A l'abri des regards indiscrets, il a entreposé une (malle) dans son placard - dans une cachette bien précise et méconnue de tous - qu'il se trimbale depuis son enfance dans laquelle il a collecté les plus beaux souvenirs de son existence. Encore aujourd'hui, il collectionne des antiquités, les vestiges d'une enfance bienheureuse et insouciante à la campagne avec ses grand-parents, des trésors oubliés et insoupçonnés de l'adolescence, des photos du quotidien, de la famille et des amis pour laisser une trace et pour se remémorer des instants de vie.  En sortant cette malle de sa cachette, Lino souhaitait se replonger dans les souvenirs les plus intimes. Il l'apporte dans le salon, vérifiant au préalable qu'il n'y ait personne. La voie est libre. Il dépose la malle contre la table basse, s'affaire à chercher des bougies dans un placard attenant. Il en sort trois, les dépose sur le console au centre, les allume à l'aide d'un briquet qu'il a toujours dans sa poche et s'installe enfin. Il ouvre le petit coffre et esquisse un grand sourire en voyant un mot écrit de la main de ses sœurs. En les connaissant, elles ont caché leurs cadeaux de Noël dedans car tous les ans, elles apportent une pierre à l'édifice en l'aidant à amasser le maximum de souvenirs. En même temps, ils ont eu l'idée tous les quatre bien que Lino en soit le réel propriétaire de la malle puisqu'il la remplit plus souvent que ses frangines. En tout cas, cela a eu l'effet escompté. La baume au cœur, il se met à fouiller dedans, en sortant des photos de temps à autre pour les regarder avec nostalgie. Il s'attarde sur une photo, prise lors de ses études en Angleterre. On le voit entouré de ses co-équipiers d'une équipe de rugby local, couverts de boue. Lino devait avoir seize ans à l'époque. Il ricane et sortit une autre photo, encore plus drôle, ses sœurs en train de le déguiser en fille. Il roule les yeux au plafond et soupire, légèrement exaspéré. En fouillant, il parvient à mettre la main sur le premier cadeau d'une des sœurs, l'aînée de la fratrie, Marzia. Un set de dés de jeu tout neufs car elle les a perdu à une époque. Elle y a pensé. Un dès en particulier attire son attention, son dès fétiche. La coquine. C'est elle qui l'avait depuis tout ce temps. Il continue sa fouille, il découvre une photo de ses parents datant des années 70. Ils se sont rencontrés à Paris lors de leurs études. Un sourire fin s'esquisse sur ses lèvres lorsqu'il remarque que la photo est un peu floue. Il a une envie de vin, tout d'un coup. Ce ne serait pas raisonnable, mais on ne vit qu'une fois. Il se redresse, quitte la pièce momentanément, puis revient. Il se fige sur le seuil de la porte. Il entraperçoit cette silhouette qui se penche sur ses biens. Les bougies éclairent faiblement son visage. Son cœur fait un bon. Khadija. Il reste appuyé contre le pan du mur et la contemple au loin un instant. Il racle la gorge, contourne le canapé et arrive, face à elle. Il se rassoit à côté d'elle, leurs épaules se frôlant un peu. « Alors, comme ça, on est curieuse hein ? », qu'il lui lance avec amusement. Il dépose verre et bouteille de vin devant lui. Il la regarde d'un air faussement soupçonneux en plissant les yeux. « Mouais. Pour cette fois, je laisse glisser. » Son visage s'adoucit en un instant quand il plonge son regard dans celui de la belle. Il ne peut pas lui en vouloir. Il accepte de la faire entrer dans son monde. A une condition. « Tu bois un coup avec moi. Puis, toi et moi on sera quittes. Par contre, je n'ai qu'un verre. Va falloir partager. Qu'en dis-tu ? » Il veut que cette tête-à-tête dure un peu plus longtemps et qu'ils se découvrent d'une façon différente. Elle est au courant de ce qu'il ressent pour elle, mais il ne souhaite pas forcer le destin.

