“ you're living in a fantasy,
don't even know reality ”

w/@léo

Ça devait faire plus d'une heure maintenant qu'il avait les yeux rivés sur l'écran, et sur ce film qu'il avait déjà eu l'occasion de voir plusieurs fois mais qu'il redécouvrait comme toujours avec plaisir. Rien à voir avec le navet bourré de zombies qu'il avait visionné avec Agata quelques semaines plus tôt, ou avec le classique en noir et blanc qu'il avait vu en compagnie de Cecil un peu plus récemment. Car cette fois, c'est devant un film d'animation que le canadien s'était posé, lui qui avait en effet opté pour Pinocchio. Il avait en soi toujours facilement assumé d'avoir gardé une âme d'enfant, et il est vrai qu'un rien pouvait le distraire, pour ne pas dire captiver. Pour autant, Allen avait conscience que la plupart de ses camarades pourraient trouver ça risible, il devait après tout y avoir plus d'amateurs de blockbusters que de films Disney dans les parages, pour autant il n'avait pas l'intention d'écourter son visionnage, même maintenant qu'il pouvait voir une silhouette approcher. Il reconnut instantanément Léo, à qui il adressa alors un sourire. « J'imagine que c'est pas le genre de films que t'es venu voir » énonça-t-il sur un ton légèrement amusé, pensant qu'en effet il était peu probable qu'il soit lui aussi venu redécouvrir ce film, dans la mesure où il devait estimer qu'il n'avait plus franchement l'âge de se coller devant ce genre de choses. « C'est bientôt fini, de toute façon. » Oui parce qu'encore une fois, il avait l'intention d'aller au bout du film. Certes, il l'avait déjà vu et la fin ne risquait pas d'avoir changé depuis la dernière fois, mais c'était par principe qu'il tenait à terminer son visionnage. Pour autant, il pourrait garder un œil sur l'écran et faire la conversation à Léo par la même occasion, c'était dans ses cordes. « T'imagines un peu si notre nez devait s'allonger à chaque fois qu'on était tenté de mentir » reprit-il à l'intention de son camarade et sur un ton un peu plus songeur. Il ne pouvait pas s'empêcher de penser que ça faciliterait grandement la tâche à la production, qui devait avoir déboursé une fortune pour s'équiper d'un détecteur de mensonges, probablement pas si performant que ça. « Il serait long, le tien ? » C'était une façon comme une autre de lui demander s'il avait déjà pu être amené à mentir, ou en tout cas à ne pas dire toute la vérité, pour protéger son secret par exemple. C'était une chose qu'il pourrait comprendre, dans une certaine mesure du moins.

Avoir un cinéma est quand même quelque chose de sacrément cool car si on nous enlevait les téléphones, l’internet, la console, la télé et les films en prime on serait tous morts d’ennuis. Au final on se débrouille pas mal sans tout ça même si y a quand même des moments où on s’fait bien chier mais là j’dirais pas non à un bon blockbuster comme on les aime. J’ai pas d’idée précise pour l’instant mais j’me pencherais bien sur un type action ou classique. Par contre mauvaise surprise, la salle est déjà utilisée par un type qui regarde Pinocchio en plus. Et ce type c’est Allen, je le reconnais à sa voix. Ok clairement j’suis super surpris là, ça doit être un gage ou une connerie comme ça non ? « Pas vraiment mais j’imagine que j’ai pas le choix. Je dois regarder la fin pour pouvoir profiter du mien. » Je vais m’installer à ses côtés et je ne peux m’empêcher de demander. « Tu l’as vraiment maté en entier ? » La question est con au final mais j’ai besoin d’en avoir la certitude. Ca me fait plutôt rire tout compte fait. Je prends place sur un des sièges à ses côtés, décidé à attendre la fin de son film pour mater le mien. Allen papote et c’est tant mieux, j’suis absolument pas contre dans ce genre de situation. De toute façon s’il ne l’avait pas fait je m’en serais chargé quitte à l’emmerder profondément dans son dessin animé. « Non. Je fais en sorte de toujours être juste. » Être droit dans mes pompes c’est quelque chose qui m’importe. J’parle pas du fait de faire des choses que réglo mais de ne pas mentir à tout bout de champ pour les cacher. J’ai toujours assumé ce que je pouvais faire, d’ailleurs si lors du précédent bilan de Siomha j’ai répondu par des peut-être c’était simplement parce fantaisie envers moi-même. Y a pas de peut-être dans la vie, on sait toujours ce qu’on veut, on sait toujours ce qu’on fait alors pourquoi mentir ? J’y vois aucune utilité en plus d’être quelque chose de totalement fourbe. Après y a des adeptes comme Maha qui se proposent même de donner des cours mais ça c’est une autre histoire. « Je m’en fou de ce que peuvent penser les gens et des réactions que telle ou telle chose puisse avoir chez eux du coup j’vois pas d’intérêt au mensonge. » Je tourne le regard un instant vers la diffusion qui me provoque aucun intérêt quelconque. Mes pupilles reviennent donc sur Allen. « Et le tiens, il serait long ? » Je lui adresse un regard soudain plus suspicieux car ça m’étonnerait pas qu’Allen fasse dans le mensonge de temps à autres malgré ses airs de mec réglo. Je l’imagine pas menteur invétéré mais plutôt dans la catégorie menteur de convenance. Du coup je l’imagine beaucoup plus tenté par le mensonge que ce qu’il ne pratique en réalité mais peut-être qu’il va m’en dire le contraire.

