C'était finalement comme ça chaque semaine. L'indien passait plusieurs jours à ressasser le prime, à s'accabler de doutes et de remises en question, jusqu'à ce que finalement sa détresse s'atténue, doucement, et qu'il soit à nouveau capable de sourire sans se forcer ou d'articuler un mot sans qu'il soit teinté de mélancolie, et donne l'impression qu'il était perpétuellement au bord des larmes. Aujourd'hui, son humeur oscillait peut être encore entre des émotions moyennement agréables, mais il parvenait à mener à bien ses séances de méditation – chose qu'il était parfaitement incapable de faire lorsqu'il était profondément ébranlé – si bien qu'il commençait tout doucement à se remettre de ses émotions, et à vivre des journées un peu plus évidentes. Celle-ci ne faisait encore que commencer, mais il avait le sentiment qu'elle ne pourrait rien lui apporter de très négatif, si on mettait évidemment de coté l'annonce des nominations qui aurait lieu en fin d'après-midi, mais pour laquelle il avait de toute façon décidé de ne pas s'angoisser, histoire de ne pas risquer de revivre des moments aussi pénibles qu'en début de semaine. Debout face à l'un des miroirs de la salle de bain, l'indien ne nota qu'après quelques instants qu'il ne s'y trouvait pas seul, puisque le bruit de fond qu'il pouvait entendre depuis son entrée dans la pièce cessa et lui laissa penser que quelqu'un sortirait bientôt de l'une des cabines de douche. Et ce fut justement le cas lorsque son regard finit par croiser celui de Salomée, à travers le miroir, ce qui lui valut d'esquisser un sourire. « Que puis-je faire pour toi ? » Il lui demanda alors instantanément, arborant cette fois une mine plus amusée – contrastant pour de bon avec son humeur du début de la semaine – tandis qu'il faisait implicitement référence à ce qu'il avait appris par le biais de la rubrique de Rowan. Salomée avait cité son nom lorsque l'animatrice lui avait demandé de quel candidat elle serait tentée de faire sa bonniche, ce qui l'avait surpris, mais pas du tout contrarié. « T'épointer les cheveux ? » La blonde se les était manifestement mouillés, et sûrement lavés, alors c'est naturellement la première idée qui lui avait traversé l'esprit. « Si tu peux mettre ton destin entre mes mains, ce ne sont pas deux ou trois coups de ciseau qui devraient te faire peur. » Il fit une nouvelle fois référence à ce qu'elle avait confié, ce coup-ci en lui adressant un clin d’œil, avant qu'il ne se retourne enfin vers elle, tenté de fournir un argument indiscutable qui devrait la dissuader pour de bon de se passer de ses services. « Tu sais, je l'ai fait si souvent sur mes sœurs que ça devrait figurer sur mon CV. » Au milieu des dizaines de boulots qu'il avait enchaîné à l'époque où il tentait par tous les moyens de mettre un peu d'argent de coté pour s'inscrire à l'université. Chauffeur, serveur, coursier … Il avait tout fait. Y compris servir de coiffeur occasionnel à certaines de ses sœurs, donc. Et aussi loin qu'il s'en rappelle, aucune n'avait jamais eu de raison de se plaindre.

