Pour Cillian à la base, mais on est pas sectaires

Lula n'était pas habituée à dormir des heures durant, même après une soirée embuée d'alcool. Elle était bien trop dynamique & volubile pour ça et l'inaction sous toutes ses formes la faisait vomir. Enfin, pas littéralement. Seulement, ce matin là, elle s'était éveillée bien tard et avait frôlé la crise cardiaque en découvrant Cillian à ses côtés. Bordel, ah oui, c'est vrai : elle n'était pas dans sa chambre d'enfant à Cardiff mais bel & bien en Irlande, dans une émission de télé réalité, à dormir dans le même lit qu'un parfait inconnu. N'importe qui aurait pu trouver la situation parfaitement creepy, mais Lula était d'une coolitude impeccable et d'une nonchalance telle que rien ou presque ne la dérangeait, le temps qu'on ne bafouait pas ses principes. La jolie brune partit à la recherche de quoi grignoter et décida de réveiller Cillian avec un café tout chaud & des tartines. Oui, elle était plutôt mignonne dans son genre. Non, ça n'allait pas devenir une habitude. Disons que Ci' ne lui avait pas semblé hyper à l'aise lors de la soirée de lancement et qu'en plus, elle avait décrété qu'elle l'appréciait. Certes, elle ne le connaissait pas mais ça n'allait pas tarder. Et Louise aimait se targuer d'être une excellente juge de la nature humaine, qui ne se trompait que trop rarement. Cillian l'attirait, et elle avait hâte d'apprendre à le connaître & de comprendre pourquoi la production avait décidé qu'il serait son partenaire. Etaient-ils de parfaits opposés absolument pas faits pour s'entendre ou au contraire, des gens complémentaires dont l'association était tout sauf hasardeuse ? Lorsque le garçon s'éveilla, Lula déposa son plateau sur son lit accompagné d'un sourire lumineux, avant d'ajouter d'un ton sympa mais catégorique : Ah, enfin, tu es réveillé ! Tiens, c'est pour toi. Profite-en parce que c'est sûrement la première & dernière fois que ça arrive... je n'aimerais pas passer pour le stéréotype de la bobonne des années cinquante, alors que cette image me révulse au plus haut point. Lula marqua un silence, avant d'ajouter :Quand tu as fini, rejoins-moi sur le toit, il y a un jacuzzi que je meure d'envie d'essayer et des questions que je meure d'envie de te poser, aussi. Louise lui décocha un clin d'oeil malin avant de disparaître dans la salle de bains se changer pour filer sur le toit. Elle avait vraiment hâte de gratter la carapace de Cillian et de découvrir la personnalité sûrement renversante qui s'y terrait.

Lula n'avait jamais mis les pieds dans un jacuzzi. Elle n'avait pas grandi dans le luxe & l'opulence et franchement, tout ça lui passait au dessus. Elle n'était ni matérialiste, ni consumériste et dépenser de l'argent pour de l'eau chaude bouillonnante ne lui avait jamais traversé l'esprit. Mais elle pouvait néanmoins comprendre ceux qui en raffolaient. Elle avait simplement d'autres hobbies et préférait passer des heures à peindre plutôt qu'à barboter dans de l'eau brûlante qui la rendrait fripée avant l'âge. Néanmoins, Louise n'était pas sectaire & toujours partante pour tester de nouvelles choses, et elle n'allait pas se priver pour sauter dans ce jacuzzi qui n'attendait qu'elle. Enroulée dans sa serviette, la brunette la laissa tomber au sol, dévoilant un bikini à son image : coloré et déstructuré. Le haut était à motif liberty, frais & mignon, tandis que le bas échancré était uni. Bref, c'était totalement dépareillé parce que Lula détestait associer ses sous vêtements pour une raison qui lui échappait... et ça comptait aussi pour les maillots de bain. La jolie brune releva rapidement ses cheveux avant de se laisser choir dans le bain bouillonnant et étrangement, elle apprécia carrément ce luxe inutile. Sa chaleur jurait agréablement avec la fraîcheur irlandaise et elle aurait presque pu s'assoupir un instant si elle n'attendait pas Cillian avec impatience. Qui finit justement par faire son apparition. Le visage de la jeune femme se fendit d'un sourire mutin, tandis qu'il prit place à ses côtés. « Ne t'en fais pas pour ça, je ne comptais pas là dessus. Ca manquerait cruellement de saveur & d'originalité maintenant que je l'ai fait. Mais j'ai confiance, je sais que tu trouveras un truc encore plus cool à