On pourrait croire en le voyant planté devant ce dessin animé qu'Allen n'avait rien trouvé d'autre à mettre et qu'il s'était rabattu dessus, mais en vérité c'est lui qui avait délibérément choisi de revoir Pinocchio, un classique qu'il avait découvert étant petit et dans lequel il aurait plaisir à se replonger. Il était cependant peu probable que Léo soit lui aussi venu avec l'envie de voir un film de ce genre. Son camarade ne tarda alors justement pas à lui confirmer que ça n'était pas le genre de choses qu'il aurait eu tendance à mettre, lui. « J'en ai peur, oui » souffla le canadien lorsque Léo supposa qu'il lui faudrait maintenant attendre que son film soit terminé pour espérer en regarder un autre. « Désolé. » Il avait repris dans l'esquisse d'un fin sourire, et sincèrement, parce qu'il avait beau avoir l'intention d'aller au bout de son film, il avait conscience que ça pourrait embêter légèrement son camarade or ça n'était pas une chose qu'il avait plaisir à imaginer. « Bah oui, c'est même loin d'être la première fois que je le vois » reprit-il ensuite, sur un ton plus amusé, après que Léo ait cherché à savoir s'il avait vraiment regardé le film en entier. Il avait peut être trente-quatre ans, mais il n'était pas pour autant féru de films d'auteurs. Non, aussi loin pouvait-il s'en souvenir, l'adulte qu'il était avait toujours apprécié de retomber en enfance. « J'aime me dire qu'il n'y a pas d'âge pour regarder ce genre de choses. » Il avait ajouté, dans un nouveau sourire, pas forcément certain que son camarade soit tenté de lui donner raison, étant donné qu'il avait bien senti que ça n'était pas trop son truc, à lui. « D'ailleurs, je te jugerais pas si tu m'avouais que toi aussi, c'est ce que t'aimes regarder quand t'es tout seul. On est entre nous. » Et sur ce point non plus, il n'était pas bien sérieux. Il avait même lancé un regard taquin à son camarade, pensant qu'il aurait vite fait de démentir, ou au mieux qu'il jouerait d'un peu d'ironie. Allen, lui, n'avait pas honte d'apprécier des films comme celui-ci, qu'importe qu'on puisse trouver ça un peu ridicule. Il fut en tout cas tenté de questionner son camarade, profitant du film et du fait qu'il y soit globalement question de mensonges pour chercher à savoir si son nez à lui aurait eu tendance à s'allonger s'il souffrait de la même malédiction que ce cher Pinocchio. Il écouta alors attentivement la réponse du jeune homme, puis se pinça la lèvre. « J'en conclus que tu es partisan du proverbe 'mieux vaut une vérité qui fait mal, qu'un mensonge qui réjouit'. » Il trouvait ça bien, même assez honorable, parce que même si lui aurait tendance à s'inquiéter un peu plus des conséquences de ses propos, il fallait bien avouer qu'il avait du mérite de penser de cette manière. Léo lui retourna ensuite la question et le canadien haussa doucement les épaules. « Non, je crois pas. Enfin, je prétends pas être un modèle d'honnêteté, mais je sais que j'évite de mentir quand je le peux, et que quand je le fais c'est jamais par plaisir. » Alors oui, peut être qu'il lui arrivait d'opter pour quelques mensonges, à l'occasion, mais jamais tout à fait consciemment, parce que ça n'était pas une option qu'il choisissait, c'était plutôt quelque chose qui s'imposait parfois à lui. « Il n'y a vraiment aucune susceptibilité que tu pourrais vouloir ménager, ici ou ailleurs ? » Sous-entendu, n'y avait-il vraiment personne qu'il voudrait éviter de blesser et pour qui il prendrait plus de gants ? Il ne parlait pas nécessairement de mentir, juste de réfléchir davantage avant de livrer n'importe quelle vérité. Il était curieux, peut être que son camarade n'aurait pas envie de lui répondre, mais c'est vrai que ça l'intriguait.