Depuis l’épisode des abysses j’ai l’impression d’être beaucoup moins écolo en matière de douches. Je me suis rendue compte de la chance d’avoir de l’eau chaude et je prends dorénavant plaisir à me prélasser sous le jet sans prendre en compte les minutes qui passent. Inutile de mentionner le monopole que j’exerce lorsqu’il s’agit de se laver les cheveux et aujourd’hui est le d-day. J’ai mis 40 minutes facile là. Sortant de la douche je constate que Naveen est arrivé entre temps et dans l’incompréhension mes sourcils se froissent face à sa remarque, un léger sourire teinté sur les lèvres. « Comment ça ? » A moins qu’on m’ait parachutée sans me prévenir dans l’Incroyable famille Kardashian où Naveen serait en fait un indien serviteur je ne comprends pas où il veut en venir. Plus déboussolant encore il se propose de m’épointer les cheveux. Toujours dans l’incompréhension j’ai comme l’impression d’avoir raté quelque chose. Il y a eu une conversation ou un défi de prit dans mon dos ou bien ? Tout s’éclaire lorsque Naveen évoque le dernier prime pour lequel j’ai dû répondre aux questions indiscrètes de Rowan. « Aaaah ! » Un rire s’ensuivit tellement tout prend son sens. Je n’ai jamais songé à couper mes cheveux et je suis à deux doigts de refuser poliment sa proposition qui se veut sûrement ironique avant qu’il ne me présente son expérience dans le domaine. Je comprends maintenant un peu mieux les recruteurs, ça fait toute la différence. « Je ne comptais pas forcément y toucher mais tu te vends tellement bien que ta proposition commence à m’intéresser. » Le secret d’une chevelure aussi soyeuse que celle des indiennes réside peut-être dans le coup de ciseau local après tout. Pour en revenir au prime j’ai tout de même quelques confessions à lui faire car j’aurais bien posé un joker pour cette question si je n’avais pas eu peur des représailles de la fausse blonde. « J’avais peur que ça ne te vexe à vrai dire, sa question était tournée de façon à foutre la merde. » La façon qu’a la production à tenter de provoquer des conflits est quelque chose qui m’agace de plus en plus au fil des semaines. « En tout cas ce n’était vraiment pas méchant. » Je tiens à me justifier car Naveen fait partie des personnes que je n’ai pas envie de froisser. Depuis le début il m’apparait comme une personne pleine de cœur et tellement sympathique que je serais mal à l’idée de l’avoir blessé de quelque manière qu’il soit. C’est un gentil à l’état pur, il est trop chou j’ai envie de lui faire des câlins comme à une grosse peluche. Là, accessoirement, je me rends compte que je m’emballe et que l’isolement doit commencer à me monter à la tête. « Cela dit… si je peux abuser de ta gentillesse pour que tu redonnes une nouvelle jeunesse à mes cheveux je veux bien. » Autant profiter de l’offre après tout et puis ça me ferait quand même bien rire d’assister à une reconversion de Naveen en coiffeur de fortune.

Si dimanche soir, l'indien avait été un peu remué par certaines révélations, il y en avait quelques unes, en revanche, qui avaient eu tendance à l'amuser. C'était notamment le cas des réponses que Salomée avait donné à Rowan, dans le cadre de l'Action ou vérité, ou tout du moins de celles qui le concernaient. Car la blonde avait cité son nom à deux reprises, d'abord parce qu'il était visiblement le candidat entre les mains duquel elle serait tentée de mettre son destin – ce qui l'avait touché, comme on pouvait s'en douter – et ensuite parce qu'il était également celui dont elle se verrait bien faire sa bonniche – et ça, disons que ça l'avait aidé à se changer les idées à plus d'une occasion cette semaine, car bien sûr il l'avait pris avec humour. C'est en tout cas en référence à cette révélation de taille que l'indien chercha à savoir s'il pouvait faire quelque chose pour Salomée, lorsque sa camarade sortit de la cabine de douche. Et si la jeune femme eut d'abord un peu de mal à voir où il voulait en venir, elle ne tarda visiblement pas à faire le lien entre ses propos et ses réponses de l'autre soir, lorsque Naveen lui proposa finalement de lui épointer les cheveux. Une proposition spontanée, et clairement inspirée par le fait qu'elle se les soit justement mouillés. « Alors peut être devrais-je me demander si je n'ai pas été commercial, dans une autre