L'indien n'aimait pas se plaindre, c'était une chose qu'on lui avait toujours défendu de faire et une habitude qu'il avait lui-même veillé à ne pas prendre, au fil des années. Sans doute aurait-il pu se plaindre de ne pas avoir eu une enfance idéale à plus d'un niveau, ou une relation particulièrement enrichissante avec son père, mais on lui avait appris à se satisfaire de ce qu'il avait, à partir du moment où ses proches et lui étaient en bonne santé et où il avait toujours bénéficié de l'essentiel : un foyer aimant et une famille unie dans les bons comme dans les mauvais moments. Alors ce gage qui l'empêchait d'user du moindre mot, oui il était dérangeant parce qu'il le contraignait au silence et que c'était frustrant quand comme lui on aimait précisément échanger avec les autres et livrer ce qu'on avait sur le cœur, mais ça n'était pas terrible en soi au point qu'il envisage de passer sa semaine au fond de son lit. Non, il était au contraire déterminé à vivre les choses du mieux possible, autant pour se prouver qu'il était capable d'avoir un peu de ressource quand on le privait d'un besoin essentiel – en l’occurrence, celui de parler – que pour montrer à Rowan à l'instar de beaucoup de ses camarades avant lui, il était aussi capable de venir à bout d'un gage. Ce serait une semaine un peu compliquée, mais il aimait penser que ça n'était pas de devoir user d'autres moyens de communication que la parole qui l'empêcherait de passer d'aussi bons moments avec ses camarades qu'il en avait l'habitude. Remontant par les escaliers après avoir profité du patio pendant quelques instants, l'indien avait emprunté le couloir déformant mais s'était arrêté au milieu de celui-ci lorsque ses yeux s'étaient posés sur Greta, qui se tenait devant l'un des miroirs, dos à lui. Toujours embêté lorsque l'un de ses camarades ne le voyait pas arriver directement, parce qu'il était presque toujours certain de les surprendre en tentant de s’annoncer, il put compter sur son reflet qui se dessina bientôt dans la glace devant laquelle se trouvait Greta, bien que ça n'empêche pas sa camarade de sursauter lorsqu'elle nota sa présence. Grimaçant, il porta ses mains devant lui et tenta de lui faire comprendre qu'il était désolé de lui avoir fait peur. Puis, étant à présent à sa hauteur, il repensa au questionnaire de Rowan – celui qui lui avait valu d'être silencieux pour les six prochains jours – et notamment au moment où il avait donné le nom de Greta et où l'animatrice avait choisi d'y voir une signification erronée. Ainsi, se souvenant qu'on lui avait octroyé le droit d'utiliser un petit calepin en cas d'extrême nécessité, il le sortit de sa poche, tout comme le stylo qu'il avait toujours sur lui, et écrivit simplement « La question à laquelle j'ai répondu par ton nom … », avant de lui faire lire ces quelques mots. A présent certain qu'elle comprendrait à quoi il faisait allusion, il rangea son carnet pour pouvoir mimer un cœur en joignant ses deux mains entre elles, puis la pointa poliment du doigt avant d'esquisser un sourire, essayant par là de faire écho à leur conversation d'il y a deux semaines, dans le jardin, lorsqu'elle lui avait confié avoir souffert en amour et craindre de s'éprendre à nouveau de quelqu'un. La raison pour laquelle il avait donné son nom comme celui de la personne qu'il abonnerait à vie à son site matrimonial, c'est simplement qu'il aimerait que Greta rencontre enfin la personne qu'il lui fallait, et qu'il l'aiderait volontiers dans cette heureuse entreprise s'il en avait l'occasion.

