C’est noël. Enfin quasiment. J’aurai jamais pensé le passer en Irlande et encore moins entre quatre murs entourés de parfaits inconnus et filmé H24. Incroyable. En même temps, je crois que c’est le mieux. Je vais pas dire que je suis content de le fêter là mais presque. Ce noël n’aurait pu ressembler en rien au noël précédent. Je prends donc les choses positivement et je me suis préparé un bon petit déjeuner avec des fruits frais et découpés par mes gros doigts. Je suis le spécialiste. Je crois que je pourrai me recycler dans un stand de… smoothie ou truc du genre. En attendant, je m’arrête un instant devant la salle de contrôle. J’ai entendu du bruit. Je jette un coup d'œil mais me fait repérer surement à cause de ma touffe. L’indien semble être du genre voyeur. Il me convie néanmoins à le rejoindre à travers un sourire et un signe de la main. Puis, il me demande si je suis venu pour visionner le prime. J’hausse un sourcil avant de m’asseoir pas très confortablement sur l’accoudoir de la chaise. « Non, j’étais là lors du prime. Je suis peut-être resté un peu dans l’ombre ? » J’en sais rien, c’était pas le meilleur prime de ma vie et j’ai pas fait grand-chose d’autre que d’écouter les rubriques mais ceci dit, j’étais tout de même présent. Quoi que visiblement pas aux yeux des autres candidats ou du moins de Naveen. Peut-être ma tenue noire qui a fait que je me suis fondu dans le décor. J’ai cru comprendre que Rowan aurait préféré que je porte quelque chose de plus coloré. Faut dire que je m’habille pas en pensant à elle. C’est peut-être ma chef d’équipe mais pas ma mère. « Non. C’est la première fois. Je t’ai entendu. Enfin j’ai entendu la chaise grincer et je t’ai vu. Voilà. » Y’a pleins de lieux où je vais jamais. J’ai mes petites habitudes moi. « Et toi ? Tu regardes qui passe bien à l’écran ou t’es en quête d’indices ? » Faudrait peut-être que je me méfie d’ailleurs. Même si on ne se connait pas, je suis à l’abri de rien. Il suffit qu’il m’espionne comme ça, qu’il se renseigne sur moi et hop, le buzzeur est si vite enclenché.

Fraîchement débarqué dans la salle de contrôle où Naveen m’a convié, le candidat me demande si je viens ici pour regarder un replay du prime. Étrange. Quel en serait l’intérêt ? J’étais bien présent sur les plateaux dimanche dernier. Peut-être que je suis resté trop dans l’ombre ? Non, visiblement, je passe pas vraiment inaperçu d’après l’indien. J’sais pas trop comment je dois prendre sa remarque. Je suis imposant ? « Bien vu. » Je me contente de répondre en le regardant d’un air suspicieux. Je trouve ses propos un peu étrange. Soit il a tendance à me mater ou stalker, soit je passe vraiment pas inaperçu où que j’aille ce qui me paraît tout de même bizarre. J’ai beau avoir quelques kilos en trop, je ne suis pas non plus un sumo ou hyper-extravagant. « Je ne suis pas vraiment doué avec les nouvelles technologies. » Je déclare alors me sous-estimant une nouvelle fois alors qu’au final, je parviens toujours à me débrouiller. Je ne suis pas plus bête qu’un autre après tout. « Tu réfléchissais à quoi ? » Je comprends que l’indien a envie d’en découvrir davantage sur moi. J’sais pas si c’est une bonne chose et j’sais surtout pas si j’ai grand-chose à lui apporter. Néanmoins, discuter avec lui ne me dérange pas pour autant. A vrai dire, je préfère ça plutôt qu’écouter les autres derrière les écrans et ne pas pouvoir interagir. « La fille la plus âgée ? » Je fais les gros yeux, surpris par la question de l’indien. Je m’attendais pas vraiment à ça. Je réfléchis alors et la réponse me vient comme une évidence. « Noooon. Khadija est jeune. C’est Greta. La quarantaine je crois.  » Le candidat ne la connait peut-être pas, j’en sais rien mais ça ne fait pas l’ombre d’un doute entre les deux.  « Tu me donnes quel âge ? » Histoire de tester la capacité du candidat a donné un âge aux autres. Si ça se trouve, il pense que j’en ai quarante et il a dû mal à jauger les traits occidentaux. Faut dire que les chinois et les indiens, ils ont pas tellement de ride alors c’est plus complexe de leur donner un âge. Peut-être que Naveen est défavorisé de base. « Pourquoi ça me ferait de la peine ? Elle n’est pas morte. » Je précise alors avant de me mettre à réfléchir sur l’âge de mon ancienne partenaire. « Mon âge je dirai. Ou un an de moins. » En même temps, c’est pas forcément la première chose que je lui ai demandé. Je suis même sûr de ne l’avoir jamais fait. C’est pas des choses qui se demandent. C'est assez malpoli et inapproprié. « Pourquoi ça t’importe autant de connaître l’âge des gens ? » J’avoue que je suis curieux. Probablement une différence culturelle.

