amy

Je savais exactement où je l’avais caché. J’attendais simplement le bon moment pour la ressortir. Je ne pouvais pas le faire avant, mais maintenant que la population au complète est au courant de mes fautes, je peux enfin la ressortir. La seule photo que j’ai gardée de Rosie. Il s’agit en fait d’une photo de nous trois, Amy, Rosie et moi. Heureux et insouciant, comme si nous avions tout l’avenir devant nous. Je mets finalement la main dessus, fixant celle-ci, une vague de nostalgie m’envahissant. De tristesse et d’impuissance aussi. Je prends la peine de la sortir parce que je veux la montrer à Amy. Lui montrer que malgré tous les défauts qu’elle me trouve, toute la lâcheté qu’elle voit en moi, j’ai tout de même toujours pensé à elle. À nous. Je viens pour sortir du dressing, la photo en main, manquant de près de foncer dans quelqu’un tant j’ai la tête ailleurs. Mon regard croise celui de la candidate, pour me rendre compte qu’il s’agit d’Amy. Comme si elle avait été amenée à moi alors que j’étais pour aller vers elle. « J’étais pour te chercher… » Je lâche faiblement, la fixant. C’est dans un soupire que je glisse la photo dans sa main, me reculant, ayant clairement l’impression d’être dans sa bulle. Je n’ai pas envie qu’elle s’énerve après moi, je n’ai pas non plus envie que l’on se prenne la tête pour la millième fois depuis que nous avons mis les pieds dans cette émission. Non, je veux juste lui partager quelque chose. Je veux lui faire comprendre toute la tristesse qui m’habite et qui ne m’a jamais quitté, depuis cette fatidique nuit. « Je l’ai toujours avec moi… » La photo. Ainsi que Rosie. Dans mon cœur, elle est toujours là. « Elle me manque tellement… » Je baisse les yeux, mon regard s’accrochant à la photo qu’elle tient dans ses mains, ma voix se cassant. Je ne veux pas prétendre qu’Amy ne m’avait pas manqué durant ces dix dernières années. C’était juste différent.

Il y a une petite brise dehors, alors je me rends dans le dressing pour attraper une veste, histoire de me couvrir un peu. J’ai fini de manger, et maintenant j’ai envie d’aller prendre l’air un peu. Je compte sans doute me rendre sur la plage, un de mes lieux favoris. J’aime bien être là bas, au calme. Bercé par le bruit des vagues. Mais sur le chemin, je manque presque de bousculer un candidat. Il se recule. Benjamin. Cest moi qu’il cherche ? Ah. Que me veut-il ? Il me depose quelque chose dans la main. Je baisse la tete pour regarder. Une photo. Mon coeur se serre lorsque je vois le visage de Rosie. Son sourire qui irradie la photo. Elle lui manque terriblement. Je veux bien le croire, puisque je ressens la même chose. Je fixe l’image quelques instants en silence. « Elle ne méritait pas... Elle... » J’ai dû mal à finir la phrase. « Elle était une bien meilleure personne qu'on ne sera jamais. » Mais malheureusement ce sont toujours les meilleurs qui partent en premier. La vie est tellement injuste et cruelle. Je relève la tête pour porter cette fois mon regard sur Ben. « Elle n'aimerait pas ce qu’on est devenu. » Elle qui détestait à l’époque qu’on s’engueule. Toujours à vouloir nous rabibocher. Quelque part je me dis qu’heureusement elle n'est pas la pour voir ce quon est devenu... « Parfois je me dis que pour elle on devrait faire un effort…Que c’est ce qu’elle aurait voulu, qu’on se réconcilie… » Si elle nous voit de la haut, elle ne doit franchement pas être fière. Se déchirer ainsi. Oui mais voilà, forcément il y a la suite qui vient. « Et puis je repense à tout ce que t'as fais et ça me met tellement en colère… » Et bien d’autres sentiments. « T’étais notre grand frère, t’étais censé nous protéger…pas… » Ma voix se brise. Je lui rends la photo.

