@lino

J'avance d'un pas maladroit vers la salle de bain. La douche pour moi est une corvée, non pas parce je crains l'eau froide mais parce que l'endroit en lui même me colle des frissons. Je suis presque tentée d'aller me doucher pendant l'heure de rush, c'est à dire lorsque l'eau chaude est disponible, simplement pour constater de la présence humaine. Ridicule, j'en ai conscience. J'hésite pendant une poignée de seconde avant de décider que la tranquillité n'a pas de prix. Je m'accapare une serviette au passage avant d'aller me confronter à l'eau glacée de la douche. J'ai l'habitude à de telles températures parce qu'elles remettent effectivement très bien les idées en place. Et j'en ai souvent besoin. Néanmoins, on ne peut pas dire non plus que je prenne mon temps. Je me dépêche, me sèche rapidement pour enfiler la combinaison hideuse. Je tapote ma serviette contre ma chevelure dégoulinante, me positionnant par réflexe devant le miroir. Je braque mes prunelles sur mon reflet avant distraite par un candidat plus intéressant. Lino. Pas très expansif, sans être complètement effacé non plus, un bon combo pour le moment. « Alors il paraît qu'on est un homme à responsabilités » je balance calmement avant de dévisser mon cou gracile pour essayer de ne serait-ce que l'apercevoir. Je finis par pivoter complètement dans sa direction. « Mais tu n'as pas l'air d'être ravi de ton rôle de dominant» je constate de mon doux soprano comme si j'étais capable de mener un interrogatoire toute seule, un tantinet moqueuse néanmoins. Lors de l'annonce de son titre de chef, j'avais pu observer la réaction un peu fébrile de Lino. A mon sens, c'est plus un fardeau pour le moment.

Il cherchait la salle d'eau pour se laver le visage. Un bon moyen pour se requinquer, se passer de l'eau froide sur la peau. Il flâna dans les couloirs à la recherche de fameux lieu. Il en conclut que c'était derrière cette porte que se trouvaient les commodités. Il en franchit le seuil et croise le regard familier d'une jeune femme, la bien nommée Jade. Il la gratifia d'un sourire de circonstance lorsqu'elle le convia à la conversation. Quand elle lui parla d'homme à responsabilités, c'était bien ainsi qu'il se voyait. Il n'en doutait pas : « A ce qui parait. Tu en doutes ? », rétorqua-t-il d'un air mutin. Il s'avança vers les lavabos à disposition et retira ses lunettes de vue. Il déversa rapidement de l'eau sur ses yeux irrités, puis sur le reste de son visage. Il soupira de contentement, attrapa une serviette et se tamponna le visage avec. La jolie rouquine mentionna son rôle de dominant. Il haussa un sourcil interrogateur et répondit, serein : « Dominant. C'est un peu exagéré, tu ne trouve pas ? » Il ne considérait pas comme tel, pensant que son rôle de chef ne s'arrêtait qu'à du règlement d'altercations et à des encouragements. « Je dirai plutôt catalyseur-d'-égo-disproportionnés. J'en ai maté des coriaces, crois-moi. » Il lâcha un petit rire. Au lycée, il passait plus son temps à régler les conflits entre joueurs que de jouer au basket-ball. Des souvenirs de bagarre refaisaient surface. Autant dire qu'il rendait coups pour coups. Etant adolescent, il s'emportait plus facilement qu'aujourd'hui. La maturité sans doute. Il avait toujours cette fâcheuse manie de s'occuper de ce qui ne le regardait pas. Une manie dont il ne s'était pas débarrassé depuis. « Je vais m'y faire. » Essayait-il de s'en convaincre ? Non du tout. Il était un homme déterminé, un homme de parole surtout. Il s'efforçait d'être le plus honnête possible, bien que des gens comptaient lui mettre des bâtons dans les roues. De toute façon, on ne lui donnait pas le choix. « Dis, tu penses que je serai à la hauteur ? », demanda-t-il par curiosité. Il voulait entendre un avis extérieur. Au fond, il voulait seulement se rassurer. Dans son équipe, certains croyaient en lui. Il l'espérait en tout cas. Il était parfois en proie à des doutes. « Oublie ce que j'ai dit. Ce n'est qu'un jeu, pas vrai ? » Il avait tendance à prendre les choses trop à cœur, mais il savait se remettre en question. Il était lucide et raisonnait beaucoup. Il s'inquiétait pour rien, en gros. Il ferma les yeux un instant afin de se ressaisir et prit une bonne inspiration avant de se laver les mains. « Parlons d'autres choses. De toi, par exemple. » Il était curieux de nature, Lino. Il aimait rencontrer de nouvelles têtes. Il sentait que le courant passait entre eux. Il ne voyait aucun mal à apprendre connaître davantage son interlocutrice qu'il trouvait déjà charmante pour une raison qu'il ignorait encore.