vie ? » Il laissa en tout cas entendre, suite à sa remarque, sur un ton beaucoup plus sérieux qu'on aurait tendance à l'imaginer. Car là où beaucoup l'auraient certainement dit avec humour, lui il l'avait énoncé en l'envisageant assez sérieusement, bien qu'il ait fait en sorte de ne pas trop le montrer. Salomée laissa quant à elle entendre qu'elle avait peur qu'il se soit vexé, et la façon qu'elle eut d'évoquer la question posée par Rowan lui valut d'afficher une petite grimace. « Pour créer des conflits, tu veux dire. » Il la reprit, le sourire aux lèvres, sur un ton absolument pas réprobateur. « De si vilains mots ne devraient jamais sortir de la bouche d'une jeune femme respectable. » Et si là encore n'importe qui aurait certainement éclaté de rire, Naveen le lui faisait remarquer sur un ton semblable à celui de son père, lorsqu'il avait veillé à lui rentrer ce genre d'idées dans le crâne. Un ton un peu pédagogue, en soi. « Ne t'inquiète pas, je l'ai bien pris. C'est certes un petit peu moins flatteur que l'autre question, mais j'imagine qu'on peut aussi y voir une sorte de compliment. » Il ajouta par la suite, un sourire toujours accroché à ses lèvres, et effectivement déterminé à voir les choses du bon coté. Elle ferait de lui sa bonniche, cela pouvait donc vouloir dire qu'elle le trouvait serviable, et ordonné. En tous les cas, c'est une mine encore un peu plus enthousiaste qu'il afficha lorsque Salomée accepta sa proposition. « Parfait, alors installe-toi sur les marches, là-bas. » Il n'avait pas nécessairement besoin d'un miroir pour lui épointer les cheveux. Il pourrait rester debout et avoir une vue tout aussi intéressante. Une fois qu'elle fut installée, il se mit alors à la recherche d'un peigne et d'une grande paire de ciseaux, dans le genre de celle qu'il avait utilisé chez lui, sur ses sœurs. Une fois ces instruments en main, il revint vers la jeune femme. « Bien. » Commençant à peigner délicatement ses cheveux, il se remémora subitement une anecdote qu'il avait entendu de la bouche de Sunil, il y a quelques temps de ça. « Il paraît que les coiffeurs papotent avec leurs clients pendant qu'ils leur coupent les cheveux. » L'indien souffla alors, concentré, tout en se penchant pour pouvoir croiser son regard. « Alors je t'écoute, parle-moi … de tes amours, tiens, par exemple. » Il n'y avait rien de bien étonnant au fait qu'un sentimental tel que lui opte pour un sujet comme celui-ci. Mais en vérité, l'indien ne posait jamais une question si la réponse ne l'intéressait pas sincèrement. En l’occurrence, il apprécierait de savoir ce qu'il en était, pour Salomée, à ce niveau-là. Parce qu'il tendait notamment à penser qu'elle n'aurait pas évoqué le sujet d'elle-même, or ça faisait partie des choses qu'on pouvait se raconter, entre colocataires, mais surtout entre amis.

Naveen est quelqu’un de très serviable, j’ai remarqué ce trait de sa personnalité dès le début du jeu. Comme beaucoup d’entre nous. Cependant il a des limites comme tout le monde, j’entends par là qu’il ne va pas non plus se proposer de laver notre linge pour le plaisir de rendre service… quoi que. Bref, ça n’a aucun sens qu’il se propose de couper mes fourches sans raison valable. Je suis perdue pendant un moment mais je récupère vite le fil. Forcément. Il n’est pas le premier à me donner un retour de mes réponses au questionnaire de Rowan. Il s’interroge sur une soi-disant vie antérieur. Avant j’aurais tourné ça à la rigolade mais avec Naveen et ses croyances on ne sait vraiment jamais. Il est pas ennuyant mais ce n’est pas le plus gros comique qui soit donc je préfère ne pas tourner ses paroles à la dérision au risque de le froisser. « Probablement. Ou coiffeur tout simplement. » D’où le fait qu’il puisse aussi bien vendre son talent. J’enchaine rapidement de façon à m’assurer qu’il n’ait pas mal prit ma réponse au prime de dimanche dernier. J’avais hésité mais lorsque je pense au candidat le plus serviable du casting il s’agit de Naveen alors autant le citer. Il reprend d’ailleurs mes paroles d’une manière plus correcte. Je ne fais pas attention à mes mots, je le sais. « Oui. » Il a bien résumé la chose. Je cligne des yeux à plusieurs fois, surprise, lorsqu’il me sort une réprimande tout droit sortie d’un guide de savoir-vivre. « Je