@SAYID - LE 08/04 À 15H50

Il fait beau. Les oiseaux chantent. Et j’ai décidé d’aller chercher mon Ipad et mes lunettes de soleil en bas après avoir fait un petit saut dans la piscine. Pour se faire, pas le choix, je décide d’emprunter l’ascenseur. C’est beaucoup plus pratique et rassurant que l’échelle même si c’est peut-être un peu plus long vu l’ancienneté de l’appareil. Une fois les grilles et la porte ouverte, je pars chercher mes biens au premier étage puis j’appuie à nouveau sur le bouton de l’ascenseur qui est apparemment descendu au rez-de-chaussée entre temps. Du coup, j’attends que le tout s’ouvre et là je me retrouve face à Sayid. J’ai les cheveux trempés, des goûtes d'eau sur mon corps et je suis toujours en maillot mais tout va bien. « Tu viens prendre quelques couleurs sur le toit ou tu comptes t’arrêter à l’étage du dessus ? » En tous les cas, le bonhomme a pris l’ascenseur et je n’y vois rien d’étonnant compte tenu de son handicap. J’imagine qu’à sa place j’aurai fait la même chose. Pas la peine de perdre son temps à essayer les escaliers surtout que ça peut être dangereux. « L’eau est bonne. » Je me permets de préciser ces quelques mots car je fais quand même grosse touriste surtout avec mes lunettes entreposées sur mon front. D’un coup, je décide de m’approcher du candidat en appuyant sur un bouton de ma tablette numérique et de me placer à côté de lui. « Selfie ascenseur entre Johana et Edgar ! » C’est pas nous, bien sûr. J’appuie sur le bouton pour switcher le côté de l’appareil photo puis je déclenche l’objectif. Nous voilà immortaliser dans l’ascenseur. Je ressemble à rien et j’ai l’air d’une plouc à côté de lui mais c’est pas grave. C’est ça qui est drôle. « Dit, c’est quoi comme langue le Swahili ? Je t’ai entendu dire ça lors de la dernière interview décalée il me semble. » J’ai une bonne mémoire, hein ?! Non, en fait, elle est sélective. Je retiens juste les trucs qui me marquent. Là, c’est à peu près le seul truc que je saurai ressortir de l’interview d’ailleurs.

Le souci de l’ascenseur c'était que cela le rendait forcément flemmard, parce qu’alors il se trouvait tout un tas d’excuses pour l’emprunter plutôt que de leur préférer les escaliers, et finalement il se retrouvait à ne jamais monter à pieds. Le fait de déjà être resté coincé dans la cabine ne lui avait même pas servi de leçon et tandis qu’il revenait des cuisines il avait rejoint l’ascenseur et appuyé sur le bouton d’appel presque par réflexe. Alors qu’en réalité rien ne l'empêchait de monter les escaliers comme n’importe qui, ses prothèses pesaient leur poids et c’était assurément plus d'énergie dépensée pour lui que pour quelqu'un d’autre, mais cela ne le rendait pas incapable pour autant ... mais très honnêtement, qui s’en souciait. Il avait passé l'âge de se fatiguer par simple volonté de se prouver qu’il pouvait faire un truc, et au même titre que les autres candidats le fait de passer ses journées à ne rien faire le rendait un poil fainéant. Appuyant sur le bouton qui menait au toit, dans l'idée de se griller une clope - et plus si affinité - une fois en haut, il avait regardé les portes se refermer d’un air absent, mais se rouvrir plus vite que prévu sur une Shay encore dégoulinante et vêtue d'un maillot de bain, qui lui avait lancé « Tu viens prendre quelques couleurs sur le toit ou tu comptes t’arrêter à l’étage du dessus ? L’eau est bonne. » Secouant d’abord la tête en guise de réponse, réalisant rapidement que cela ne voulait absolument rien dire, il avait fini par répondre « Non, le toit. Mais je ne me baigne pas. » mais en se gardant bien de préciser que c’était pour fumer, se rappelant encore du regard de Shay lorsqu’il lui avait proposé une cigarette la semaine précédente. Les portes se refermant sur eux et sans que Sayid n’ait le temps de réagir la jeune femme avait dégainé sa tablette en s’exclamant « Selfie ascenseur entre Johana et Edgar ! » n’obtenant de sa part qu’un visage crispé par l'objectif et où aucun sourire même forcé n’était venu se loger, tandis qu’un grognement indescriptible quittait sa bouche. Sayid n’aimait pas les photos, aussi peu qu’il aimait croiser son reflet trop longtemps dans le miroir le matin. Moins il se voyait mieux il se portait. « Dis, c’est quoi comme langue le Swahili ? Je t’ai entendu dire ça lors de la dernière interview décalée il me semble. » Il lui avait fallu une seconde ou deux pour se souvenir ce qu’il avait dit au juste durant l’interview décalée, craignant presque un instant avoir dit une bêtise et ne plus s’en souvenir, mais remettant les choses dans les bonnes cases dans son esprit il avait répondu « C’est une langue d’Afrique de l’est. Mais je le parle pas, juste quelques mots. » Juste le minimum syndical, de quoi se débrouiller sur un marché ou s’il était face à un local sans aucune notion d’anglais ou d’arabe, ses deux langues à lui. « Et toi, tu traduis quelle langue ? » Parce qu’au fond il ne savait même pas, elle lui avait vaguement expliqué ce qu’elle faisait dans la vie mais sur le coup il n’avait pas pensé à poser la question. Et là, puisque ses capacités en conversation ne s'étaient pas améliorées, il s’accrochait à cela avec la fierté du mec qui, pour une fois, avait avait trouvé un truc à dire.