faire. » Son sourire s'intensifia, tandis qu'elle réprimait une folle envie de rire. Cillian avait le visage fermé et elle n'avait pas franchement envie de l'incommoder en lui riant au nez, même si il n'y avait aucune moquerie derrière. Soudain plus grave, Louise plongea son regard dans celui de Cillian comme si elle espérait lire en lui, avant de souffler d'un ton bien plus feutré que d'habitude, sans le lâcher des yeux. « Ce que je veux savoir... et bien, le genre de choses dont tu n'aurais pas envie de parler, justement. L'âge, le métier, le lieu de naissance, toutes ces banalités c'est bien joli mais ça ne m'apprend pas qui tu es réellement. Et moi, c'est ça que je veux connaître. » La jolie brune marqua une pause théâtrale, avant de poursuivre. « Qu'est-ce qui te définit en tant que personne, Cillian ? Tes peurs, ce qui te fait avancer dans la vie, même ta chanson préférée si ça peut aider. »

Lula n'ôtait pas son regard d'une intensité certaine de celui de Cillian. Elle attendit patiemment qu'il réponde. Elle voyait bien qu'elle le gênait et que ses questions l'importunaient. Tout son visage semblait refléter ce sentiment. Du peu que la production lui avait dévoilé sur Cillian (quelques phrases simplement, mais d'une importance capitale) et de ce qu'elle discernait, elle éprouvait d'ores & déjà quelque chose pour lui. Elle ne le saurait le définir. Peut être une certaine tendresse teintée d'admiration. Si elle avait pu, Louise aurait aimé ôter toute sa souffrance quitte à la récupérer. Elle avait l'habitude de vivre avec des plaies béantes : ça ne cicatrisait jamais, mais on finissait par s'y faire. Son caractère solaire l'aidait néanmoins beaucoup, alors que celui plus lunaire de Cillian ne devait que le tirer vers le bas. Quand il prit enfin la parole, la brunette resta suspendue à ses lèvres, littéralement. Elle était certes bavarde, mais contrairement à tous ceux qui n'attendaient qu'une chose, que ce soit leur tour de parler, elle écoutait réellement ce que les autres avaient à exprimer. Sincèrement. Lula était optimiste, idéaliste, même. Mais avant tout, elle était une humaniste : elle croyait en l'Homme envers & contre tous. Ce qui définissait Cillian, c'était donc ses craintes qui l'empêchaient d'avancer. Louise commençait à comprendre pourquoi la production les avaient collé ensemble : elle était l'opposée d'une control freak, impulsive et souvent irréfléchie. Sa vie et tout chez elle était un chaos. Un bordel, mais organisé. « Tu finiras par aller quelque part, crois-moi. » Un maigre sourire prit possession de ses lèvres. Si il ne venait pas de lui avouer qu'il avait un grave problème avec l'intimité et les relations interpersonnelles, Lula lui aurait bien pressé la main. Simplement. A la place, la jeune femme prit une grande inspiration avant de se lancer, de manière beaucoup moins structurée que Cillian. Elle ressentait avec une force peu commune, mais était bien souvent incapable de mettre un mot sur ses sentiments, angoisses & j'en passe. « J'ai... » La brunette semblait avoir perdu sa langue. Elle garda le silence une minute qui lui parut une éternité, avec la désagréable impression d'être mise à nue, elle qui pourtant disposait d'une confiance en elle inébranlable - sans parler de prétention. « Ma chanson préférée est Bohemian Rhapsody, de Queen. J'ai peur de l'abandon. » Lula joua un instant avec le bracelet qui ornait son poignet avant de continuer laborieusement « Ce que je cache, c'est un besoin maladif d'affection. Je suis du genre à me jeter dans la première histoire foireuse qui passe à ma portée et à m'y accrocher avec désespoir. J'ai besoin d'aimer et d'être aimée. Un psy dirait sûrement que c'est parce que ma première famille m'a abandonnée, que ma mère en a fait de même pour un snobinard quelconque et que mon père aurait préféré mourir plutôt que de m'élever. Peut être. Mais je crois que c'est plus profond que ça. La solitude m'angoisse. » Lula avait évité de regarder Cillian tout le long de son monologue hésitant. Elle cessa de fixer ses jambes floutées par l'eau pour reposer son regard sur son partenaire. « Quel est ton moteur, dans la vie ? Qu'est-ce qui te pousse à continuer, peu importe tes angoisses et tes problèmes ? »