Je crois que je viens de trouver mon maître en matière de nouvelles technologies. Naveen m’annonce qu’il a passé vingt-huit ans, soit toute sa vie j’imagine, sans toucher à un ordinateur. Whaou. Je reste bouche-bée. Je pensais même pas que c’était possible. « Il n’y a pas d’ordinateur en Inde ? » Je pense que si et je me dis que mon camarade ici présent a dû vivre dans un taudis ou un endroit sans électricité et sans confort. S’il me pensait dans le même cas que lui, pour le coup il se goure. J’suis pas branché nouvelles technologies mais il m’est déjà arrivé d’en utiliser. C’est plus les réseaux sociaux avec lesquels je suis moins familier en fait. « Non. Je connaissais pas l’émission il y a encore deux mois de ça. » Ou trois, je sais plus trop. Le fait est là, moi non plus je ne me serai jamais imaginé il y a quelques mois de ça dans une émission télé en Europe au beau milieu d’inconnus et dans cette situation. Comme quoi, on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve. En attendant, je suis assez surpris que le candidat me demande presque un classement des candidates les plus âgées et élimine Greta d’office. Pourquoi elle compte pour du beurre ? J’comprends pas trop. C’est sa couleur de peau qui le gêne ? Je fronce les sourcils avant qu’il n’explique qu’elle est juste trop âgée pour qu’on la compte. Ah ouais d’accord. Du coup, j’en profite pour savoir quel âge il me donne car généralement les gens me pensent plus âgés que je le suis à cause de la barbe et les cheveux longs. Sauf que non. Il vise juste. Je dois dire que je suis agréablement surpris. « Vingt-neuf. » Je rectifie alors aussitôt tout en songeant que la trentaine arrive à grand pas. Toute une étape. Quant à mon ancienne partenaire, j’en sais rien quel âge elle a. Je dirai le même que le mien à peu près. Enfin peu importe. C’est pas très important. J’me demande bien d’ailleurs pourquoi le candidat me demande ça. Surement une différence culturelle. Je lui demande quand même, assez interloqué par toutes ces questions assez inhabituelles pour moi. Il évoque une histoire de carnet ou il écrit des détails sur toutes les candidates. Mais pas les candidats, hein, eux, ils comptent pas visiblement. Bien. « Les garçons ne t’intéressent pas ? » Je demande dans un premier temps d’un air assez perplexe. Depuis le début, j’le trouve louche le garçon. Je me demande si j’ai pas affaire à un sérial killer ou un stalker professionnel. Car sérieusement, ce qu’il me raconte c’est un peu flippant. « Ne pas faire d’erreur pourquoi ? Tu comptes en épouser une ? » Je réponds d’un air presque moqueur et pas sérieux. Pour la première fois depuis le début de la conversation, un sourire apparait sur mon visage et un son bref ressemblant à un éclat de rire se fait entendre. Il précise néanmoins qu’il peut me montrer son carnet, ce qui est un peu rassurant, mais que pour se faire il faudra que je lui montre quelque chose de personnel en retour. Hm… Je prends de plus en plus peur. Et là, quand il m’annonce qu’il veut me couper une mèche de cheveux, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! « Non mais ça va pas ! Tu veux pas que je te fasse don d’un de mes poils pubiens tant que j’y suis car il est occidental ? » Il y a des choses qui se demandent et d’autres non. Je crois que l’Indien a besoin de comprendre ça et surtout qu’il assimile le fait que je ne suis pas une pièce de collection et mes cheveux encore moins. « Grrr. » Que je rajoute presque naturellement à force de m’être prêté au jeu de Rowan. « Les amérindiens avaient des cheveux longs en plus. » J’ai reculé quand même car là j’ai vraiment plus confiance en ce type. Je me demande même si j’vais pas dormir chaque nuit avec un bonnet au cas où il aurait l’idée de me couper une mèche pendant mon sommeil. J’crois que j’vais plus dormir, ça y est. Va falloir que je demande à la production de ranger tous les ciseaux et de remplacer les couteaux par des couteaux en plastique.

