Clotaire s'était installé sur un bout de table, assez éloigné des autres candidats. Il n'aimait pas spécialement la solitude, il était même du genre à aimer se mettre dans la masse, discuter, rire et amuser la foule. Mais la nourriture était si immonde ici qu'il ne se sentait pas de se forcer à rire alors qu'il avait juste envie de vomir. Très franchement, il ne se connaissait pas cette part de lui, aussi exigeante avec le quotidien, mais apparemment il l'était. Il avait pris des habitudes, semble-t-il, avec Lou qu'il avait du mal à revoir à la baisse. Tant mieux, tant pis. Il fallait bien qu'il mange, tout de même. Alors il se forçait, bouchée par bouchée, le nez retroussé comme un enfant face à des épinards, une expression de profond dégoût sur le visage. Finalement, une jeune fille vint le rejoindre, et il se força à décontracter son visage, un peu. Mais une autre bouchée lui fit à nouveau retrousser le nez. Rien à faire, c'était vraiment immonde. " pourquoi nous font-ils ça ? Vue tout l'argent qu'ils amassent, on aurait pu croire qu'ils auraient au moins l'amabilité de bien nous nourrir, non ? " Il posa sa fourchette. Il ne voulait pas passer pour le grincheux de service, et là, c'était raté. Merde. " enfin, je suppose que ça pourrait être pire, on aurait pu ne pas être nourri du tout. " Il devenait cynique, encore mieux. Parfait, vraiment.

J'étais loin d'être une fin gastronome, mais il faut dire que j'avais l'habitude de bien manger. La brasserie en face de BNL servant toujours des menus très parfumés à l'heure de midi et ce à un prix plus que raisonnable. Vous pouvez donc facilement imaginer ma réaction face à l'infâme gloubiboulga offert par la production pour tenter de nous empoisonner à petit feu avant le début officiel de l'aventure. Je m'apprêtais d'ailleurs, une fois mon assiette remplie a tenté l'expérience, mais les grimaces faites par le garçon, à côté de qui j'avais pris place, me coupaient l'appétit. Sa remarque me faisait rire. J'avais une petite idée sur la question :
Je pense que c'est pour nous plonger dans l'ambiance prison. La prod a pour l'instant tout fait pour qu'on se sente vraiment en taule. Elle n'allait donc pas laisser la bouffe rompre l'illusion.
C'était d'une logique implacable, nous affamer, nous faire vivre un enfer pour que les non sélectionnés soit dégoutés à mort et que les sélectionnés, eux, profitent à fond de l'aventure qui leur tendra les bras. En attendant, jetant un regard suspicieux à mon assiette, je demandais avec de gouter :
C'est vraiment si mauvais que ça ?
Cela puait, c'était absolument difforme, mais bon peut-être ne fallait-il pas trop se fier aux apparences. Puis, le jeune homme avait raison, ils auraient pu ne pas nous nourrir du tout. Ou alors avec un simple quignon de pain et une écuelle d'eau comme à l'époque.
Cupidon est sadique, mais pas à ce point-là. De toute manière si la prod avait fait cela, elle se serait retrouvée avec les associations de protection des droits de l'homme au cul et vu les soucis judicaires qu'elle a eu avec les anciennes abysses. Je pense fort qu'elle n'a pas envie de retenter l'expérience des tribunaux pour le moment.
J'étais surpris de raconter cela. Comme quoi, trainer sur le net à la recherche d'informations pour l'émission commençait à me laisser des séquelles. Il fallait que j'arrête et vite sinon j'allais devenir plus cruche que le stéréotype de la candidate de télé-réalité. Déjà que j'étais complètement timbrée, je n'avais pas besoin de rajouter cela à mon CV.

Au moins il faisait rire quelqu'un avec ses remarques désagréables. Il n'aimait pas spécialement râler, mais là, ça venait tout seul. Il hocha la tête, c'était plutôt une bonne explication. Effectivement, il fallait que tout soit parfait et suffisamment réaliste pour bien les faire souffrir. Sinon, ce ne serait pas drôle. Il avait presque envie de s'arrêter de se nourrir juste pour montrer son mécontentement. Mais non, il tenait un peu à son physique agréable, tout de même, et cette émission ne ferait pas changer ça. " c'est plus que mauvais, c'est atroce. " Apparemment, il pouvait s'en donner à coeur joie dans le mécontentement avec elle, puisqu'elle ne semblait pas trop optimiste non plus sur la question. " ah ouai ? je dois être stupide et vivre dans une grotte, mais j'ai rien entendu de tout ça ... " Ou alors c'était parce qu'il s'intéressait à peu de choses qui ne touchaient pas directement son quotidien, malheureusement. Il avait sérieusement besoin d'ouvrir ses perspectives, il devenait clairement un vieux pèpère se contentant de sa femme, de son boulot et de sa maison. C'était désespérant, quand était-il devenu vieux ? " j'ai presque envie de proposer une grève de la faim, mais j'imagine que ce serait exagéré, donc on va prendre sur nous, hein. " Et après ça, il replongea sa fourchette dans la mixture pour en prendre encore une bouchée immonde.