Je l'écoute avec une certaine attention. « Ça ne dépend que de toi » je réponds avec un simple sourire mutin avant d'essayer d'attacher mes cheveux pour masquer leur désordre permanent. Il veut jouer sur les mots. « Tu es le chef de la meute, l'alpha, tout ça, tu as saisis » je souligne, un sourire fugace sur mes pulpeuses lorsque je croise son regard. Lino m'arrache à rire lorsqu'il dit qu'il s'y fera, comme s'il voulait s'en persuader. « Ce n'est pas comme si tu avais le choix » je lui rappelle, peut-être surement trop réaliste pour le coup. J'ai l'impression que ça le préoccupe quand même pas mal cette histoire, enfin, ce n'est que mon vague ressenti. « Tourne la question dans l'autre sens » je l'intime d'une voix presque un peu plus autoritaire à l'accoutumée. « Pourquoi tu ne serais pas à l'hauteur ? » je lui demande de ma voix de poupée délicate, en arquant en douceur un sourcil, interrogatrice. Je préfère aborder les choses d'un point de vu différent, un autre angle. Je ne trouve pas de réponse à ma question. Je ne vois pas pourquoi il ne serait capable de bien tenir son rôle de chef, et même, dans le pire des cas, je suis sûre que dans les quatre restants, il y en aura un plus médiocre. « Oui, faut avoir un peu recul » je lance tout simplement d'une voix aérienne, cela ne sert pas à grand chose, à mon sens, de se mettre la pression dès la première semaine. Sinon une implosion imminente le guette. Il lance un autre sujet. Moi. Tout de suite, je suis un peu moins emballée j'avoue par l'idée. Je pivote un peu vers lui, avec grâce. « Tu sais déjà mon prénom, beaucoup tueraient pour cette simple information, tu sais » je plaisante d'un air léger pour dévier du sujet parce que je considère ma vie comme étant actuellement creuse, sinon, je crois que je ne serai pas ici. « Je ne sais pas par où commencer ... » je dis tout en espérant grappiller quelques précieuses secondes histoire d'avoir un peu plus de temps pour réfléchir. « Je suis danseuse »  je lui propose en lui lançant un regard presque approbateur. « ... classique » je trouve quand même bon de préciser bien que je trouve que les autres styles ne me collent pas à la peau. « Et toi ? » je demande rapidement pour faire diversion plus qu'autre chose. « Lino, c'est italien non ? » je l'interroge en regardant mes mains parce que je viens de prendre conscience que je devais surement le dévisager comme une conne pendant deux ou trois minutes. « Je sais, je suis perspicace » j'ironise quand même parce que ma déduction était plutôt facile à faire, pas besoin d'avoir un QI à 180.