Naveen me confirme ce que je me suis imaginé. Il a vécu dans un quartier pauvre, probablement un taudis et me raconte qu’ils étaient quatorze à vivre au sein du même foyer et surtout de la misère. Seules les dépenses existentielles étaient envisageables alors un ordinateur, non, il n’en était clairement pas question et je peux le comprendre. Je baisse les yeux ayant une peine sincère pour lui et me sentant chanceux d’avoir toujours à peu près tout eu grâce à mes parents. Un idiot, voilà ce que je suis, un idiot. « Je comprends. » Je lâche alors à demi-mot me sentant pas forcément à mon aise alors que pour lui, ça semble être anodin. Cette situation doit probablement être très courante en Inde et banalisée. En attendant, je suis comme lui à propos de l’émission. Je ne la connaissais pas il y a encore quelques semaines. On est sur un pied d’égalité. « Oui c’est bien ça. » Il faut se serrer les coudes. L’expression est la bonne. Je me demande où l’indien a appris ça mais j’vais pas me plaindre de son accent. Il est très compréhensible par rapport à ce que j’aurai pu m’imaginer. « Non, je suis né en fin d’année. En octobre précisément et toi ? » Je n’aurais donc pas la chance de fêter mon trentième anniversaire parmi les candidats comme lui. Dans quelques mois, je ne sais pas avec qui je serai pour fêter ça. Probablement tout seul. J’en sais rien. Je sais pas de quoi le destin est fait. Parfois, des miracles arrivent… En attendant, l’attitude de l’indien est tout de même bien étrange depuis le début. Si je pensais à des différences culturelles en premier lieu, je me demande à présent à qui j’ai affaire. C’est louche de noter des détails sur un carnet concernant les candidates. Pourquoi pas les candidats d’abord ? Et qu’est-ce qu’il recherche ? Une femme occidentale à épouser ? Il m’assure que non avant de se rétracter ou du moins me demander si je trouve ça ridicule si c’est le cas. « Ce n’est pas comme ça qu’on procède pour trouver l’amour. Si c’est ce que tu cherches. » J’affirme alors sans répondre directement à la question du candidat. Ridicule, c’est pas le mot correct à employer. Je suis pas là pour me moquer de lui même si c’est l’impression que je lui ai donné sur le coup. Quant à son carnet, je trouve ça étrange qu’il insiste pour le montrer. J’ai pas envie de m’immiscer comme ça dans sa vie et découvrir des choses intimes. Ça me dérange. Alors non, je n’ai pas besoin de le voir et encore moins à ce qu’il me demande une contrepartie pour le voir. Une contrepartie qui me fait réagir véhément. Comment ose-t-il me demander de me couper une mèche de cheveux et lui donner ? Je suis choqué et offusqué. L’indien semble déstabilisé par ma réaction. Il prend tout de même son courage à deux mains pour me faire la leçon et me dire que j’ai été grossier. Certes. Il m’arrive d’être rustre. Et là, en l’occurrence, j’ai pas mâché mes mots. « Mes cheveux ne sont pas une pièce de collection. Ce ne sont pas des choses qui se demandent. » Je précise alors pour lui faire comprendre qu’il est aussi allé trop loin. Comme par mesure de protection, j’attache mes cheveux en un chignon mal fait. Je ne sais plus vraiment à qui j’ai affaire. Je ne sais pas s’il est fou ou tout simplement très maladroit. En tous les cas, je me méfie. J’ai clairement pas envie de me retrouver un beau matin avec une mèche de cheveux en moins juste sous prétexte qu’en Inde, personne n’a les cheveux aussi longs. D’ailleurs, c’est même pas vrai à mon sens. Les amérindiens avaient aussi les cheveux longs. Je ne me fais pas prier pour le lui faire savoir. « Vos origines sont les mêmes pourtant, non ? » Je suis peut-être mal renseigné après tout sur le sujet. Je me doute que la culture est bien différente mais je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas associer les deux. En attendant, ça me rassure qu’il prenne l’initiative de me dire qu’il ne toucherait pas à mes cheveux. Je peut-être pris peur un peu trop vite. Quant à son carnet… « Pourquoi pas. Mais je ne suis pas quelqu’un d’intrusive. Je ne veux pas m’immiscer dans tes activités si c’est personnel. » Je tiens quand même à lui préciser ce fait. S’il me propose de me montrer son carnet juste parce qu’il veut me prouver qu’il est sain d’esprit, ce n’est pas la peine. Je le crois.