Plus je nous regardais tous les deux, plus j'avais l'impression de voir deux petit vieux coincés dans des corps de gosses. La maison de retraite pouvant s'apparenter à notre prison environnante. Ah son visage suivis de ses exclamations, je décidais de ne tenter l'expérience de la bouillie qu'avec une toute petite cuillère. Le goût était atroce, mais un peu d'eau suffisait à faire pas trop mal passer l'ensemble. Au-delà de ça, le jeune homme semblait surpris par mes informations. En même temps rien d'officiel n'avait été divulgué. Pour préserver l'émission, ce genre de détails fâcheux ne devait pas s'ébruiter.
Non, non je ne pense pas. C'est juste que de nos jours avec tout ce qui se passe. Les médias ne relient pas forcément ce genre d'informations de second plan. Tu sais, j'ai dû aller chercher assez loin sur le net pour trouver ces rumeurs et pour tout te dire, je ne suis même pas sûr qu'elle sont vrai.
Il y avait juste une phrase d'Alix le présentateur sur le blog de la production, mais ensuite rien de plus. Juste une flopé de suppositions pas forcément utile, ni même bienvenu de ma part. En attendant, le jeune homme me proposait une idée qui méritait réflexion. Faire la grève de la faim… Hum intéressant, quoiqu'un peu dangereux tout de même. Le pauvre il ne tint même pas dix secondes sa résolution qu'il reprenait déjà une fourchette :
Oh non rien qu'un peu. Quoiqu'au fond, je suis sûr qu'il ne nous arrêterait pas. Si on finissait par mourir dénutrit avant la fin de la semaine. Ils auraient déjà deux postulants éliminés pour une place dans le jeu.
Entre le dégout culinaire, le manque de confort, la fatigue… On avait toute les raisons du monde de craquer mais c'était pour une bonne cause, entrer dans l'aventure. Et puis au-delà de ça, je n'avais pas pour l'instant rencontré de candidats plus chiants que ça. D'ailleurs en parlant de rencontre, je ne connaissais toujours pas l'identité de mon partenaire de tablée. Il fallait donc que je remédie à cela :
Au fait, moi c'est Zélie et toi ?
Il avait une tête à être américain, avec un prénom qui va bien avec… Après, là encore, mes suppositions étaient souvent foireuses… Dans ce cas précis, je ne savais pas pourquoi, mais je me doutais fortement que j'allais droit dans le mur. Mais bon comme le disait si bien ma grand-mère : "quand t'es au pied du mur, appuie sur l'accélérateur, tu auras peut-être une chance de le transpercer".

Elle avait l'air bien informé. Il avait peu d'expérience avec le net, en définitive, incapable de suivre un filon croustillant d'informations, pour sûr. Il était impressionné, mais il n'insista pas pour savoir tout ce qu'elle semblait connaître sur l'histoire. il n'était pas aussi curieux que ça. Et puis la nourriture lui faisait oublier toute autre question existentielle. Il regrettait presque les plats brûlés de sa tendre Lou. Enfin, tendre, bof. " oui, tu as raison, pas très intelligent de se faire mourir de faim alors que le but c'est de résister à tout ça. t'es plus maligne que moi. " Il lui fit un sourire qui se transforma en grimace quand l'arrière goût se fit sentir dans toute sa bouche. Il hocha la tête quand elle dit son prénom. " enchanté. " Il se demanda s'il devait aller plus loin en lui baisant la main, mais se restreignit à un sourire. " Clotaire, pour vous servir, enfin, non. seulement si tu arrives à me trouver une nourriture plus convenable, en compensation. "

Clotaire, parce que oui c'était son nom. Pauvre garçon, il avait dut en voir de toutes les couleurs à l'école primaire. Derrière sa bouille d'ange, une certaine malice transparaissait. Il semblait savoir très bien où il allait ce qu'il devait dire ou non… En me flattant et se dénigrant par la même la occasion, il gonflait mon orgueuil ce qui, je dois bien l'avouer, était loin de me déplaire.

Plus maligne que toi ? Moi ? Non je ne pense pas. Enfin là, c'était pas grand-chose, juste un peu de bon sens.

Après, sa proposition était elle aussi logique. Dans des situations comme celle-ci l'esprit humain avait souvent tendance à laisser de côté tout bon sens pour céder à ses instinct primaire ou à l'appel d'actions un peu extrêmes comme la grêve de la faim. Clotaire en se présentant disait être à mon service, enfin si je lui trouvais une nourriture plus convenable en compensation. Je regardais autour de moi, il y avait rien, absolument rien.

J'aurais bien voulu te trouver de la bouffe plus convenable. Mais je ne crois pas qu'il y en ai à notre disposition en cet instant précis. Je me passe donc de tes services pour le moment, mais ce n'est que parti remise.

