Il a l'esprit ailleurs, ces derniers temps. Les jours de fête approchent et ses pensées vont à sa mère et à ses sœurs, les femmes de sa vie. En ouvrant sa valise l'autre jour, il a eu la surprise de voir que des paquets cadeaux ont y été entreposés, précieusement emballés des mains de sa grande frangine, à côté des dessins de ses neveux et nièces.  Le baume au cœur, il a lu le petit mot qui accompagnait les présents, écrit de la part de la mère, cette fois. Interdiction d'ouvrir les cadeaux avant Noël qu'il écrit. Il a éclaté de rire en lisant cela, il imagine bien la réaction qu'elle aurait si il ne lui obéissait pas au doigts à l’œil. Les mamas italiennes. Cette dernière a pris soin de placer un sachet de talismans et d'amulettes en tout genre. Ça, c'est sa grand-mère tout craché, toujours aussi superstitieuse. Sa mère et elle bataillent ferme depuis des années concernant la tradition qui se perpétue depuis des générations. Etant le premier garçon de la lignée maternelle (la grand-mère et ses sœurs n'ont eu que des filles - étrange phénomène), il a une place spéciale dans le cœur de la vieille dame, allant jusqu'à dire qu'il est son petit-fils préféré. Il n'hésite jamais à vanter ses mérites auprès de ses voisins. Toutes ces petites attentions ont rendu mélancolique le jeune homme. Premier signe du mal du pays. Une nostalgie qui le prend de court. Ce n'est pas la première fois qu'il s'éloigne de la maison. Toujours est-il qu'il est très attaché à sa famille. Frappé d'insomnie, il se balade dans le nid, le talisman de sa mamie au poignet. Il trouve le chemin en direction de la piscine. Il pénètre dans les lieux, l'odeur de chlore chatouillant les narines. Il se désape et avance jusqu'à la bordure du bassin, vêtu d'un maillot. Il enfile ses lunettes de plongée et se baigne. Il fait quelques longueurs pour évacuer tout le stress qu'il a accumulé ces derniers temps. Il sort la tête de l'eau et remarque une silhouette sur le seuil de la porte. Elle se rapproche de plus en plus tandis qu'il revient aux bords. Il s'y assoit, retire les lunettes, le dos en arrière et les pieds dans l'eau. « T'es venue pour un bain de minuit, c'est ça ? », qu'il lui lance en riant légèrement. Le ton de sa voix se veut amusant et accueillant. Il doute que cela soit pour cette raison. Cela lui fait un peu de compagnie. Il passe sa main dans ses cheveux mouillés pour les ébouriffer un peu. Il soupire de satisfaction suite à sa baignade. Il détourne son regard un instant de la belle pour le perdre devant l'étendu azuré. « Félicitations d'ailleurs. », annonce-t-il avec sincérité, sourire en coin. C'est une façon détournée pour lui de dire qu'il est heureux de la revoir parmi eux. Leur petite entrevue de la semaine dernière lui a laissé un sentiment de trouble qui ne se déploie qu'en la présence de la française. « Tu as la côte, dis-moi. » Il ne fait que de constater l'évidence. Elle est populaire, il n'y a rien redire là-dessus. Il en connaît la raison de ce succès. La beauté mis de côté, c'est la générosité qui prime chez elle. Une générosité qu'il trouve authentique. Elle est l'authenticité même, Khadija.

Lloyd dort comme un loir, c’est le cas de le dire. Heureusement, son partenaire suédois ne ronfle pas, elle songe en l’observant de côté, une main posée entre sa joue et l’oreiller. Il est mignon quand il dort, il a l’air si apaisé, si à son aise dans cette chambre pourtant dépaysante. Un grand dortoir dans lequel trop de personnes expirent et inspirent en même temps. L’atmosphère y est un peu lourde, la nuit, les respirations ajoutées à la chaleur diffusée par les radiateurs. Il faut dire que la nuit est glaciale, à l’extérieur, mais le nid est divinement bien chauffé. Incapable de se concentrer, trop heureuse de réaliser qu’elle a échappé à une fin funeste lors du dernier prime où elle était nominée, elle décide de donner libre cours à son excitation. Khadi se redresse dans le lit et se glisse en dehors avec agilité, de manière à ne pas soulever la couette – sinon, l’air froid pourrait réveiller Lloyd. En pyjama, soit un petit short et un débardeur, elle quitte la chambre en repoussant doucement la porte derrière elle, et parcourt le nid déserté. Si agréable, de se promener de nuit en maitresse des lieux, sous les yeux rouges des caméras qui, elles non plus, ne dorment pas. Elle passe les pièces à vivre, ses pas l’amenant jusqu’aux salles de sport, la piscine… Oh ! Délice des délices : la piscine est allumée, même la nuit. C’est agréable, l’eau bleutée et calme qui se reflète dans les vitres qui l’entourent. Faible rappel de l’océan qu’éclaire les lueurs naturelles de la lune… Elle entre dans la grande pièce et son cœur manque un battement. Un homme est là, dans l’eau, qui la regarde. Elle s’autorise à respirer de nouveau lorsqu’elle reconnaît Lino. Elle sourit à sa remarque, à présent détendue. On a toujours plus tendance à flipper de nuit que de jour, c’est quand même un monde. — Je suis heureuse de ne pas avoir interrompu un moment d’intimité, tu veux dire, elle souffle, amusée. — Je n’aurais pas été étonnée de te trouver en bonne compagnie, elle ajoute pour bien faire comprendre son sous-entendu. Lino a un sacré succès auprès des femmes, c’est indéniable. Elle se rapproche du rebord de la piscine