Ce stupide défi lancé par l'animatrice blonde de la bande avait au moins eu le mérite de la réconcilier avec la musique. La vraie musique, celle qui vous prend aux tripes, vous noue l'estomac alors que votre gorge se serre. Voilà déjà six jours qu'elle vit au gré des mélodies qui fleurissent dans son esprit désorganisé, une cacophonie apaisante qui l'oblige à penser à autres choses qu'à sa triste situation. Le silence est devenu une notion abstraite, un luxe dont elle est privé pendant quelques heures encore jusqu'à ce que Rowan décide de la laisser reprendre le contrôle de ses paroles, de ses gestes, de ses intonations et de son corps. Dans sa prison dorée où elle s'épanouit autant qu'elle se sent prise au piège, la salvadorienne est dans l'attente du moment où elle redeviendra elle-même. Ses mots lui manquent autant que sa voix, sa vraie voix. Feignant de ne pas se sentir bien pendant le repas, la jeune femme prend la direction de la salle de remise en forme où elle pourra profiter pleinement de la chaine hi-fi. Elle a besoin d'extérioriser toutes ses voix qui se mélangent dans sa tête. Il y a cette chanson, cet hymne dont elle ne peut plus se séparer depuis dimanche dernier. Les paroles sont marquées au fer rouge dans sa mémoire à force d'entendre sa grand-mère lui chanter l'histoire de son pays avant que ses yeux insouciants d'enfant se closent et qu'elle rejoigne le royaume des songes. Ce soir, elle veut l'écouter encore et encore. Les premières notes d'El Salvador ta venciendo résonnent dans la salle, elle exulte avant de se laisser tomber sur le sol pour s'y allonger. La froideur du parquet contraste avec la chaleur de sa peau. Fermant les yeux, elle entend encore la douce voix rassurante de celle qui était la femme de sa vie lui conter l'histoire de son grand-père, cet homme qui s'était battu pour l'indépendance de son pays. Peut être avait-il même chanté cet hymne à l'indépendance, à la liberté pendant son combat contre la dictature qui sévissait dans son pays. Son admiration pour cette homme était sans limite et ce même si elle ne l'avait jamais connu, elle n'a vu de lui que quelques clichés froissés que sa grand-mère avait l'habitude de presser tout contre son coeur pour raviver sa mémoire. Elle entend des pas, se redressent brutalement pour s'asseoir en tailleur alors que la mélodie révolutionnaire s'achève. Ses yeux croisent ceux de Lino dans l'encadrement de la porte. Fébrile, elle tarde à se saisir de son petit carnet qu'elle garde tout contre elle dans la poche de sa veste. « Tu ... tu es là depuis longtemps ? » souffle-t-elle en imitant tant bien que mal la mélodie de la chanson qu'elle vient d'écouter. D'un geste de la tête, elle l'invite à s'asseoir à ses côtés alors qu'elle griffonne quelques mots sur son carnet, c'est beaucoup plus facile que de devoir les chantonner. Elle lui tend son petit carnet pour qu'il puisse lire ce qu'elle voudrait lui dire avec ses propres mots. « Laisse moi écouter une chanson qui a de l'importance pour toi ». Lino reste un mystère pour elle, la musique était un moyen comme un autre d'apprendre à découvrir une âme dont on ignore tout.          

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