parle si mal que ça ? » Il a l’air tellement sérieux que je me demande si mon langage n’est pas plus incommodant que l’image que j’en ai. Revenons-en au principal : la pseudo servitude de Naveen. C’est étonnant qu’il l’ait bien pris mais ce n’est pas un mal. Certains auraient fait la gueule pour beaucoup moins. « En fait je me suis surtout basée sur la première partie de la question qui consistait à désigner qui était la personne la plus serviable. » C’est bizarre j’ai l’impression de surveiller mon phrasé maintenant. Le sourire qu’il affiche quand j’accepte sa proposition me conforte dans mon choix. Ça m’en décroche un sourire tellement la bonne foi qu’il a à faire les choses est contagieuse. C’est la première fois de ma vie que je vais me faire couper les cheveux assise sur un escalier. « A l’indienne ? » Sagement, je m’exécute en resserrant bien la ceinture de mon peignoir de star gravé à mon nom. Je l’observe et sa concentration me fait sourire. « Je confirme tu as dû être coiffeur dans ta vie antérieure. » Ca se lit sur son visage. Petit patron de son propre salon en plus. « Tu n’y es jamais allé ? » Je le questionne en relevant mon regard vers ses prunelles foncées. C’est la première chose qu’on apprend quand on va au coiffeur : ce sont des pipelettes. Parfois pleureuses, parfois commères. Ça dépend, c’est en général l’un ou l’autre. Naveen aurait été du deuxième genre puisqu’il préfère écouter mon histoire que raconter la sienne. Je lâche un soupir à l’évocation de mes amours. « Il n’y a pas grand-chose à raconter. Je me suis faite « jeter » avant que le jeu ne commence. » Je surveille mon vocabulaire maintenant. Je ne suis pas venue ici pour retrouver quelqu’un par conséquent ce sujet est vide « Pour moi l’amour ne se trouve pas dans un environnement aussi erroné que celui-ci, médiatisé qui plus est. Mais peut-être que toi tu t’y es laissé aller. J’ai cru comprendre que c’était compliqué de ton côté. » La vie sentimentale de Naveen semble bien plus intéressante que la mienne.

C'est sans une once de contrariété que l'indien avait fait référence aux réponses données par Salomée à l'Action ou vérité, et plus spécialement au fait qu'elle ait confié qu'elle se verrait bien faire de lui sa bonniche. Parce qu'il n'était pas du genre à prendre la mouche pour peu de choses, mais aussi et surtout parce qu'il l'avait tout simplement pris avec humour. Raison pour laquelle il se permettait ici de lui proposer de lui épointer les cheveux, et visiblement il se vendait bien. « Ça expliquerait que je le sois encore plus ou moins dans cette vie-là. » Parce qu'encore une fois, si coiffeur ne faisait pas partie des métiers auxquels il s'était essayé ces dernières années, il avait pris la main à force de s'occuper des cheveux de ses sœurs – et dieu sait qu'ils présentaient toutes les caractéristiques des cheveux indiens. Lui confiant en tout cas que sa confession ne l'avait pas contrarié, il osa la reprendre sur ce qu'elle énonça, puis esquissa un sourire rassurant. « Non, c'est simplement que d'après moi, il y a certains mots qui n'apportent pas grand chose à ton vocabulaire. » Des mots grossiers qu'elle pourrait facilement remplacer par des synonymes, comme lui-même l'avait fait. « Si un jour une de mes sœurs avait dit « foutre la merde » en présence de mon père, je pense qu'elle s'en serait longtemps souvenue. » Il afficha une légère grimace, toutefois soulagé à l'idée que ce ne soit jamais arrivé, avant de plisser les yeux d'un air intrigué. « En fait, je ne sais même pas comment on pourrait le traduire, en hindi … Dangaa karanaa, peut être. Et tontaravu ceyya en tamoul. Enfin, approximativement. » Parce que ça ne faisait pas partie des choses qui se disaient, dans sa famille. Son père était strict, sa mère aussi sensible que lui, alors il aurait suffi que ce genre de choses leur échappent pour que l'un perde son sang froid, et l'autre tourne de l’œil. « Alors, c'est définitivement un compliment. » Il reprit ensuite, un sourire toujours accroché à ses lèvres, avant qu'un détail ne lui revienne brusquement. « Mais j'y pense, ça n'aurait pas un rapport avec la fois où on était avec Jade, et où je suis parti vous chercher à boire ? » Mais oui, ce fameux jour où Cupidon s'en était mêlé et avait décidé qu'ils s'embrasseraient