Je suis anormalement joyeuse. Pas que je sois de mauvaise humeur et malheureuse au quotidien mais je saute rarement autant de joie. Le prime de la veille fut riche en informations, en bonnes nouvelles, l’argent gagné grâce à une petite percée inexplicable au sein de la côte de popularité additionné à celui remporté après avoir terminé troisième ex-aequo aux côtés de Loyd-Snö au sondage sur les candidats à qui on prête un grand avenir à l’extérieur à ma qualification en demi-finale assurée par ma moyenne suffisamment haute pour ne pas me placer dans le bas du classement et un coup de chance face à la roulette russe qui me permet de finalement atteindre la somme nécessaire pour prétendre buzzer. Autant vous dire que je semble être chanceuse, j’ignore si cela va durer et si je vais parvenir à découvrir le secret d’Achille comme je le pense mais j’aurais au moins pu jouer de A à Z en profitant de l’expérience dans son intégralité. J’aurais également la satisfaction d’être arrivée aux demi-finales sans que mon secret n’ait été découvert, à moins que quelqu’un soit en train d’enquêter sans que je le sache et me surprenne en allant presser le bouton. Ce serait intéressant aussi, ne serait-ce que pour la beauté du jeu qui se dégagera de notre confrontation. Mes camarades auront largement le temps de découvrir mon secret plus tard et de poser les questions qui iront avec, car croyez-moi, pour en avoir parlé avec certains proches tout au long de ma vie je suis habituée à ce que l’on me pose une dizaine de questions toujours semblables, l’originalité est rarement de mise mais je la salue lorsqu’elle se présente par le biais d’interrogations plus originales. Je m’apprête à rejoindre les chambres lorsque je me rends compte dans le couloir déformant que mes cheveux sont en vrac. Je marque donc un petit arrêt le temps de replacer une ou deux mèches et sursaute, à deux doigts de l’infarctus, lorsque j’aperçois Naveen derrière moi. « AH ! » Je crie, pas trop fort, plus pour moi-même qu’autre chose. Ma main vient instantanément se plaquer sur ma poitrine comme pour vérifier que mon cœur bat toujours. « Tu m’as fait peur putain. » Je signale en riant, pas le moins du monde froissée ou vexée. Il sort de sa poche un petit carnet sur laquelle il griffonne quelques mots avant de me le tendre. « La question à laquelle j’ai répondu par ton nom ! » Je relève la tête, un sourcil arqué face à ses imitations assez farfelues. « Tu veux me prendre mon cœur ? » Je marque une pause, glissant l’un de mes doigts contre mes lèvres, en pleine réflexion. « OH, J’AI COMPRIS, J’AI LA MAIN SUR LE CŒUR ? » Non, pas de rapport avec la question à laquelle répondu. « Tu n’as pas à te justifier tu sais, je ne l’ai pas mal pris, j’ai bien compris que tu faisais référence à notre discussion de l’autre jour, ça m’a plus touché qu’autre chose que tu prennes à cœur mon bonheur ! » N’aurais-je pas résolu l’énigme de son imitation par la même occasion ? Je crois bien ! « Tu es impatient de retrouver l’extérieur ? Ta famille… L’Inde ? »

Si jusqu'ici l'indien n'avait eu aucune raison de déprécier Rowan, il est certain qu'il n'avait pas prévu de la remercier quand viendrait l'heure où son gage prendrait fin, et où lui pourrait à nouveau s'exprimer autrement qu'à travers des gestes plus risibles qu'autre chose. Mais c'était surtout les questions que lui avait posées l'animatrice qui lui avaient laissé penser qu'à l'instar de ses collègues, elle avait l'intention d'exploiter ses failles, en l'occurrence le fait qu'il ne s'autorise en aucun cas à dire du mal de qui que ce soit. C'est pour ça qu'il avait utilisé plusieurs jokers, parce qu'en dehors même du fait qu'il ne voulait vexer personne, il ne s'estimait pas en droit de critiquer quelqu'un gratuitement. Plusieurs de ses réponses, pourtant, s'étaient elles avérées des plus naturelles. Lawrence était incontestablement la personne qui illuminait ses journées au sein du nid, et cette confession suivait finalement tout ce qu'il lui avait déjà dit de ses sentiments, et de l’importance qu'il avait à ses yeux. Khadija était la bonté incarnée, sa générosité n'avait d'égal que sa dévotion