Je n’ai jamais tiré à la carabine. Peu importe le contexte et peut-être est-ce parce que je n’aime pas les armes. Ironique quand on pense au pays dans lequel je suis née, où je continue de vivre chaque jour, l’un des pays où se procurer une arme est presque aussi facile que de s’acheter un hamburger chez McDonalds. Pour ne rien arranger je suis une fervente militante des mouvements contre la chasse, si je mange un petit peu de viande comme une bonne partie des personnes qui peuplent notre planète je ne vois pas l’intérêt de chasser par plaisir. Arracher la vie, que ce soit à un animal ou à un être humain par plaisir revient à la même chose, tuer gratuitement est juste accepté, normalisé lorsque nous parlons d’animaux. Autant de raisons qui justifient le fait que je ne me sois jamais vraiment approchée d’un fusil, je n’en ai jamais ressenti le besoin mais puisque nous sommes sur une fête foraine j’ai bien envie de tenter l’aventure. Pas pour me sentir masculine, ou puissante, ou quoi que ce soit de ce genre, utiliser une arme à feu ne m’intéresse toujours pas. Non, j’ai juste envie de voir si je suis plus forte que mes trois meilleurs amis, les danseurs avec qui je me retrouve généralement sur les mêmes projets depuis une dizaine d’années. Ils sont super mauvais à cela, je me suis tellement moqué d’eux en les regardant faire que si je n’avais ne serait-ce qu’essayé ils ne se seraient pas gênés pour m’humilier. Un simple échange de bons procédés ! Puisque je suis seule ici, je n’ai rien à craindre, les images seront peut-être diffusées si je parviens à viser l’un des ballons et je pourrais donc m’en vanter auprès d’eux à ma sortie… Ouais, faudrait-il déjà que je parvienne à recharger le fusil. « Buzzy Buzz ? » C’est bien comme cela que s’appelle le mec qui tient le stand non ? Il ne semble pas réagir et j’aperçois au loin un candidat qui pourrait m’éviter une autre seconde de solitude. « Hey, toi ! » J’hurle en lui faisant de grands signes. « Viens voir une seconde ! »

J’aimerais bien que le monsieur aux allures de cow-boy me vienne en aide, j’en ai cruellement besoin puisqu’incapable d’insérer la munition dans le fusil. Je suis pourtant certaine qu’il faut la mettre où je tente désespérément de la faire rentrer depuis tout à l’heure mais il n’y a rien à faire. Il existe peut-être un mécanisme, un geste à répéter pour que tout s’actionne rapidement et simplement. Je n’en sais rien, il n’existe aucun mode d’emploi disponible et notre hôte est loin d’être d’humeur à sauver une jouvencelle en détresse. Une chance pour moi qu’un candidat passe dans le coin, un signe du destin dirons-nous. Je risque de lui faire peur à hurler en lui faisant signe, nous n’avons jusqu’à maintenant jamais ne serait-ce qu’échangé des banalités… Il y a un temps pour tout et je sens qu’aujourd’hui nous pourrons enfin faire connaissance. Il approche, pas le moins du monde effrayé par mes bêtises, tant mieux, je vais pouvoir lui demander de me donner un petit coup de main sans avoir à trop me prendre la tête. Il semble de bonne humeur et il connait déjà mon prénom, gênant, j’ignore le sien. « Je n’arrive pas à charger le fusil pour tirer dans les cibles, tu pourrais m’aider euh… » Je bloque, incapable de mettre la moindre syllabe sur lui. « Je suis désolée, je ne me souviens pas de ton prénom. » J’improviserai bien une marche de la honte mais nous sommes dans une aventure, tellement nombreux qu’il me parait normal de ne pas avoir retenu les prénoms de tout le monde. Je tourne la tête vers Buzzy Buzz que je soupçonne à présent d’être un imposteur. « Il n’a pas moufeté depuis que je suis arrivée, il est peut-être fait de cire… Il est peut-être macho ou… Ou raciste… Je ne sais pas ! » Ouais parce qu’il n’est pas censé rester immobile comme cela. Une musique se met soudainement à retentir, elle ne m’est pas inconnue et je viens immédiatement chercher le regard de mon collègue. « Oh oh… » Si je possédais plus d’argent sur ma cagnotte je ne remplirais pas cette tare, drôle de façon d’apprendre à se connaitre, mais j’ai déjà perdu la majorité de mon argent à cause de la roulette. « Désolée ! » Pour lui plus que pour moi. Je ne vais pas faire la difficile, d’autant qu’il est loin d’être le type d’hommes que je laisserais dormir sur le canapé, si vous voyez ce que je veux dire. Je bondis sur ses lèvres et l’embrasse. Pas longtemps, suffisamment pour que ma mission soit remplie et que je puisse me faire une idée de ses capacités buccales. Autant en profiter non ? Je recule, un sourire satisfait aux lèvres. « On en était où ? Ah oui… Le fusil ! »