Louise n'avait plus l'impression d'être dans une émission de télé réalité, c'est à dire dans un cadre plutôt superficiel, avec des dizaines de caméras braquées sur elle en permanence. Non, là, dans ce jacuzzi avec Cillian, ils s'étaient transportés ailleurs, presque hors du temps. L'atmosphère était étrange à la fois intimiste & sombre, presque poétique. Le garçon dégageait ce charisme brut & cette détresse palpable que Lula trouvait presque belle. Elle était une fille un peu rêveuse, pas franchement à l'aise dans son époque, bercée par les drames romantiques et autres épopées aussi chevaleresques que torturées d'un autre temps... que Cillian incarnait à merveille. La jeune Anglaise était toujours davantage intéressée par les failles des gens, leurs défauts, leur désespoir que par l'image qu'ils essayaient de donner en public. Oh bien sûr, une carapace était nécessaire en société, mais Lula n'était pas de ceux qui s'en contentaient, loin de là. Ecouter Cillian lui fendit néanmoins le coeur. Son pessimiste était tel que ça en était vraiment triste. La vie qu'elle considérait comme le plus merveilleux des cadeaux semblait si morne aux yeux de son partenaire que Lula en fut bouleversée. Vraiment. Elle aurait aimé que, rien qu'une journée, il puisse voir la vie à travers ses yeux à elle, pétillants d'optimisme. On pouvait railler son idéalisme démesuré et la confiance aveugle qu'elle plaçait en l'humanité, ça rendait la vie nettement moins délicate. Louise esquissa une moue perplexe, presque triste, avant de réfléchir. Que pouvait-elle répondre à ça, pour rendre le tableau moins sombre ? Pas grand chose. Cillian camperait sûrement sur ses positions : ils étaient radicalement différents sur ce point là. Mais tous les deux plutôt paumés. La jeune anglaise, pensive, finit par répondre à son partenaire, sa voix rocailleuse bien plus douce qu'à l'accoutumée : « Je crois que le doute te fait avancer. Au fond, tu n'es pas si persuadé que la vie n'est qu'un ramassis de conneries, je me trompe ? » Lula plongea ses yeux dans les siens, comme pour y lire son approbation ou au contraire, une réfutation en bloc. « Tu n'es pas sûr que ça existe, mais tu as envie de trouver ce truc qui en vaudrait la peine, non ? Le doute comme moteur... » continua-t-elle d'un coup plus pour elle-même. « Vraiment intéressant. » Plus les minutes s'écoulaient, plus Lula trouvait Cillian fascinant. Elle était persuadée qu'au fil des semaines, ils deviendraient plus proches et posséderaient une relation bien moins superficielle que la plupart de leurs camarades. Tous deux ne s'intéressaient pas à un livre pour sa couverture, et cette attitude leur permettrait sûrement de se découvrir sincèrement et ce, rapidement. Et c'était positif. Bien que le garçon n'y croyait pas, à deux, on est plus fort. Dans la vie, comme dans le jeu. Lula fut clairement désarçonnée par sa dernière réplique, rebondissant sur son angoisse de la solitude. Et c'est pourquoi elle répliqua immédiatement, à vif, sans prendre le temps de réfléchir ou de formuler convenablement ses pensées. Son ton restait calme et posé, mais un étonnement sincère pouvait tout de même se lire sur son visage de poupée. « Tu penses réellement que tout le reste n'est qu'un artifice ? L'amour, l'amitié, la famille, tout ? » Lula secoua lentement la tête, avant de défaire ses cheveux relevés d'un geste machinal, plus pour s'occuper les mains qu'autre chose, tandis que son esprit fonctionnait à mille à l'heure. « Je respecte ton point de vue, mais je le trouve drôlement triste. Peut être parce que je vis pour les autres. Mais je pense qu'être seul(e) ce n'est pas vivre, mais survivre. La vie est pour moi sans saveur si je n'ai personne avec qui la partager. » L'anglaise reprit son souffle, avant d'illustrer ses dires. Elle ouvrit la bouche, puis la referma aussitôt, sans rien ajouter. Aucun exemple parlant ne lui venait à l'esprit. Chez elle, elle vivait pour son père, à l'extérieur elle défendait des tas de causes perdues, se donnait entièrement en amour et avait tendance dès lors à écraser ses envies pour les siennes. Mais était-ce franchement plus sain que la vision de Cillian ? Elle avait comme un sacré doute. De toute façon, c'était à son tour de poser une question...