les uns et les autres, au milieu de leurs verres de jus de fruits. Un moment mémorable en tous points. Finissant en tout cas par lui proposer de s’asseoir sur les marches qui donnaient accès à la baignoire, il lâcha un léger rire à sa remarque. « J'ai conscience qu'en Inde, on est parfois en retard sur certaines choses, mais … les chaises, tu sais, on connaît. » La mine toujours amusée, il esquissa un nouveau sourire à son prochain commentaire, puis haussa légèrement les sourcils à sa question. « Chez le coiffeur ? Non, enfin … il y avait une vieille dame dans la rue où se trouve la maison de mes parents qui s'occupait parfois de nous, les garçons. Mais c'était parce que sa nièce était l'amoureuse d'un de mes frères, donc c'était plus un prétexte pour qu'ils se voient, disons. » Et il se revoyait encore attendre des heures dans sa cuisine, qui empestait toujours la soupe au cumin, tandis que Vishal faisait les yeux doux à Anushka. Mais c'était surtout l'idée qu'ils se soient mariés depuis ce temps-là qui le rendait un peu mélancolique. A l'époque, déjà, ses frères semblaient pleinement conscients de l'importance qu'aurait leur mariage, pour eux comme pour leur famille. Lui, il était déjà dans son propre monde. Se permettant ensuite d'évoquer la vie sentimentale de sa camarade, l'indien se sentit soudain affreusement bête lorsqu'elle lui précisa que la personne qui partageait sa vie avait rompu avant l'émission. « Oh, excuse-moi, je … je n'étais pas au courant. » Il souffla alors, penaud, tout en cessant un court instant de lui coiffer les cheveux. Il fit à nouveau en sorte de croiser son regard, puis lui adressa un sourire teinté de douceur, avant qu'elle ne l'interroge en retour. « Tu dois savoir que je n'ai jamais fréquenté personne. Et ici … c'est vrai que le cadre n'est pas vraiment idéal. Moi-même, je ne suis pas venu pour faire ce genre de rencontres. » Autant il était venu pour toutes sortes de raisons plus ou moins évoquées jusqu'ici, autant non, il n'était pas venu avec la ferme idée de faire la rencontre de sa vie. « Mais je ne peux pas nier que tout y est intensifié et que … oui, toutes sortes de sentiments finissent par naître et par nous prendre de court. » Et lorsque comme lui on s'attachait facilement et qu'on avait un coté fleur bleue avéré, c'était encore plus facile de se retrouver avec des papillons dans le ventre, et le cœur battant la chamade. « Tu penses que certains ne sont pas eux-mêmes ici, que … qu'ils sont des joueurs avant d'être les amis qu'on s'imagine ? » Pris d'une certaine angoisse, il préféra reposer la paire de ciseaux qu'il avait attrapé, parce qu'il envisageait soudain une perspective inquiétante, et à laquelle il n'était absolument pas préparé. Car ce qui était une aventure humaine pour lui était peut être tout autre chose pour certains, et c'était la toute première fois qu'il y réfléchissait réellement.

Il semble avoir de l’expérience dans le domaine de la coiffure, ce qui me rassure quant au fait de lui confier mes cheveux ne serait-ce que pour couper seulement les pointes. J’en connais beaucoup qui ont juste voulu ajuster une frange ou épointer et qui se sont retrouvés avec une catastrophe capillaire sur la tête. Ça peut très vite dégénérer sous prétexte que ce n’est pas coupé droit. Je reste surprise face à la réprimande de Naveen sur mon vocabulaire mais je mets ça sur le compte de la différence culturelle. Je ne sais pas s’il se rend compte que ses paroles peuvent être très vexantes, ou énervantes ça dépend. J’estime avoir le droit de parler comme bon me semble en utilisant les mots qui me plaisent mais je ne dis rien, je n’ai pas l’impression de pouvoir en tirer quoi que ce soit de positif et le connaissant ça n’a pas de fond méchant. « Effectivement, ce ne sont que des alternatives mais elles viennent bien plus spontanément. » Et puis il y a un certain plaisir à ne pas parler correctement. C’est peut-être dû à notre différence d’âge qui sait. Sa remarque à propos de son père m’interpelle et mon féminisme reprend le dessus aussitôt sur un ton critique. « Et si c’était toi qui l’avait dit ça serait mieux passé ? » Honnêtement, oui, il y a une bonne réponse à ça. Pourquoi ses sœurs spécifiquement ? Parce que ce sont des filles comme moi ? Mais encore une fois il semble