envers les autres, alors il était presque certain qu'elle lui ferait volontiers don de l'un de ses organes. Lloyd-Snö, lui, était aussi à l'aise avec les autres qu'il pouvait être franc, il l'imaginait donc facilement nouer de nombreux contacts à l'extérieur. Quant à Greta, il avait repensé à leur échange d'il y a deux semaines, dans le jardin, et à ce qu'elle lui avait confié au sujet de sa vie amoureuse. Alors s'il avait parlé d'elle comme de la personne qu'il abonnerait à vie à son site, c'est parce qu'il lui souhaitait de rencontrer la bonne personne, par ce biais-là, ou par un autre en soi. Et c'est précisément ce qu'il avait à cœur de lui assurer, lui qui n'avait pas manqué d'effrayer sa camarade au moment où son reflet avait trahi sa présence dans le couloir déformant, et qui s'était empressé de s'excuser silencieusement de lui avoir fait une pareille frayeur. Aussi amusé que probablement hébété, il griffonna alors quelques mots de façon à justement revenir sur cette fameuse question. Mais les gestes qu'il entreprit de faire par la suite, et notamment le cœur qu'il tâcha de représenter à l'aide de ses deux mains, ne semblèrent par prendre sens aux yeux de Greta. Réprimant un rire, il mouva énergiquement la tête pour lui signifier que non, bien sûr, il n'en avait pas après son cœur. Et « la main sur le cœur » … pour sûr, Greta l'avait, mais ça n'était pas non plus ce qu'il essayait de lui dire. Et tandis qu'il en vint à craindre de ne pas se faire comprendre, sa camarade finit par voir où il voulait en venir, et c'est un sourire attendri qu'il esquissa. Mimant un écran d'ordinateur à l'aide de ses deux mains, il feignit ensuite de taper sur un clavier, puis dressa le pouce de sa main droite de manière convaincue. Il ne ferait pas ce métier s'il ne croyait pas à l'idée que de jolies histoires puissent naître par écran interposé, en l'occurrence par le biais d'une agence comme la sienne, et il avait déjà marié suffisamment de monde pour avoir eu la preuve que de sincères unions pouvaient même en découler. Ce qu'il cherchait du coup à lui faire comprendre, c'est que si elle n'était pas nécessairement à l'aise à l'idée d'aller vers les autres dans l'espoir de faire une rencontre, elle pourrait être agréablement surprise par ce genre de procédés. A sa question, la mine de l'indien se fit un peu plus pensive, tandis qu'il se pinça les lèvres, réfléchissant à un moyen d'exprimer le fond de sa pensée. Il hocha dans un premier temps la tête, parce que oui il lui tardait de retrouver les siens, et tout ce qu'il avait quitté en venant jusqu'ici. Mais ça n'était pas si simple. C'est pourquoi il adopta une attitude un peu craintive, regardant autour d'eux avec une certaine inquiétude, pour exprimer le fait qu'il appréhende dans le fond certaines choses qui pourraient l'attendre à son retour. Reportant son attention sur Greta, il éloigna l'une de ses mains de son corps pour exprimer l'idée d' « éloignement » – celui avec ses proches, donc, puisque c'était à eux qu'il cherchait à faire allusion – puis fronça les sourcils, d'un air mécontent. Plusieurs des membres de sa famille n'apprécieraient probablement pas ce qu'ils entendraient s'il se décidait à tout leur raconter de son aventure, de l'endroit où il avait vécu des semaines durant, et surtout des liens qu'il avait pu nouer en ces lieux. Alors impatient, il l'était, mais il savait que pour plusieurs raisons sa famille pourrait se mettre en tête que le Naveen qui les avait quitté trois mois plus tôt n'était pas celui qui leur avait été rendu. Retrouvant malgré tout le sourire, il désigna Greta puis laissa sa main s'abaisser de façon à représenter un être peut être un peu plus petit que sa camarade, bien sûr avec l'idée de l'interroger en retour, quant au fait qu'elle soit certainement impatiente de retrouver son fils. Il enserra d'ailleurs ses propres bras autour de lui, mimant un câlin que sa camarade ne manquerait assurément pas de donner à son enfant, une fois qu'elle le reverrait. Lui-même savait qu’enlacer ses proches, après s'en être si longtemps éloigné, ça tendrait déjà à rattraper les semaines qu'il avait passé loin d'eux.