Elle est partie fumer une clope sur la terrasse. Minuit trente, l'heure d'un peu de solitude, qu'elle s'octroie un moment, pour respirer pour elle et uniquement pour elle, les yeux perdus sur l'horizon. Dans ce nid qui ressemble à un monde entier entouér de murs et de grilles. Parfois, on se dit qu'au fond, on n'a pas besoin de plus pour tout savoir... Souvent, elle se dit qu'elle a bien hâte de s'évader de là, de retrouver le monde, immense, étourdissant. Immonde, à certains moments, et pourtant, elle ne le regrette pas. Au retour, alors qu'elle repousse la porte vitrée en faisant le moins de bruit possible, elle remarque une lueur faible et rougeoyante venue du grand salon. Intriguée, elle s'en approche. Ses yeux verts observent les lieux par l'embrasure de la porte. Le salon est plongé dans le noir, seules quelques bougies sont disposées, à l'ancienne, autour d'un homme assis par terre. Curieuse, elle retire sa capuche qu'elle avait rabattue sur sa tête et, du bout des doigts, elle pousse la porte. Son cœur manque un battement lorsqu'elle reconnaît, doré par la lumière du feu, le visage de Lino. Elle ne s'attendait pas à lui, ce... Ce n'était pas prévu... Elle baisse les yeux : elle est en tennis, en jean troué aux genoux... La loose ultime. Soudain, panique totale. Lino se lève et se dirige vers elle. Il ne l'a pas encore vue, alors, indécise et précipitée, elle se cache derrière la porte. Il part. Laissant derrière lui les bougies allumées et une malle ouverte, comme un somnambule, comme si tout ça n'était qu'un rêve, une illusion. Elle se retourne prudemment... Il a disparu. Soudainement décidée, elle entre dans le salon vide, regarde autour d'elle, puis s'avance vers la malle ouverte. Khadija n'imagine pas une seconde que cette malle puisse appartenir à Lino. Elle ne ressemble pas du tout à une valise remplie des biens qu'ils ont amenés ici (vêtements, produits d'entretiens corporels, chaussures). Elle pense tout de suite que c'est un objet du nid, peut-être contenant des indices sur les secrets ? Alors elle s'assoit, les jambes en croix, et pose ses yeux un peu partout. Elle déglutit avec lenteur tandis que son sang semble devenir glacé dans ses veines. Sur ces photos, des familles. Des filles aux sourires malins, un homme, encore jeune sur une photo ancienne, beau, et une femme, aux traits semblables à ceux de... Oh... Son cœur fait un bond, elle sursaute comme si les flammes des trois bougies s'étaient retrouvées sans raison sous ses fesses : Lino vient d'entrer et la regarde dans un sourire mystérieux. Plus il se rapproche d'elle et moins elle arrive à respirer. Incapable de se répandre en excuses, elle se tait et attend sagement qu'il parle le premier, tétanisée à l'idée de l'avoir contrarié ou blessé. Elle le regarde fixement, comme un chat face à un prédateur plus gros et plus puissant que lui, ses yeux verts en alerte. Lino s'adoucit, elle comprend alors qu'il n'était pas vexé. Pas vraiment. Il lui propose de partager un verre de vin. Apaisée mais toujours troublée, elle s'appuie sur ses mains pour soulever son corps léger et reculer, lui laissant une place en face d'elle et... en face de la malle ouverte. Lino se glisse contre elle, elle peut sentir son souffle sur l'arrête de son nez. Prenant les devants, et ce peut-être pour éviter d'avoir à soutenir son regard rivé sur elle, elle sert le vin. Sa peau est brûlante. Elle boit une longue gorgée en premier, ses lèvres appuyées contre le rebord de verre, la pointe de sa langue frôlant le liquide. Elle lui tend le verre, sans un mot. — C'est ta mère, n'est-ce pas ? Murmure-t-elle en désignant d'un frôlement de pupille la photo du jeune couple heureux sur un fond parisien. Etrangement, la photo est légèrement floue... et cela ajoute à sa beauté de Souvenir.