Tu ne savais pas trop quoi faire en ce lundi soir. C’est nul, les lundis soirs, ouais, carrément. Enfin bon, sans savoir pourquoi tu te diriges vers la salle de vidéo surveillance. C’était plus amusant que de regarder la télévision, même si tu n’appréciais pas trop l’idée d’espionner les gens. Ce n’était clairement pas correct. En tout cas, toi tu ne trouvais pas ça correct de regarder les gens comme ça, et tout. Mais tu étais quelqu’un d’étrange, alors ton avis ne comptait sûrement pas. Oh bah finalement, peut-être que tu n’allais pas t’ennuyer tant que ça ce soir, puisque tu tombes sur Cian. « Salut, ça va ? » Tu souris, et hoches la tête. Tu étais clairement en meilleure forme que la semaine précédente, même si quelques histoires te perturbaient. « J'sais pas si tu cherches quelqu'un mais j'suis le pro de la zappette j'pourrais te la trouver en deux secondes ta cible. Mais par contre n'essaye pas de ma la piquer elle est à moi d'accord ? » Et voilà que ton nez se fronce, parce que tu ne vois clairement pas pourquoi tu lui piquerais sa zappette. Tu ne voulais pas lui faire du mal, toi. Et puis en plus, tu cherchais personne en particulier. « Je.. d’accord, je te la laisse… » tu dis comme si tu faisais un grand effort. « Je cherche personne de toute façon, tu peux tranquillement regarder Nicola. » Bah, tu supposais qu’il était là pour ça. Après, tu n’en savais rien, toi. « J'veux pas me mêler de ce qui me regarde pas mais si tu te découvres des tendances homosexuelles un peu plus prononcés que maintenant, sois doux avec elle d'accord ? » Et voilà que tu te figes. Et que tu rougis. Pourquoi est-ce qu’il te faisait ça ? Tu avais toujours été gentil avec lui, alors pourquoi est-ce qu’il te faisait ça, pourquoi est-ce qu’il te disait ça ? Du coup tu te sens mal, et tu te sens gêné. C’était exactement la chose dont tu ne voulais pas parler, et voilà qu’il mettait ça sur le tapis. « Je .. je suis pas hom.. je .. je suis pas.. je…. » C’est atroce la manière dont tu bégayes, tu es complètement perturbé, là. Et traumatisé, un peu. Tu ne savais pas ce que tu étais, ce n’était pas parce que Camille te plaisait que tu étais homosexuel. Tu ne savais même pas s’il te plaisait, c’était beaucoup trop le bordel dans ta tête pour que tu puisses y réfléchir, c’était comme si une bombe allait exploser à l’intérieure. Et franchement, ce n’était pas très agréable. Tu ne voulais pas penser à ça, à India, et à Camille, de toute manière tu n’avais pas l’autorisation de t’intéresser à qui que ce soit ici, c’est Becca qui te l’a dit. Toi, t’es juste perdu. Et tu veux qu’on te laisse tranquille à propos de ça. « Je.. je vais m’en aller je crois.. » tu bredouilles, oui, c’était clairement mieux.