et, n’ayant pas de maillot sur elle, elle se contente de s’asseoir et de plonger ses jambes dans l’eau tiède, les fesses bien au sec. Un grand sourire heureux illumine son visage à l’entente des félicitations de Lino. Elle hoche la tête pour le remercier, bien contente de sa chance. En entendant qu’elle a « la côte », elle penche la tête sur le côté, une moue d’humilité sur le visage. — Pour le moment, elle lâche, pensive. Puis elle le désigne d’un mouvement de tête. — Je ne suis pas la seule… Un nouveau sourire malicieux, et ses yeux verts cherchent sur le cou de l’Italien le suçon qu’une candidate lui a fait lors du prime. — Est-ce qu’il y a une femme dans ta vie, Lino ? Elle demande, soudain curieuse. Oui, une femme qui aurait pu grincer des dents en suivant le prime et en voyant Lino sourire face à la demoiselle venue sucer le sang de son cou. — Je t’imagine avoir… une muse, dit-elle dans un demi sourire, le dépeignant en artiste, en littéraire, plus inspiré par la Beauté qu’attiré par la chair.

Il observe l'allure féline de la belle tandis qu'elle prend place à ses côtés sur le rebord de la piscine chauffée. Les pieds trempés dans l'eau, Lino lance en premier la discussion en sous-entendant que la présence de la jeune femme est due d'une envie soudaine d'un bain de minuit. Chose qui lui n'aurait jamais venu l'esprit s'il n'a pas contesté qu'il se faisait tard et que sans doute les seules âmes vivantes se retrouvent ici. Son interlocutrice lui fait comprendre qu'elle n'aurait pas étonné de le voir en bonne compagnie. Ne comprenant à moitié ce qu'elle entendait par « moment d'intimité », il lui rétorque, le regard dans le vague : « Ou j'avais juste envie d'être seul. » Tout simplement. En fait, la solitude ne le dérange nullement. Il la recherche de temps à autre lorsqu'il souhaite s'isoler. Et ce soir, c'est le cas. La venue de Khadija l'a fait sortir de sa torpeur. Il a toujours apprécier d'être en sa compagnie, même quand il a besoin d'être par lui-même. Elle ne le dérange pas. Il ne tarde pas à la féliciter de son retour dans le nid et accessoirement, il lui parle de sa côté de popularité au détour de la conversation. Encore une fois, elle lui mentionne le fait qu'elle n'est pas la seule à être convoité, si on peut le dire ainsi. Elle parle sans doute du fameux suçon qu'il arbore en ce moment même. Il lâche un léger rire en frottant son cou, il l'a presque oublié, celui-là. « Cela ne prouve rien du tout. », qu'il répond en douceur, souhaitant passer à un autre sujet. Il commence à faire froid, il se dit. Il retourne dans l'eau chaude et chlorée, mais il reste à côté d'elle, les bras le long de la bordure du bassin et la tête posée sur son bras. Il regarde face à lui quand elle lui demande si il a une petite amie. A l'écoute de la question, son sourire chaleureux se transforme en un rictus mutin. Il est d'humeur taquine ce soir, on dirait. Rien de mieux qu'un peu de dérision.« Oui, il y a des femmes dans ma vie. Ma mère, mes sœurs et ma grand-mère. Ce sont elles mes muses. » Il élude volontairement la question, il en est conscient. C'est histoire de l'embêter un peu et de voir sa réaction à cela. Son visage s'adoucit rien qu'en parlant d'elles. Il est évident qu'elles sont les personnes les plus chères dans son existence. Il croise le regard vert un instant de la française, la contemple rêveur et lui souffle : « Non. Je n'ai pas de petite-amie. Il y a bien un domaine dans lequel je n'excelle pas. C'est bien celui-là. Contrairement aux apparences. Je ressemble à mon père de ce côté-là. » Il rit de plus bel. Et oui, son père et lui ont souvent la tête dans les nuages. Quand il s'agit d'amour, ils sont tous les deux de piètres séducteur, incapables de cerner les nuances de la séduction. Ne parlons du fait qu'ils ne s'aperçoivent jamais de rien quand les femmes veulent subtilement les inviter à sortir. Ils ne captent pas souvent les nuances ou les sous-entendus. De la naïveté ? Peut-être. Mais Lino sait qu'il peut plaire, mais choisit de ne pas en abuser. Il est pudique, il ne s'en cache pas. A part en amitié, bien sûre. « Maintenant que j'y pense, je crois que mes relations ont souvent pâti à cause de ce que l'on dit des italiens. Ta réaction à mon compliment de la semaine dernière ne fait que de confirmer ce que je pense » Le voilà, le cliché éternel du lover par excellence. Au risque de se répéter, l'italien est un coureur médiocre. Il a été élevé dans une sorte de matriarcat et sa mère lui a inculqué très tôt des valeurs féministes. Il respecte bien trop les femmes pour les flatter de façon intéressée. Il apprécie la beauté dans toutes ses formes. « T'es insensible à mon charme de toute façon. », qu'il lui lance d'un air faussement boudeur. Cette phrase, il ne le pense pas du tout. Il sait être distant par rapport à lui-même, ne se prenant absolument pas au sérieux. Son visage s'assombrit en instant en avouant à son interlocutrice. « Il y a bien eu une femme mais cela remonte à longtemps. » C'est comme si cela s'est passé dans une autre vie. Une femme plus âgée que lui. Le double de son âge à l'époque. Il ne préfère pas s'attarder là-dessus pour l'instant. « Et toi, t'as un amoureux ? » Cette fois, il retourna la question, en espérant qu'elle ne se défilerait pas.