avoir eu une éducation tellement différente que quoi qu’il dise ça ne me ferait pas monter sur mes grands chevaux. J’hoche la tête tandis qu’il traduit mes dires en hindi. Habituellement j’aurais mécaniquement répété afin d’imiter au mieux son accent et pouvoir me targuer de parler quelques mots d’hindi mais je fais en sorte de me retenir. Ce serait une mauvaise idée compte tenu de notre conversation précédente. « Je te fais confiance hein, tu peux me dire n’importe quoi je te croirai. » Il peut même m’insulter que j’hocherais la tête docilement. Heureusement ce n’est pas le genre de notre indien, quoi qu’il cache peut-être bien son jeu hein. Je lui offre un sourire avant qu’un rire ne filtre mes lèvres. Il a trouvé l’origine de ma réponse. « Je suis démasquée. » Lors du questionnaire aucun nom ne m’est venu à l’esprit pour désigner le candidat le plus serviable. Ce n’est qu’en me remémorant certains moments passés avec mes camarades que cette scène m’est venue à l’esprit. Naveen serveur, Naveen coiffeur… cet homme est multi-fonction. Bon à marier. Il n’assure pas niveau confort par contre mais les marches ça fera l’affaire. Je le prends avec le sourire, je n’ai pas un derrière doré. Il me conte un peu son enfance et la façon dont il abordait la question du coiffeur à l’époque. Ca m’arrache un rire car je trouve ça chou. « C’est mignon. C’est incroyable parfois je n’arrive pas à me dire que tu viens de l’autre bout de la planète. » Son enfance et ses principes sont parfois tellement en décalage avec les nôtres que c’est assez improbable qu’il se retrouve parmi nous. J’aimerais bien savoir ce qui l’a amené à venir de son Inde natale. M’accoudant à mon propre genou, je dépose par flegme mon menton dans ma paume de main dans un soupir. Naveen n’a pas à se sentir gêné. Si lui parle mariage, moi j’en suis encore aux amourettes de jeunesse. Du moins c’est ce que je me dis en guise de consolation. « Ce n’est rien t’inquiètes pas. Ce sont des choses qui arrivent, il y en a plein d’autres. » Ca c’est le discours des copines mais qu’importe de toute façon j’ai été trop prise ces dernières semaines par toutes ces nouvelles rencontres pour me lamenter. Quitte à choisir je préfère d’ailleurs parler du cas de Naveen, le pauvre semble dans la tourmente. Je l’écoute attentivement, me retenant d’hocher la tête au cas où il se déciderait à mettre un coup de ciseau à ce moment-là. L’envie de lui demander la raison de sa venue ici me démange mais je me tais, ça ne semble pas être le moment de l’interrompre. « On a tendance à toujours se surestimer quand on regarde les choses de l’extérieur mais une fois à l’intérieur on perd toute objectivité. C’est normal. » Personnellement je pense avoir gardé le même opinion que lorsque je me contentais de suivre rapidement l’émission à la télé mais c’est principalement dû au fait que j’ai volontairement gardé une barrière entre les autres candidats et moi lors des premières semaines. Chose que Naveen n’a évidemment pas fait, il est trop authentique. Bref tout ce que je voulais dire c’était qu’il n’a pas à se sentir bête, ça doit arriver à plus de la moitié des candidats ici présents. La question qui s’ensuit exprime un malaise que je ne soupçonnais pas. Je me contente de poser doucement mes prunelles qui se veulent rassurantes dans les siennes. « Non je ne pense pas. Comme tu dis avec l’enfermement tout est décuplé et beaucoup qui étaient à la base venus simplement pour le jeu semblent se faire prendre au piège. Et puis ce serait difficile de jouer un rôle 24h/24 à moins d’être un comédien mais si je ne me trompe pas ça a été le secret d’une candidate lors d’une saison. » Donc pas de panique à avoir. Ce n’est absolument pas rassurant, je suis nulle à ce genre de chose. « De ce que j’ai pu retenir es saisons précédentes c’est qu’en général les candidats restent en bon termes après l’émission. En plus je ne trouve pas qu’il y ait de personnes vraiment fourbes ici… on l’aurait déjà remarqué je pense. » Mes sourcils se froissent un instant, réfléchissant à qui pourrait bien cacher son jeu parmi les candidats restants mais je ne vois pas. « Tu te poses des questions à propos de certaines personnes ? » Je connais déjà la réponse mais je suis curieuse d’en savoir plus, ne serait-ce que pour le rassurer.