Encore dégoulinante, je reprends l’ascenseur qui va bientôt se transformer en petit bassin si je continue mes allers retours. Sauf que cette fois-ci, je ne suis plus toute seule. Sayid est également présent dans la machine. Il va également sur la terrasse mais ne compte pas se baigner. « Pourquoi ? Ton handicap t’empêche de te baigner ? » Ce n’est pas un reproche ou une réflexion que je lui fais. C’est une question innocente. Il fait ce qu’il veut et je le forcerai à rien mais j’essaye simplement de savoir s’il ne veut pas se baigner ou s’il ne peut pas. Son handicap ne me paraît pas incompatible avec la piscine mais peut-être que je me trompe. Peut-être que c’est trop risqué. Je ne sais pas trop. En tous les cas, je me sens tellement ridicule dans cette tenue face à lui qui est bien habillé que je décide de prendre un selfie de ce contraste dans l’ascenseur. C’est un peu insolite et drôle il faut avouer. Mais le candidat ne semble pas apprécier l’initiative. Bien. J’arrête. De toute façon, je comptais pas prendre 150 photos. Une suffit. Disons que ça me fera un souvenir sur mon Ipad avec Sayid. Du coup, je me sens un peu bête d’avoir créé un froid avec cette photo. Les grilles de l’ascenseur se ferment à peine et je suis encore coincée pour quelques instants avec le candidat. Ça serait bête de faire le trajet dans le silence. Pour palier ça, je lance une conversation en remettant sur le tapis des propos que l’homme a eu lors de l’interview décalée. C’est quoi comme langue le Swahili ? Un dialecte africain apparemment. « Tu vis en Afrique c’est bien ça ? » Je parle de l’Afrique comme s’il s’agissait là d’un pays alors que je sais pertinemment que c’est un continent. Mais je ne sais pas où le candidat habite précisément. Je crois bien qu’il ne me l’a jamais dit ou ma mémoire est courte. « Le russe. » Je reste brève. Inutile de s’attarder sur une langue, non ? « J’ai pas trop de concurrence à San Francisco comme ça. » Je plaisante évidemment. Je ne suis pas la seule traductrice de russe dans la ville. Il y en a une dizaine il me semble. Mais je suis la seule là où je bosse. « Je plaisante. Mais il faut avouer qu’il y a quand même une forte proportion de latinos et chinois dans la ville. » San Francisco est assez réputé aux Etats-Unis pour accueillir tout un tas d’émigrés et en particulier de ces zones-là. « Ce qui m’a le plus surpris, c’est que c’est la ville des Etats-Unis où il y a le plus d’homosexuel. J’en connais aucun. » J’en ai surement déjà vu mais ça s’arrête là. C’est étrange comme paradoxe. Mais bon, après tout, ça ne change rien à ma vie même si j’avoue qu’avoir un ami gay, ça ne me déplairait pas forcément.