Je tombe mal, je pensais pas que la salle de cinéma était fréquentée au point où il fallait réserver son créneau pour pouvoir mater le film de son choix mais c’est pas grave j’vais faire avec. « J’vais attendre. » Je conclus en étendant mes jambes, prêt à supporter la fin du dessin animé, ce qui n’est pas un drame en soi. Un Disney ça se regarde quoi qu’il arrive. De toute façon même si Allen avait choisi un gros navet pour sa séance privée je serais resté aussi, déjà parce que j’suis pas difficile et aussi parce que maintenant que j’suis là j’ai la flemme de ressortir faire un tour le temps que ça se termine. Je m’étonne quand même qu’il ait décidé de regarder ça, j’le voyais plutôt dans les films à intrigues bien ficelées ou documentaire sur les Mayas mais mes préjugés ont la vie dure là. « Donc j’en déduis que ton préféré de tous les Disney c’est Pinocchio. » On en a tous un, généralement c’est celui qui a bercé notre enfance. Visiblement Allen aime la perspective de revivre cette exaltation qu’on avait tous devant un bon dessin animé étant plus petits. « Tu t’identifies au vieux ou au petit garçon ? » Je fais dans la psychologie, j’trouve qu’Addil est trop discret ces derniers temps du coup j’me porte volontaire pour le remplacer. Je déconne mais moi cette histoire d’Allen fan de Pinocchio ça me laisse un peu sur le cul quand même. Il veut se sentir moins seul en me poussant à l’aveu en plus. Ouais bon je veux bien lui accorder que je mate des Disney de temps à autres surtout des lendemains de cuite, allez savoir pourquoi, mais ça reste rare dans sa globalité. Et concernant Pinocchio, non, c’est loin d’être celui que j’affectionne le plus. « Mh non, j’suis plus Aladdin ou Le Roi Lion. » Au fond je trouve que ça a un côté assez révélateur de nos personnalités ce genre de préférences. Toujours dans les traits de personnalité, Allen me demande indirectement si je suis un menteur. La réponse est claire : non. Fervent utilisateur d’ironie oui mais pas menteur. De toute façon c’est un truc que je sais pas faire. « Ouais. Au final un mensonge ça ne fait que repousser l’échéance d’une vérité blessante. » Oulà je pars dans le philosophique là ça me fait limite tout drôle. Allen doit m’envoyer des ondes mystiques pour que je sois aussi sérieux en sa présence. Je me demande si lui en est un, de menteur. Sa réponse lui va comme un gant, c’est ni trop ni pas assez, à juste dose et pour de bonnes raison. « T’es taillé pour être le mec parfait toi en fait. » Il est le juste dosage, le genre de mec que toutes les filles ont décrit lors de leur casting, je comprends mieux pourquoi il les fait toutes tomber. « Si tu veux mon avis tu penses trop aux autres mais c’est tout à ton honneur… c’est ce qui te rend sympa j’imagine. » Je parle comme un handicapé sentimental tandis qu’une moue travers mon visage. J’en ai totalement oublié le film, je crois qu’Allen aussi. Par contre là il divague je comprends pas un traitre mot de ce qu’il raconte, le froncement de mes sourcils en témoigne. « Quoi ? » Je comprends pas sa phrase. Limite c’est sa formulation qui est trop complexe mais avec quelques secondes de battement j’arrive à en tirer l’idée générale ; c’était le temps que mon cerveau analyse tout ça. « Ah. Euh… » Je me prends à réfléchir pour voir s’il y a une personne que je souhaiterais ménager plus qu’une autre mais je crois que j’ai même pas épargné mes propres parents. « Mh non pas spécialement. » que je lâche en mettant fin au suspense. Les gens auxquels je m’attache sont en général assez forts pour supporter la vérité donc y a pas de raison. Je fais pas dans le ramassage à la petite cuillère. « ‘Fin après ça dépend, le fait de s’attacher à des gens change un peu la donne quand même. » Oui j’en viens tout juste au réel sens de sa question mais je suis un peu lent, mon cerveau a été attaqué. « Mais de là à mentir non. Eviter le sujet oui. » Cette étendue de mon fonctionnement psychologique étant faite je crois être capable de lire entre les lignes concernant Allen.« Je dois en conclure que tu mens pour protéger ceux auxquels tu tiens ? » Je l’observe toujours aussi confortablement installé, il manque plus que le thé et tout y est dans nos bavardages de ménagères. Il a même réussi à me rendre curieux à son propos, c’est bien joué.

