Le cinéma faisait partie de ces choses qui fascinaient et frustraient Sayid à la fois, parce que c'était une source intarissable d'apprentissage pour lui, mais aussi une source de frustration parce que tout avait toujours l'air tellement simple dans les films. Désormais il parvenait tout de même à garder un peu de recul par rapport à cela, mais plus jeune c'était une catastrophe, et s'il avait encore été ce garçon probablement n'aurait-il jamais pris le risque de pénétrer dans cette salle durant son séjour ici, pas même pour regarder un Disney et ainsi s'aventurer sur le terrain de Sailor. Aujourd'hui il n'était pas là pour ça, et il n'était pas non plus là pour se laisser happer par il ne savait trop quel film ; Il avait seulement pris la direction du cinéma en espérant pouvoir s'y terrer un moment. Il y faisait sombre et il n'y avait pas un bruit, c'était à ses yeux bien plus reposant que la salle zen ... mais c'était aussi beaucoup plus fréquenté, même en plein milieu de l'après-midi, alors il ne savait pas vraiment comment il en était arrivé à espérer que l'endroit serait désert. Il ne l'était pas, et le fait qu'il se retrouve nez-à-nez avec Allen n'était pas vraiment pour le rassurer, dans un premier temps. Le regard noir de Mylah durant le prime lui était resté sur les épaules, comme une menace silencieuse, et même s'il savait que leur relation ne signifiait en rien qu'Allen avait un comportement similaire à celui de la jeune femme, Sayid peinait à séparer les deux. Le blanc durant lequel le canadien l'avait d'ailleurs observé sans rien dire valait à Sayid toutes les paroles du monde, car la semaine précédente encore Allen n'était jamais à cours de discussion. Mais la semaine précédente paraissait bien loin, maintenant, pour Allen peut-être autant que pour lui d'ailleurs. « Félicitations. » Même ce qui venant normalement de la bouche d'Allen aurait du lui sembler de la simple gentillesse devenait maintenant sujet de questionnement de la part de Sayid, et s'il s'agaçait qu'il en soit ainsi il ne parvenait pas pour autant à s'en empêcher. « Félicitations à toi aussi. » avait-il donc finalement répondu du même ton, à défaut de savoir quoi dire ou quoi faire d'autre. Alors c'était ça, c'était tout ce qu'ils allaient avoir à se dire, cette semaine ? Ce n'était pas ce dont avait envie Sayid. Il n'avait pas la prétention de penser faire partie des candidats qui laisseraient un souvenir impérissable à leurs camarades, mais il n'avait pas non plus envie que son secret donne l'impression aux autres qu'ils avaient eu affaire à un étranger durant dix semaines, un étranger qui n'aurait plus lieu d'être maintenant qu'il n'avait plus rien à cacher. Son intérêt envers Allen avait toujours été sincère, même si ce dernier semblait désormais en douter sérieusement. Le sujet d'ailleurs n'avait pas tardé à être mis sur le tapis sans qu'il n'ait besoin de chercher une manière - bancale - de se justifier. « Tu n'avais pas besoin d'être un autre. Pas pour m'être sympathique, en tout cas. » Sayid était resté impassible, faisant déjà un effort véritable pour ne pas asséner à Allen qu'il avait déjà entendu cette phrase des dizaines de fois et que cela ne la rendait pas soudainement plus vraie. Il ne voulait pas avoir l'air arrogant, et parait-il que c'était l'impression qu'il donnait quand il tentait de se donner une contenance à ce sujet. « Je sais que c'est facile à dire aujourd'hui, mais … je n'ai jamais rejeté quelqu'un parce qu'il ne me ressemblait pas. » En effet, c'était facile à dire aujourd'hui, et surtout c'était facile à dire quand on n'avait pas de point de comparaison. Évidemment qu'Allen ne s'imaginait pas rejeter qui que ce soit, parce qu'Allen était un gentil au fond, une bonne pâte, mais Sayid en avait déjà rencontré des personnes gentilles et malgré tout il n'était pas rare que cela ne se passe pas bien. Parce que Sayid était compliqué à suivre, et que d'un rien il pouvait se faire une montagne. « Tu te trompes. J'en ai besoin. » Il parlait au présent, parce qu'il était clair que s'il était beaucoup moins disposé à faire des efforts maintenant que cela risquait sans cesse de lui revenir en plein visage, personne ici ne verrait le "vrai" Sayid. Celui qu'il cachait dans un coin, et qui ne sortait que quand par mégarde il n'était pas capable de se contenir et de se concentrer. « Des gens pleins de bonnes intentions comme toi j'en ai déjà rencontré, et je les comprends pas mieux que les autres. Et j'ai besoin d'essayer de comprendre, je le fais pas pour ne pas bousculer les habitues des autres je le fais parce que ... parce que j'ai suffisamment été le mec vaguement bizarre ou totalement stupide qu'on met de côté parce qu'il n'a aucune idée sur ce qui se passe autour de lui. » La justification était venue sur un ton relativement calme, parce qu'Allen n'avait pas usé avec lui d'un ton agressif malgré ses questions en forme de reproche déguisé, et que Sayid préférait donc continuer à s'adresser à lui comme il le faisait depuis le début de la saison. Avec une aisance faussement dessinée par dessus une hésitation constante, parce que c'était ainsi qu'il voyait Allen. Comme un type - trop ? - gentil qui avait toujours peur de mal faire. « Les gens que je ne connais pas me font peur. » qu'il avait finalement avoué, d'un ton un peu moins assuré. Allen voulait de l'honnêteté, après tout. « Mes premières semaines ici c'était ... j'étais angoissé tout le temps. Je sais que les gens ne me veulent pas de mal, encore moins si la production a fait un tri, mais ... c'était plus fort que moi. Et après le paintball c'était pire. » Les gens n'imaginaient pas à quel point cette activité avait pu le traumatiser, et à quel point les agissements de Clarke à ce moment-là lui étaient apparues comme une véritable agression, violente. « Avant j'étais comme ça tout le temps. Mais quand j'observe les gens j'arrive à rationaliser, un peu. C'est plus facile quand je copie quelqu'un parce que ... je suis plus obligé d'être moi. J'ai pas envie que quelqu'un le rencontre, ce moi. Je préfèrerais qu'il n'existe plus. » Certains diraient que c'était sans doute un peu triste, une telle négation de sa propre personne, mais Sayid lui était véritablement persuadé que s'il pouvait se débarrasser durablement de sa personnalité à lui, de celle qui clochait, cela lui faciliterait beaucoup la vie.

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