Si Sayid ne se cachait pas d'apprécier l'accès au toit pour le panorama et la facilité qu'on y avait à prendre un bol d'air - à condition de ne pas être trop à cheval sur le taux de pollution environnant - ce n'était pas demain la veille qu'on le verrait barboter dans la piscine. Dans le jacuzzi du spa c'était déjà peu probable, mais la piscine ... Non. « Pourquoi ? Ton handicap t’empêche de te baigner ? » Sans doute un peu, inutile de jouer à l'hypocrite, il n'avait que moyennement envie qu'un candidat quel qu'il soit le fixe avec un peu trop d'insistance tandis qu'il se contorsionnait pour sortir de la piscine après avoir péniblement tenté de faire quelques longueurs ... Parce que c'était presque toujours comme ça, entre ceux qui le fixaient avec insistance sans s'en apercevoir, et ceux qui détournaient le regard en se pensant discrets mais en faisant en fait pire que mieux. Mais ce n'était pas la seule raison, ce n'était même pas la principale à vrai dire, seulement la secondaire. « Je nage comme une enclume. Et c'était déjà le cas à l'époque où j'étais encore entier. » Alors autant dire que depuis il ne s'était pas vraiment amélioré, au contraire. Il espérait presque pour Shay qu'elle n'avait pas sérieusement l'espoir de compter sur lui si elle cherchait quelqu'un pour se baigner avec elle. Il n'était même pas un compagnon de selfie acceptable, les objectifs avaient tendance à le faire fuir et il était pratiquement impossible d'obtenir de lui une photo où il n'avait pas l'air crispé et sur le point de montrer les crocs. Shay n'avait d'ailleurs pas insisté, sans doute découragée par la mauvaise volonté flagrante de Sayid. Au lieu de cela elle avait préféré changer de sujet et le questionner sur sa brève évocation du Swahili lors de l'interview décalée. « Tu vis en Afrique c’est bien ça ? » Il avait acquiescé d'un léger signe de tête « Kinshasa. C'est en République Démocratique du Congo. » Mais comme il l'avait fait remarquer il ne connaissait du swahili quelques notions, de même que pour le français qui avait valeur de langue officielle ; Mais puisqu'il ne quittait que rarement la réserve et qu'on y conversait en anglais, il n'avait que peu de raisons de faire plus d'efforts. Surtout si l'on ajoutait à cela le fait que Sayid fuyait la foule, assez pour préférer généralement rester à la réserve et laisser d'autres de ses collègues aller à la ville. Profitant de la perche tendue le britannique en avait profité pour se renseigner un peu plus en détail sur le métier de Shay. « Le russe. J’ai pas trop de concurrence à San Francisco comme ça. » Il ne voyait pas trop le rapport, à vrai dire, et le fait qu'il soit dubitatif à ce sujet devant se lire sur son visage puisque la jeune femme avait fini par ajouter « Je plaisante. Mais il faut avouer qu’il y a quand même une forte proportion de latinos et chinois dans la ville. » Il la croyait sur parole, il n'avait jamais mis les pieds à San Francisco. A vrai dire avant d'avoir atterri ici il n'avait mis qu'une seule fois les pieds sur le territoire américain, lors d'un stage au zoo de San Diego, mais n'avait pas vraiment eu le temps ni même l'envie de faire du tourisme. « Ce qui m’a le plus surpris, c’est que c’est la ville des Etats-Unis où il y a le plus d’homosexuel. J’en connais aucun. » Shay passait décidément du coq à l'âne encore plus rapidement que lui, si bien que Sayid avait un peu de mal à suivre le fil de la conversation et ne savait plus vraiment quand il était supposé répondre ou non.L'ouverture des portes de l'ascenseur une fois arrivé à destination lui avait laissé le temps de voir si Shay comptait ajouter autre chose, mais puisque ce n'était pas le cas il s'était contenté de commenter « Ou bien tu en connais sans le savoir. » Parce qu'entre nous Sayid ne s'intéressait pas vraiment au fait de savoir avec qui couchait chaque personne qu'il rencontrait. Avançant jusqu'au milieu de la terrasse il avait cherché des yeux un transat qui soit un peu à l'ombre et avait fini par s'y asseoir, relevant les yeux sur Shay, ne sachant pas s'il se risquait ou non à sortir ses clopes. Au lieu de ça il avait demandé « Tu es d'origine russe ? » parce que cela l'intriguait, un peu. Enfin, c'était une simple curiosité de sa part, et une supposition qui pouvait tout aussi bien se révéler fausse. Lui tenait l'arabe des origines que lui avaient transmises ses parents, mais on pouvait tout aussi bien apprendre une langue pour d'autres raisons. « Ça t'embête si je fume ? » Il fallait qu'il demande, malgré tout, parce que sans dire qu'il avait besoin d'une clope, il en avait en revanche très envie.