+ ARIADNE

Il était tard, peut-être même trop tard pour trainer sur les hauteurs du nid, et pourtant je ne trouvais vraisemblablement pas sommeil. Ça n'était ni ma partenaire ni les autres candidats dormant dans la chambre, non, simplement un coup de malchance, ou une mauvaise lune. En vérité, je n'arrivais simplement plus à arrêter ce flux insensé de pensées traverser ma tête. Des moments passés refaisaient surface, anodins ou non, alors qu'une vieille musique dont je n'arrivais plus bien à resituer la mélodie longeait les parois de mon crâne en un comptine des plus agaçante. Alors voilà, j'avais fini par quitter mon lit, enfilant un pantalon de nuit et un débardeur pour ne pas avoir à rencontrer qui que ce soit en sous-vêtements. Je quittais ma chambre d'un pas agacé sans même me rendre compte que quelqu'un me suivait. Il faut dire que j'avais sacrément la tête ailleurs, et que l'expression plutôt dure sur mon visage ne semblait pas vouloir se dissiper. Grimpant à toute vitesse l'échelle menant jusqu'au toit, je sentais que j'avais de plus en plus besoin d'air. Oui, j'avais besoin de respirer. Cette première semaine était plus compliquée qu'elle n'y paraissait, et pourtant, elle n'était même pas encore terminée. J'étais fatigué oui, ce qui avait tendance à jouer quelque peu sur mon moral. Arrivant sur le toit, j'inspirais profondément, tentant de me calmer comme je le pouvais. Et puis d'un coup, mon coeur s'emballa au moment où je sentis quelque chose toucher mon épaule. Instinctivement, je me retournais et plaquais la personne concernée contre la paroi de l'ascenseur. Mon souffle se voulait saccadé alors qu'à seulement quelques centimètres du visage de ma victime, je reconnaissais Ariadne, à qui j'avais adressé la parole lors de la semaine passée. J'inspirais fortement, alors que mes lèvres frôlaient les siennes, mon regard observant celles ci alors que je murmurais un « Qu'est ce que tu veux ? » que je n'arrivais même pas à rendre agressif.

C'était encore ce maudit mauvais rêve. Celui qui revenait en boucle à peu près tous les deux mois. Je le savais. J'étais à moitié conscient, oui, pas même besoin de sentir les bras de Morphée m'envelopper pour revoir ces images, entendre ces paroles. Ces seules paroles, les dernières. J'avais choisi de partir, de fuir comme je le faisais toujours, simplement parce que c'était plus simple. Parce que c'était plus simple de regarder ailleurs, de recommencer. C'était un peu ce que je faisais ici, encore, je recommençais. Et si je ne m'en étais pas rendu compte avant aujourd'hui, je le réalisais petit à petit alors que mon corps tout entier était rongé de ressentiments. Cette nuit là ne serait pas pour moi. Cette nuit là ne serait pas agréable. Cette nuit là passerait lentement, je le savais. Alors, après une énième tentative, j'avais capitulé, quittant la chambre pour rapidement rejoindre la terrasse où l'air pollué de l'extérieur s'engouffrait dans mes poumons. J'avais besoin de ça. Je tentais cependant de ne pas regarder par dessus la balustrade, de peur d'avoir des vertiges, n'étant pas à l'aise avec la hauteur. L'obscurité m'aidait beaucoup. Tout était si sombre à un heure comme celle ci, et pourtant il y avait encore des corps animés autour de moi, puisque je venais d'en percuter un, le maintenant contre la paroi de l'ascenseur. Ariadne. Une part de moi espérait ne pas lui avoir fait mal, alors que l'autre lui en voulait presque de m'avoir suivi. Elle n'avait rien à voir là dedans après tout. C'était seulement moi, faisant face à mon reflet une nouvelle fois. Moi dans ma bulle, comme j'avais l'habitude de l'être, ça passerait. Je sentais son souffle se disperser sur mes lèvres alors qu'elle me demandait ce qui n'allait pas. Mes paupières battaient. Je n'avais pas réellement envie de lui répondre. Peut-être n'en sentais-je pas encore le besoin. Si bien que les seules paroles que je réussis à murmurer furent « Change moi les idées. » Oui, j'avais simplement besoin de penser à autre chose, et maintenant qu'elle était là, elle ne pouvait qu'accepter. D'ailleurs, je n'osais même plus la relâcher, mon corps encore collé au sien sans pour autant lui faire le moindre mal. La tendresse retrouvait peu à peu sa place alors que mes prunelles fixaient les siennes.

Je ne savais pas vraiment ce qu'il me prenait, ça ne me ressemblait pas. Je crois que le manque de sommeil m'avait littéralement transformé en une boule de nerfs ambulante. Il fallait que je me calme, et quelque part, sa présence m'aidait tout de même à respirer, à penser à autre chose. Mes prunelles se décollaient peu à peu des siennes pour venir longer ses lèvres, lui demandant, ou non, exigeant qu'elle me change les idées. Elle n'y était pour rien Ariadne, oui, elle n'y était pour rien dans tout ce soudain malêtre qui me rongeait. Je ne comptais pourtant pas lui en parler, parce que je ne me sentais pas non plus en confiance. Il m'en fallait bien plus, bien plus que ça, bien plus qu'elle pour le moment. Aussi, elle s'exécuta. Une caresse, et puis deux, si bien que mon corps finit par se refermer autour du sien, ma tête venant se déposer sur son épaule alors que mes bras se nouaient autour de son corps. Ça n'était pas grand chose, juste une étreinte, mais Dieu que ça me faisait du bien. Si Morphée ne m'avait pas voulu dans ses bras, je pouvais toujours me réconforter autrement. Me retirant petit à petit, mes billes bicolores avaient un court instant longé le visage de la jeune femme avant de reculer d'un pas. Et puis deux. « Merci. » finis-je par murmure avant d'ajouter « Je ne sais pas ce qui m'a pris. » et c'était réellement le cas, tout ceci ne me ressemblait absolument pas. « Je suis fatigué. »