Son camarade allait effectivement devoir attendre que son film se termine, mais il avait de la chance, ça faisait déjà un moment qu'il s'était posé devant ce grand classique des studios Disney. Son camarade sembla d'ailleurs s'étonner de son choix, Pinocchio étant un film plus adapté à un jeune public, même si lui assumait entièrement d'apprécier retomber en enfance. D'ailleurs, ça n'était même pas la première fois qu'il le visionnait. « Oh non, pas forcément. A vrai dire, j'y ai jamais vraiment réfléchi, mais y'en a beaucoup d'autres que je me souviens avoir apprécié » affirma-t-il alors, parce que oui ce film-ci lui avait toujours beaucoup plu, pour autant il aurait du mal à lui confirmer que c'était bien celui qu'il préférait. « Comme celui avec les dalmatiens, ou celui sur le rat qui fait de la cuisine … Je me souviens plus très bien des noms. » Parce qu'il n'était pas super calé non plus, il se rappelait simplement avoir apprécié ces deux histoires. Léo chercha alors à savoir à quel personnage il s'identifiait le plus, et il se pinça légèrement la lèvre. « Je crois que c'est l'histoire en elle-même qui me laisse pas indifférent, mais je me mets facilement à la place de Pinocchio lorsqu'il se laisse appâter et vend quasiment son âme pour vivre la vie d'artiste, même si la façon dont est dépeint le show business est selon moi un peu clichée. » Il pouvait donner l'impression d'avoir pris le temps d'analyser le personnage, mais en réalité c'était simplement qu'il avait des facilités à s'identifier à lui, sur certains points en tout cas. Il plaisanta en tout cas sur le fait que Léo puisse regarder Pinocchio en douce, et s'étonna il est vrai de ce qu'il lui révéla. « Ah tu vois, j'aurais jamais cru que les Disney c'était quand même ton truc » répliqua-t-il alors, dans un sourire, parce qu'effectivement il avait eu l'impression qu'il se fichait presque de lui tout à l'heure. « C'est vrai que le Roi Lion est un très beau film. Je me souviens pas avoir déjà vu Aladdin, par contre, je me demande s'ils l'ont ici. » Parce que l'occasion ne s'était sûrement pas présentée. Du coup, oui, ça vaudrait la peine de chercher s'il faisait partie des films proposés ici, parce que si ça faisait partie des dessins animés préférés de Léo, c'est que ça devait valoir le détour. Ils en virent par la suite à discuter du fait de mentir, et le canadien apprit que Léo aimait plutôt dire les choses clairement, lui qui affirmait se ficher des réactions des autres. « C'est vrai » acquiesça Allen, lorsque son camarade émit une théorie intéressante, et sur laquelle il ne pourrait pas le contredire. Lui, il avait tendance à se soucier un peu plus de ce que ses propos pouvaient provoquer chez les autres, mais il n'était pas un grand amateur du mensonge pour autant. « Ça n'est pas vraiment ce que je dirais » s'amusa-t-il brièvement au commentaire de Léo, parce que non il ne se qualifierait pas de mec parfait. Ici, il avait l'impression de renvoyer une image de gendre idéal, mais il n'était pas irréprochable. « Peut être, oui, même si c'est sûrement pas toujours une si bonne chose que ça. » D'être du genre à faire passer les autres avec tout le reste, parce qu'il y avait des personnes moins bien intentionnées que d'autres. Il avait eu de la chance que personne n'abuse jamais réellement de sa gentillesse, mais il lui était arrivé de souffrir parce qu'il n'avait pas osé dire certaines choses, par contre. Léo lui confirma en tout cas qu'il pouvait y avoir des personnes pour qui il pourrait prendre des gants, et cette idée le fit sourire. « C'est normal. J'imagine qu'ici, par exemple, il y a des candidats avec qui tu te montrerais plus diplomate si la situation le nécessitait. » Est-ce qu'il avait un nom en tête ? Certainement, oui, mais il n'avait pas envie de le gêner ou de lui donner l'impression de se mêler de ses affaires. Il attendrait sûrement qu'il en parle de lui-même. « Je ne sais pas … Ça n'est jamais vraiment un choix, en réalité » reprit-il doucement suite à la question de son camarade, parce qu'il y avait des choses qui dépassaient parfois sa volonté, il n'y pouvait pas grand chose. Reportant en tout cas son attention sur le film, il reprit bientôt la parole. « Il me semble que c'est la dernière scène. Tu vois, tu n'auras pas eu à attendre bien longtemps. » Il ne savait pas s'ils avaient parlé pendant une bonne demi-heure, ou s'il était assis depuis plus longtemps qu'il le pensait, mais en tout cas ça sentait effectivement la fin. « Je peux te demander quel film tu pensais mettre ? Parce que j'ai rien à faire de spécial, alors je pourrais peut être rester pour en profiter avec toi, enfin si ça te pose pas de problème. » Parce que du coup, ils n'avaient pas eu le temps de se dire grand chose, et c'était dommage, Léo étant un candidat agréable avec qui il aimait discuter. Maintenant, s'il préférait rester seul pour visionner son film, il n'insisterait évidemment pas.