Je n'oubliais ce genre de promesse. Si dans le nid j'avais besoin de Clotaire. Je savais maintenant, qu'il suffirait que je lui prépare un bon petit plat pour obtenir ses services. Tout bien réfléchit, cela pouvait se révéler très pratique dans une aventure comme Fake Lover

Clotaire n'allait pas mentir, il adorait discuter avec des personnes qui avaient de l'esprit, même un esprit méchant, un esprit noir. Il pouvait rire à tout et trouver intelligent beaucoup de propos, même les plus impolis et les plus durs à entendre. Et cette Zélie avait l'air d'avoir de l'esprit. Ce qui était vraiment très agréable. Il n'avait pas besoin de la lancer beaucoup pour qu'elle lui réponde. Et elle ne devait pas dire grand chose pour qu'il ait un sourire en coin. " alors c'est du bon sens qu'il me manque, et ça, ça ne m'étonne pas du tout. " Il eut un petit air polisson, avant de retrouver un peu de sérieux, mais il n'était pas une personne sérieuse. Un peu volage et surtout instable dans de nombreux moments. Donc effectivement, le bon sens ne faisait pas vraiment partie de son approche de la vie et de son environnement, loin de là. Tout ce qu'il pouvait faire, et qu'il savait bien faire, c'était s'entourer de personnes ayant un fin bon sens. " ça marche, ma belle. en plus, tu as de la chance, je ne suis pas compliqué. je n'ai pas un ventre sensible, contrairement à ce que ça en a l'air, là. bon, après, mes services sont limités, hein, je n'ai pas non plus des possibilités extrêmes. j'ai quelques talents, cela dit. " il fit semblant de faire son fier, paradant un peu, la tête haute et un sourire hautain sur le visage. Mais ça ne faisait pas une très bonne illusion.

Elle était même gentille cette Zélie. Prête à le suivre dans ses délires, mais aussi à l'écouter, à la raisonner un peu. Plus que gentille, elle était agréable à être avec, un gros avantage que tout le monde ne possédait pas. Il avait un peu peur qu'avec sa personnalité flamboyante, il prenne toute la place dans leur conversation, mais elle n'avait pas l'air de s'en formaliser, rebondissant sur ses bêtises avec facilité. " ce n'est pas souvent le bon jour alors. " il lui fit un sourire insolent avant de remuer la nourriture dans son assiette. Maintenant qu'il avait moins faim, ça devenait vraiment difficile d'avaler cette chose. Il releva la tête quand elle lui posa la question. " alors! je ne peux pas être exhaustif, donc j'en choisirai seulement quelques uns. " il lui un petit sourire en coin, faussement fier et pompeux. Ses talents n'avaient rien d'extraordinaires, évidemment. " déjà, je suis un pro des cocktails, n'importe lesquels. " Ca, c'était l'avantage d'être barman. " ensuite, je ne rechigne devant aucune action un peu téméraire et aventureuse, donc si tu as besoin de quelqu'un pour foncer tête baissée sans poser de question, je suis là. "

Il était drôle ce Clotaire… Il me rappelait un pote d'université, Andrew, Franco-Canadien, tête-brulée au possible avec un sens de l'humour du tonnerre. Comme le surnommait ma mère à l'époque, c'était un peu le diable en culotte de velours. Clotaire, il me faisait penser à lui. De par sa manière de prendre les choses, d'avoir toujours le mot pour rire, d'être lui-même tout simplement.
Arrête de faire ton monsieur grincheux, cela ne te vas pas au teint.
Ces petite bouclettes, lui donnait un air tout mignon, tout malicieux qui lui collait mille fois mieux à la peau. Même quand il faisait le crâneur, cela me donnait le sourire. Avec lui, j'étais heureuse, j'en oubliais même presque l'horrible purée dans mon assiette.  Je sais qu'on ne venait de se rencontrer que depuis quelques minutes mais j'avais l'impression que cela faisait des années.
Vas-y… Mais choisis bien alors ! Tu n'as pas intérêt à te tromper.
À cela j'ajoutais un petit clin d'œil pour lui montrer que je prenais, moi aussi, cela à la déconnade. En attendant, j'étais intéressé par ces petits talents. J'adorais boire les cocktails et partir à l'aventure, je faisais cela il y a quelques années, quand j'étais encore à la fac et puis, avec le temps, j'étais devenue plus sérieuse, mais comptais bien sur cette aventure pour me lâcher un peu. J'avais envie de sentir libérée, délivrée comme l'aurait si bien dit notre reine des neiges internationale.
Eh ben ce que je te propose, c'est que la semaine prochaine. Si on est pris tous les deux dimanche. On se fait une petite soirée tous les deux dans un des lieux insolites du nid. Tu t'occuperas des cocktails et moi, de mon côté, je te raconterai de jolies histoires.
En tant qu'archiviste dans une bibliothèque. J'avais, dans ma mémoire, plein d'histoires qui n'attendaient que d'être raconté et j'étais persuadé que le grand enfant avec qui je partageais ce repas de midi serait ravi de les entendre.