Plus le temps passe, plus leur discussion avance, et plus Lino dresse un portrait de lui-même bien éloigné de celui que la production, lors des primes, dessine aux consciences prêtes à recueillir ce qu’on leur montre. Khadija elle-même, aveuglée par le mythe du « bel Italien », percevait Lino comme un séducteur gentleman invétéré. Peut-être pas, au fond, songe-t-elle la tête penchée de côté en écoutant Lino lui parler d’elle. Solitaire, distrait, familial. Loyal aux femmes qui l’ont élevé et formé, comme Naveen, finalement. Elle lui imaginait pourtant bien des relations… Elle voyait les sourires fiers et comblés des femmes qui s’étaient succédées à son bras. Lino avait l’air de gâter ses conquêtes, leur répéter qu’elles sont belles, divines, si bien qu’elles finissaient par y croire. Il semble tenir à détacher l’esprit de Khadija de cette vision erronée. Elle se laisse volontiers convaincre. Lino n’a rien à lui prouver, elle fait confiance, c’est tout. Elle ne juge pas. Il frotte son suçon, comme pour l’effacer, mais Khadi se souvient que lors du prime, il l’arborait fièrement. Etrange, ces différentes attitudes qu’il adopte selon qui se trouve en face de lui. Lorsque c’est elle, il se transforme en ce qu’elle aime. Elle écoute ses rires avec un sourire qui lui est tout destiné, puis elle ouvre de grands yeux lorsqu’il lui reproche sa réaction à son compliment, dans les jardins. — Arrête, Lino, dit-elle dans un rire, sa main scindant l’air en signe d’absence de naïveté. — Je veux bien croire que tu n’es pas vicieux, je te crois même entièrement, elle ajoute dans une moue sincère. — Mais tu es un séducteur malgré toi, je ne suis pas la première fille que tu complimentes. Peut-être ne s’en rend-il pas compte, de cette façon qu’il a d’attirer les regards, parce qu’il regarde lui-même. Il séduit, Lino. Parce qu’il est lui-même séduit. Il a ce côté artiste dont il pourra bien se défendre, en vain aux yeux d’une Khadi qui le perçoit ainsi. Sensible à la beauté, capable de prononcer des mots avec simplicité, évidence, des mots que d’autres ne diraient même pas en rêve. Elle ne le pense pas sûr de lui, ni arrogant. Il se dépeint légèrement naïf, et c’est sans doute vrai – s’il le dit. Sa naïveté donne lieu à des situations amusantes, comme lorsqu’il regarde une belle femme et lui dit, yeux dans les yeux, sans détour, qu’il la trouve magnifique. Il se moque d’elle, l’accusant faussement d’être insensible à son charme ; ça la fait rire. — C’est faux. Elle sourit et l’observe en biais, le regard malicieux. — J’y suis sensible à ma façon. Peut-être qu’il ne la perçoit pas, sa façon d’être séduite, mais Khadija est une femme. Comme toute femme, elle apprécie qu’on la dévore du regard. Elle ressent le trouble, la tension, positive ou négative, de son sixième sens implacable. — Non, je n’ai pas d’amoureux, elle confie avec simplicité. — Je suis très attachée à l’amitié, elle ajoute en même temps qu’elle s’en fait la conclusion. Elle a toujours eu plus d’amis que de petits-amis. Mais elle ne veut pas en rester là avec Lino : pas question d’éviter le sujet passionnant de cet ancien amour. Ses yeux verts s’accrochent à ceux de l’Italien pour ne plus les quitter. — Raconte-moi, s’il te plait… Une curiosité tenace s’est emparée d’elle. On peut parfois apprendre à connaître quelqu’un au travers une autre personne, encore mieux que si l’on avait ce quelqu’un en face. Les autres nous révèlent mieux que nous-même. Qui est cette femme, unique et passée, qui a obtenu un jour (et peut-être le possède-t-elle encore) le cœur du mystérieux Lino ?