Ne pas pouvoir prononcer le moindre mot pendant une semaine, pour une femme aussi bavarde que moi ce serait diablement difficile à respecter. Rowan semble prendre un malin plaisir à priver chaque candidat de ses sens. Achille a été victime de cette même punition la semaine passée en se retrouvant aveuglé. Quel sens pourrions-nous sacrifier sans trop en souffrir ? Il y a matière à réfléchir un petit moment, parmi les deux exemples cités précédemment uniquement je pense qu’il est plus facile de survivre une semaine dans un jeu comme Fake Lover sans usage de ses yeux plutôt que forcé à profiter d’un mutisme assez difficile à mettre en œuvre. Vous m’imaginez en train d’imiter chaque mot que je prononcerais en temps normal sans avoir à me casser la tête ? J’ai toujours été très mauvaise au pictionary. Et puis le silence… Il n’y a rien d’aussi pesant qu’un silence au quotidien. Certains se plaisent à profiter d’une absence totale de son mais ce n’est pas mon cas, j’évolue au quotidien sur de la musique, ma vie est un enchainement incessant de tonalités et de sons. Je ne suis pas habitué au silence et Naveen me surprend en arrivant beaucoup trop discrètement à mon goût. Je jure sous le coup de l’émotion et enchaine sur ce que tente de me faire comprendre le jeune indien. Il nous reste encore un peu de pain sur la planche pour parvenir à nous comprendre sans avoir besoin d’utiliser la parole puisque trois séances d’imitations me sont nécessaires pour faire le rapprochement avec ce qu’il veut me faire comprendre. Il m’a cité lors de la rubrique de Rowan, certains auraient probablement très mal pris cela mais pas moi. J’ai conscience que ça n’a pas été fait méchamment, je ne vois pas Naveen le faire, lui qui a abusé du joker pour éviter de froisser n’importe lequel d’entre nous et qui, je pense, serait capable de choisir d’être muet pour le restant de son aventure plutôt que de balancer la moindre remarque désobligeante à notre sujet. Il a la main sur le cœur, c’est pour cela que je l’apprécie autant. Il mime et je me concentre à nouveau pour pouvoir suivre son raisonnement, des touches, il écrit sur des touches, rapport avec l’ordinateur et les rencontres en ligne je suppose, son pouce approbateur confirme cette idée. « Je ferais un effort pour y réfléchir… Tu pourrais recevoir un coup de fil de ma part un de ces jours ! » Ne jamais dire jamais, si la solitude venait à me peser en sortant d’ici après avoir passé autant de semaines en compagnie de gens incroyables. Difficile de discuter mais j’en profite malgré tout pour demander à Naveen comment il se sent par rapport à la fin de l’aventure qui approche, serait-il impatient de retourner en Inde ? De retrouver ses proches ? Il lui faut quelques secondes pour trouver les gestes mais je comprends étrangement ce qu’il tente de me dire… Sauf peut-être lorsqu’il se met à regarder autour de nous, craintif. Je me retourne, pas sereine, analyse les murs et le plafond à la recherche d’une bestiole ou de quelque chose dans ce genre histoire de m’assurer de notre sécurité. Il mime l’éloignement, la peur, je pense avoir compris. « Ils seront content de te voir, tu devrais être tranquille pendant un petit moment… Au moins les premières heures ! » Difficile de le rassurer alors que je ne connais pas sa famille et leur était d’esprit. Mon sourire s’étire lorsqu’il fait allusion à mon fils en mimant un câlin. « J’espère qu’il sera fier de mon parcours, j’ai très hâte de le revoir en tout cas. Ce fut la chose plus difficile ici… Le manque, l’éloignement. »

L'indien n'avait rencontré qu'un seul aphasique en trente ans d'existence. Un garçon d'une vingtaine d'années dont il avait croisé la route au moment de monter sur New Delhi, pour commencer ses études. Il n'était pas étudiant, mais distributeur de tracts, un métier ingrat qui confrontait à l’indifférence d'autrui, et qu'il connaissait pour l'avoir lui-même exercé à une époque. Ce jeune muet, donc, il ne l'avait pas réellement fréquenté, mais souvent il s'était surpris à l'observer, à tenter d'imaginer ce qu'était une existence essentiellement tournée vers la vision, et ce que représentait le fait de ne pouvoir compter que sur sa vue – et sur celle des autres – pour communiquer. Les gestes qu'il faisait pour se faire comprendre de ses camarades, cette semaine, n'avaient rien à voir avec ceux qu'il saurait initier s'il avait appris le langage des signes, comme il l'avait longtemps voulu. Mais être privé d'un besoin aussi essentiel que celui d'échanger directement avec les autres – sans devoir refréner son envie de partager une idée particulière à un instant précis – et voir que ses gestes ne seraient jamais aussi précis que les mots qu'il