérité. Prendre un peu de temps, et de recul, cela semblait être ce qu'avait décidé Lou vis à vis de Sacha à en juger par ce qui avait été diffusé lors de la chronique d'Akela. Sortant finalement son paquet de cigarettes et son briquet de sa poche il avait demandé, à tout hasard, si Lou était encore dans le clan des non-fumeurs « Ça serait débile que tu meurs d’un cancer du poumon tu sais. » C'était toujours la même excuse imparable des non-fumeurs, celle-ci. Le cancer du poumon censé faire soudainement prendre conscience au fumeur qu'il jouait au con avec sa santé, alors que bon, si cela lui faisait si peur que cela Andreja aurait arrêté bien plus tôt. Voir pas commencé, parce qu'à vrai dire il n'était pas fumeur avant de s'installer à Chicago, il avait seulement suivi le mauvais exemple de certains de ses collègues. « Je avoir des autres occasions pour mourir avant ça. » avait-il simplement répondu du bout des lèvres, d'un ton presque résigné, tout en faisant jaillir une flamme de son briquet pour allumer la cigarette qu'il avait coincé entre ses lèvres. C'était dit sur le ton de la connerie et pourtant cela avait plus de sens que le serbe ne voulait bien le dire. Le cancer des poumons ne serait peut-être pas ce qui le tuerait en premier, et de toute façon on ne refaisait pas le monde avec des spéculations.