Il aimerait y croire. Imperceptiblement, le visage de Lula jusque là soucieux et assombri s'illumina d'une légère esquisse. Le tableau n'était pas si négatif. Cillian n'était pas une cause perdue. Le chemin serait long et sans doute semé d'embûches, mais il n'était pas perdu d'avance. La jeune anglaise ne pensait que sa vision de la vie était la plus adéquate, la plus juste ou bien la seule qui vaille la peine, ça non. Néanmoins, il lui semblait qu'elle était la moins douloureuse. Louise était souvent naïve mais faisait preuve d'une lucidité à toute épreuve sur certains sujets : elle savait qu'à sa place et en possédant son passé, de nombreuses filles auraient viré dépressives, voire pire. Si Lula avait réussi à devenir une bonne personne - avec ses failles, certes, mais globalement équilibrée - elle le devait uniquement à sa vision optimiste de la vie, qui consistait à toujours prendre le bon côté de chaque situation, même si à première vue... elle n'en avait aucun. Si elle pouvait inculquer ne serait-ce qu'un centième de sa vision à Cillian, elle était sûre qu'il irait mieux. Bien mieux. Oh, bien sûr, il ne lui avait rien demandé. Mais Lula était comme ça : elle vivait pour les autres, elle avait besoin de les aider, de les chérir, de les aimer. Sans ça, elle se sentait inutile. C'est pourquoi elle fonçait tête baissée dans toute cause perdue ou qu'enfant, elle ramenait chez elle le moindre animal blessé qui croisait sa route de l'hérisson couvert de puces violemment écrasé par une voiture (souvent déjà mort, d'ailleurs) à l'oisillon tombé du nid. J'imagine que tu as raison. Son sourire s'intensifia un instant, avant de retomber aussi sec. Cillian avait une certaine influence sur elle. A ses côtés, elle se montrait plus mesurée, plus pondérée, moins expansive. Pour combien de temps ? Personne ne le savait, mais pour l'instant, dans ce jacuzzi, Lula tâchait de jouer le jeu de l'introspection le plus sincèrement possible au lieu de parler beaucoup trop pour cacher à peu près tout ce qu'elle était. La question de son partenaire lui arracha une moue perplexe. Lula ne s'était même pas demandé quelles étaient les vraies raisons qui l'avaient poussée à se présenter à Fake Lover. Elle avait foncé sur un coup de tête, avec son impulsivité naturelle. Soudain désarmée, elle plongea de nouveau son regard dans celui de Cillian, avant d'amorcer une réponse, un air indécis scotché sur son visage juvénile. « J'en sais foutrement rien. C'est idiot à dire mais je n'ai jamais réellement réfléchi à la question. J'ai foncé tête baissée, comme d'habitude. Ce qui m'a attiré à la base, c'est le paradoxe entre une notion aussi sacrée que l'Amour - du moins à mes yeux - et quelque chose d'aussi...vulgaire, profane même, qu'une émission de télé réalité. Mais la vraie raison, la cachée, je crois qu'elle m'échappe encore. Répondre l'aventure humaine serait trop simpliste. Trouver l'amour trop idéaliste. L'argent trop réducteur, et puis ce n'est pas mon moteur. Pas du tout. » Après sa longue tirade, aussi bien pour elle même que pour Cillian d'ailleurs, Lula se mordilla la lèvre inférieure - preuve d'intense réflexion - avant de renchérir. « J'imagine que la réponse me sautera aux yeux quand j'arrêterais de la chercher. » Lula adressa un sourire franc à Cillian, avant d'ajouter le plus sérieusement du monde. « J'espère que tu trouveras les réponses à tes questions et qu'elles seront satisfaisantes, en tout cas. Vraiment. »