avait l'habitude de prononcer, ça l'aidait à comprendre combien on pouvait se sentir isolé et déphasé quand on était forcé de trouver en soi la patience nécessaire pour traduire un mot, un seul, par une multitude de gestes qui peut être ne seraient pas compris. Sa façon de s'exprimer se ferait sans doute un peu plus précise au fil des jours, mais il aurait l'impression que ses échanges perdaient en saveur tant qu'il subirait ce gage, et qu'il devrait aller à l'essentiel à défaut de pouvoir tout dire de ce qu'il avait sur le cœur. Avec Greta, il était par exemple compliqué de revenir sur les raisons pour lesquelles il avait donné son nom à l'une des questions que lui avait posé Rowan. Compliqué, parce qu'en temps normal il aurait mis dix secondes à lui dire qu'il l'avait fait parce qu'il lui tenait à cœur qu'elle rencontre quelqu'un de bien, mais qu'ici ses gestes ne traduisaient pas nécessairement ce qu'il avait en tête. Il leur fallut donc quelques instants pour se comprendre, tous les deux, et à présent que l'indien était sûr qu'elle savait où il avait voulu en venir, il put développer le fond de sa pensée, et mimer l'idée d'utiliser un ordinateur pour faire des rencontres. Un procédé auquel il croyait forcément, lui, et que Greta elle-même ne semblait pas considérer comme étant complètement improbable, ce qui dessina sur ses lèvres un sourire enthousiaste. Reprenant son carnet, il écrivit cette fois « Tes attentes ? », avant de le lui tendre et d'arborer une mine un peu plus sérieuse. C'était un peu la question à laquelle répondaient les membres de son site lorsqu'ils remplissaient un certain nombre de champs prévus de façon à déterminer le profil qui leur correspondait. Greta n'était pas encore certaine d'avoir recours à ce genre de choses un jour, mais ça le rendait curieux de savoir ce qu'elle pourrait rechercher chez un homme, et ce qu'elle apprécierait de trouver sur une plate-forme où ça n'était jamais la diversité des profils qui manquait, même chez lui. Se voyant par la suite poser une question qui le laissa pensif un court instant, l'indien tenta de faire comprendre à sa camarade que ses proches n'accueilleraient pas forcément son retour – ou plutôt tout ce qui entourait les raisons de son départ, à la base – avec beaucoup de chaleur. Réprimant un rire en voyant Greta s'inquiéter de le voir adopter une attitude un brin méfiante, il finit par avoir confirmation qu'elle avait saisi ce qu'il avait voulu sous-entendre. A sa remarque, son sourire resta amusé, mais il y demeurait néanmoins une légère inquiétude. Profitant d'avoir toujours son carnet entre les mains, il l'utilisa pour mimer une scène un peu grotesque et irréaliste, mais qui avait une dimension symbolique. Ainsi s'en servit-il comme d'un petit bouclier, au niveau de son visage, comme pour lui faire comprendre qu'il n'était pas impossible qu'il se heurte à certains obstacles – pourquoi pas à un lancé d'assiettes, connaissant le tempérament parfois volcanique de sa mère – à son retour au pays. S'intéressant de son coté au fait que Greta soit probablement impatiente de retrouver son fils, et de pouvoir surtout le serrer contre elle, il déposa une main rassurante contre son bras pour la conforter dans l'idée que son enfant, bien sûr, serait fier de sa mère. Et puis, subitement curieux, il réalisa le même geste qu'un peu plus tôt pour faire là encore référence au fils de Greta – c'était comme ça qu'un mot trouvait sa traduction officielle, après tout – puis désigna à l'aide de ses deux mains tout ce qui les entourait, aussi bien ce couloir que le nid en général, l'endroit où ils vivaient depuis maintenant plusieurs semaines. Désignant ensuite sa camarade, il posa sur elle un regard plus interrogatif, avant de remuer la tête, d'abord de haut en bas, puis de gauche à droite, pour exprimer successivement les idées d'« accord » et de « désaccord ». Ce qu'il cherchait à savoir, à présent, c'est si en tant que mère, elle aurait laissé son fils participer à une émission de ce genre, et fait preuve de la même compréhension que lui, dont il savait déjà qu'il l'avait aidé à préparer son départ. Car lui savait qu'en tant que fils, et dans l'hypothèse où cette idée aurait été crédible, il n'aurait probablement pas laissé sa mère s'enfermer dans un endroit de ce genre. Parce qu'elle était fragile autant qu'elle était allergique à la nouveauté, et à tout ce qui s'éloignait de ce qu'elle avait toujours connu. A sa place, sa mère n'aurait jamais cherché à s'intégrer, et aurait passé plus de temps à juger les autres qu'à essayer de les comprendre. Il l'aimait profondément, mais ça n'était pas pour rien qu'il hésiterait à lui faire le récit de toute son aventure.