« T'as cru que j'étais un pervers ou quoi ? J'mâte pas Nicola non... A vrai dire je surveillais India... » Tu hausses les épaules, il pouvait très bien mâter Nicola. Après tout, il le faisait quand elle était en face de lui, alors pourquoi pas ici. « Bah, t’as une tête de pervers quand même. » Il ne fallait pas se mentir, la tête de Cian ne mettait pas en confiance. Par exemple la première fois tu avais eu peur de lui. Maintenant ça allait, mais bon. Quant à surveiller India, tu te disais qu’il avait ses raisons, alors tu n’y voyais pas vraiment de problème de toute façon. Ses intentions étaient bonnes, et tu le savais. Et puis tu n’attends pas à ce qu’il te dise de telles choses, et ça te trouble atrocement. Déjà que c’était un affreux bordel dans ta tête, entre India et Camille, il n’arrangeait rien du tout avec tout ça. Tu avais juste envie de t’enfuir. T’enfuir d’ici, du château, de rentrer chez toi, et de retrouver ton chat. Il était gentil avec toi, lui. Il ne t’embêtait pas avec tout ça. « Rha mais non reste c'est bon, j'voulais pas te faire chier, j'ai pas envie de te péter les deux jambes non plus mais si tu fais du mal à India tu sais que le choix va être vite fait. Et ça me fait chier parce que je t'aime bien, je considère même comme un pote, c'est pour dire. Mais merde pas Ivan c'est tout ce que je demande. Je t'ai vu fourrer... Avec Camille ce matin. Alors merde pas d'accord ? La brise pas. » Et voilà que tu trembles. Tu trembles pas parce qu’il vient de dire qu’il va te péter les deux jambes. Après tout, s’il le fait, c’est que tu l’aurais mérité. Non, tu trembles parce qu’il t’a vu embrasser Camille, et tout ça. Tu avais complètement oublié les caméras. Tu ne sais pas, ce n’était pas si important, mais tu ne t’y attendais pas. Après tout il fallait que tu assumes. Tu.. tu étais attiré par deux personnes et tu ne pouvais pas faire autrement. Tu ne savais pas quoi faire, tu ne savais pas quoi penser, mais en tout cas Cian savait déjà comment te punir. Toi, tu n’avais pas du tout l’intention de faire du mal à India. Ni à Camille. A vrai dire, tu avais fait toujours passé le bonheur des autres avant le tien, alors comment est-ce qu’on pouvait croire une seule seconde que tu voulais faire du mal à India . « Bon vas-y on parle d'autre chose. Tu veux qu'on se fasse un truc pour Halloween ? J'crois que tout le monde fait des plans et j'sais pas toi mais j'ai pas envie de me retrouver comme un con devant ma bière. » Tu n’écoutes pas, tu n’entends pas, tu es ailleurs. Il faut que t’arrête de trembler, ce n’est pas possible. Tu as les yeux rivés sur le sol, tu ne sais plus quoi faire. Pourquoi est-ce qu’il t’avait dit tout ça ? Est-ce qu’il ne se rendait pas compte que ça te faisait du mal, à toi aussi ? Tu finis par relever les yeux vers lui et tu commences à parler, sans savoir pourquoi. « J’ai.. j’ai passé 12 ans à vivre dans la rue en Russie. J’ai dû me débrouiller et me battre pour survivre tandis que ma mère se.. se prostituait, très probablement. Dès que j’étais gosse j’ai été obligé de mettre mon égo de côté pour mendier, pour pouvoir me nourrir, pour pouvoir survivre. Est-ce que.. est-ce que tu trouves ça normal ? J’ai.. j’ai été confronté aux hivers les plus froids, si bien que je sais pas, mon métabolisme a dû changer pour s’y habituer et maintenant j’ai toujours chaud. Ma peau est toujours bouillante. J’ai dû me cacher pour pouvoir entrer en Angleterre. J’ai dû me battre pour apprendre la langue, pour apprendre à lire, à écrire, à vivre en société. J’ai dû me battre pour apprendre les bonnes manières sans avoir jamais été éduqué par personne, pour pouvoir trouver un travail respectable sans avoir jamais été une seule fois à l’école. J’ai réussi. Et puis il y a eu cette fille. Je me suis battu pour l’avoir, vraiment. J’étais fou d’elle. Cinq ans, que ça a duré. Cinq ans. Je voulais la demander en mariage. Mais j’ai eu cet accident qui.. qui changé certaines choses. Et elle m’a quitté, comme ça, sans prévenir. Et je me suis retrouvé seul. Encore. » T’as sorti tout ça, comme ça, sans réfléchir, c’est parti tout seul. Tu ne disais pas ça pour qu’il s’apitoie sur ton sort. Non, vraiment pas, c’était pas son but et s’il te connaissait un peu il le devinerait tout seul. « J’ai que 27 ans, et je n’ai plus la force de me battre pour quoi que ce soit, Cian. Et ni India, ni Camille ne méritent ça. Ils méritent beaucoup mieux. Ils ne sont pas des « options » que je peux me permettre de choisir, et je le sais très bien. Ce sont des personnes.. des personnes fabuleuses que je ne veux pas me permettre de perdre, et à qui je tiens énormément… et pour rien au monde je ne veux leur faire du mal. » T’espères que comme ça, il comprendra pourquoi tu agis de la sorte, pourquoi tu es si perdu, pourquoi tu es si troublé. C’est horrible pour toi. Tu rebaisses la tête du coup. « Je.. J’ai mes raisons si je dis qu’il faut que je reste seul.. » que tu dis finalement. C’était aussi simple que ça. enfin non, justement, c’était loin d’être simple.