A la salle d'eau, il est tombé sur Jade, sortant de sa douche, les cheveux trempés et le regard scintillant. Ils n'ont eu que de brèves échanges, la première impression qu'il a eu d'elle a été immédiate. Une certaine complicité s'est instaurée. Elle est naturelle, sans prétention et d'une beauté irréelle. Lino ne s'arrête jamais sur le physique. Pour le coup, il l'a trouvé belle à sa façon. Une beauté atypique qu'on ne croise que rarement. Le libraire doute de ses capacités de leader et en a fait part à cette dernière. Elle a tout de suite trouvé les mots qu'il fallait pour le rassurer. La pression redescendu, il s'empresse de la remercier. « Merci. » Il la gratifia d'un sourire serein, accompagné d'une main sur l'épaule de la demoiselle. « J'aurai aimé que tu sois dans mon équipe. T'es de bons conseils. », avoue-t-il. Cela concerne surtout le fait qu'il se retrouve devant de parfaits inconnus. Et Jade est la seule (pour l'instant) avec qui il sent proche. Pour changer de sujet, il se concentre sur l'histoire de la rousse. Son prénom, il le sait déjà. Des gens tueraient pour connaître son patronyme, selon ses dires. Il esquissa un sourire amusé et répondit sur un ton un brin moqueur : « Quel privilège. » Il l'observe et sentit une certaine gène concernant sa vie privée. Tout le monde n'est pas enclin à se révéler. Lino le fait sans problème. La seule information qu'il a pu lui soutirer, c'est qu'elle est danseuse. « Tu danses pour une troupe particulière ? », qui lui demande. La voyant soucieuse, il cessa de la torturer avec ses questions. Ravi de répondre aux siennes (pour éviter de l’embarrasser davantage), il feint de réfléchir. « Libraire et professeur à mes heures perdues. » Sur ce point, ce serait trop long à lui expliquer. Il préférait lui simplifier les choses. Concernant son prénom, elle en a tout de suite deviné ses origines. Il rit légèrement. « Si, signorina. », dit(il fièrement dans sa langue maternelle. Il veut apporter un peu d'explications concernant ses racines. « En vérité, je suis moitié britannique, moitié rital. Avec un peu de sang français. » Pour résumer, c'est compliqué. Avec cela, il a un arbre généalogique bien fourni. Il préfère lui épargner les détails concernant sa généalogie. Il lui retourna la question : « Et toi, t'es de quelle nationalité ? » Son prénom ne provient pas d'un pays particulier, donc toutes les nationalités sont possibles. Dans sa tête, cela sonne français plus qu'autre chose. Peut-être qu'il se trompe.

J'essaie simplement de lui faire conscience que ses craintes sont pour l'instant assez infondées. Apparemment, ça semble bien marcher sur lui. Mes pupilles glissent simplement sur sa main posée sur mon épaule, ne sachant pas trop quoi faire, si je dois lui rendre quelquechose pour ne pas qu'il se sente seule ou .... J'en suis presque maladroite. Je reste plantée, toute droite, un simple sourire sur mon minois. « Je pourrai te monnayer mes conseils, même si tu es l’ennemi, t'inquiète, on peut toujours s'arranger » je siffle simplement d'une voix légère en haussant les épaules. Oui, c'est con qu'on ne soit pas la même équipe, je suis sûre que ça aurait pu le faire. Je décide de l'interroger à mon tour, parce que c'est un peu mon droit non ? Je viens bien de lui éviter une migraine à force de se prendre la tête sur son rôle de chef. « Professeur de ? » je demande une précision en vrillant mes grandes opales presque enfantines sur lui. « Tu es bien dilué » je constate d'une voix blanche lorsqu'il m'expose ses origines. On peut dire qu'il est un croisement complexe. « Tu vis en Italie ? » je rebondis aussi. Mes lèvres frémissent, esquissant un simple rictus narquois à l'entente du mot troupe, je crois qu'il y a quelques années, le fait d'être assimilé à ce mot m'aurait presque révolté tant il se devant être rabaissant pour la ballerine que j'étais. Maintenant, ça ne soulève plus rien en moi. « Je dansais pour le ballet national de l'Opéra de Vienne » je lui souffle avec un sourire. La plupart des gens se foutent de ma gueule lorsque je lui offre cette vérité, sans forcément me vexer, je sais que je suis plutôt fade d'apparence, on m'imagine très mal sur la scène. Je crois que je n'ai pas le physique de l'emploi, ou que je ne dois pas avoir cette prestance que doit montrer une ballerine dans l'esprit des gens. Alors qu'en réalité, on est rien. « Mais je suis américaine » je complète pour répondre à sa question. « J'ai déménagé pour ce contrat » je lui explique furtivement, pour l'Opéra, et puis ça me donnait une bonne excuse de quitter les parents, j'avoue.