Une envie de montrer cette photo à Amy m’avait prit, comme si j’avais quelque chose à lui prouver, alors que bon, le fait de trainer une simple photo n’avait rien d’exceptionnel en soi. La photo dans ses mains, je suis le trajet de son regard pour poser mon regard sur ce portrait qui nous représente. Jeune et heureux. Je ne peux même pas exprimer à quel point elle me manque. « Elle ne méritait pas... Elle... Elle était une bien meilleure personne qu'on ne sera jamais. » Elle ne méritait pas ce qui lui est arrivé, je ne peux qu’être d’accord. Rosie est la meilleure personne que j’ai connue. Le rayon de soleil de tous, mon petit ange. « Elle avait le don de voir le positif dans tout. Mais oui, elle était une bien meilleure personne que nous… » Je passe une main sur mon crâne, me sentant à nouveau beaucoup trop émotif. En fait, il faudrait simplement que j’arrête d’en parler, comme je l’ai fais durant ces dernières années. « Elle n'aimerait pas ce qu’on est devenu. » En même temps, comment on réagit lorsqu’on perd sa sœur de cette façon ? Quand on est en partie responsable de ce qui lui est arrivé ? C’est sur qu’elle n’aimerait pas nous voir nous déchirer ainsi, elle qui détestait lorsqu’on entrait en conflit. Je reste silencieux, de toute façon Amy ne tarde pas à reprendre la parole. « Parfois je me dis que pour elle on devrait faire un effort…Que c’est ce qu’elle aurait voulu, qu’on se réconcilie… » Et on en revient à cette question de réconciliation. Je me demande si elle n’a pas repensé à la question, qu’elle se dit qu’il y a peut-être une possibilité pour nous de… « Et puis je repense à tout ce que t'as fais et ça me met tellement en colère… » Bam, en plein visage. Ça me fait l’effet d’une claque qu’elle m’aurait offerte avec toute la force qu’elle a en elle. Ce que j’ai fait. On en revient toujours à ce que j’ai fait. « T’étais notre grand frère, t’étais censé nous protéger…pas… » Pas la tuer. C’est ce qu’elle n’a pas la force de dire. Je reprends la photo, baissant le regard pour ne pas affronter le siens. « J’ai été con. » je réponds, tout bas, ma voix ayant de la difficulté à percer tant elle est chargée d’émotion. « J’ai fait une connerie… Une mauvaise décision. » Mauvaise décision n’est même pas assez gros pour décrire ce que j’ai fait. Jamais je ne me le pardonnerai, et elle le sait, je le lui ai déjà dit. « Vous étiez les deux personnes les plus précieuses dans ma vie… » Je parle au passé, même si cela reste actuelle. Même si nous nous sommes perdus de vue. « Et ce que je t’ai dis… le soir de mon départ. Ce que je t’ai dit… J’aurais jamais dû Amy. C’était la colère… Le désespoir de l’avoir perdue… Pour toujours. Rosie… elle était mon âme sœur. Elle me comprenait, me connaissait par cœur et… Je l’ai… » Me voilà à nouveau à deux doigts de craquer. De m’effondrer sur le sol et de pleurer toutes les larmes de mon corps. Mais c’est important pour moi qu’Amy le sache. Que je regrettais ce que je lui ai dit.

 « Elle avait le don de voir le positif dans tout. Mais oui, elle était une bien meilleure personne que nous… » Tellement meilleure. C’est ce qui rend la chose d’autant plus douloureuse. Elle avait tout l’avenir devant elle. Un brillant avenir qui l’attendait… Mais elle a été emportée par la faucheuse prématurément. J’ai été con. Sans blagues. « J’ai fait une connerie… Une mauvaise décision. » C’est peu de le dire. « Plusieurs. » Entre la mort de notre sœur, et son abandon… Y a le choix. Je ne saurais dire de quoi je lui en veux le plus…Parce que le déces de Rosie, ce n’est pas vraiment volontaire…alors que quitter sa famille sans jamais se retourner…ça c’est prémédité. C’est un choix. Un qui a été fait, sachant pourtant tout le mal que ça causerait. « Vous étiez les deux personnes les plus précieuses dans ma vie… » Ça j’ai du mal à le croire. « Et ce que je t’ai dis… le soir de mon départ. Ce que je t’ai dit… J’aurais jamais dû Amy. C’était la colère… Le désespoir de l’avoir perdue… Pour toujours. Rosie… elle était mon âme sœur. Elle me comprenait, me connaissait par cœur et… Je l’ai… » Ces propos, ils me sont gravés en mémoire. Impossible de les oublier. Comment le pourrais-je ? Plus tranchants qu’une lâme. « Tu regrettes...mais tu le penses. » Regardez après tout il n’a pas dis que ses mots ont dépassés sa pensée, non mais qu’il regrettait de les avoir prononcés, il y a une nuance non négligeable. D’autant qu’il parle d’elle en termes plus qu’élogieux. Ce n’est certainement pas comme ça qu’il parlerait de moi. « Tu n’es pas le seul à l’avoir perdu… » Moi aussi j’en étais proche. Une partie de moi est morte, lorsqu’elle a quitté ce monde. « Tu te rends compte que c’est la dernière chose que tu m’ais dites ? Le dernier souvenir que j’avais de toi... » Et pas une seule fois ça ne lui ai venu à l’esprit de redonner signe de vie. « Tu sais que j’en suis arrivée à me sentir coupable d’être en vie ? Maman et papa n’auraient pas eu à subir la perte de leurs deux enfants… » Benjamin ne serait pas parti. « Tu m’as fais me sentir moins que rien, sans valeurs ! » Je lui frappe la poitrine, j’ai la voix qui tremble. J’ai envie de pleurer une nouvelle fois, mais je fais un effort pour me contenir.

« Plusieurs. » Oui, c’est bon, j’ai fait plusieurs conneries dans ma vie. Je sais ce qu’elle me reproche, et jusqu’à un certain, je l’assume complètement. J’ai conscience de mes erreurs, mais le simple fait de le savoir ne pardonne pas non plus mes gestes. Et mes paroles. Parce que j’ai dit de ces horreurs à Amy, le dernier soir que nous avons été ensemble avant mon départ. Et je lui fais bien comprendre que je n’aurais jamais du lui dire de telles choses. Mais j’étais désemparé. Complètement sous le choc, révolté, en colère, plus après moi qu’après n’importe qui d’autre. « Tu regrettes...mais tu le penses. » Je pince les lèvres, me retenant de la contredire, alors que ce serait probablement la meilleure chose à faire. C’est qu’il y a aussi une énorme différence entre le Ben d’avant et le Ben de maintenant. Enfin non, pour beaucoup, je suis encore le même, mais reste que mentalement, je suis beaucoup plus fragile que je ne l’étais. « Je le pensais avant… Oui, peut-être que sur le coup, je le pensais. » C’est un peu brutal comme confession, je l’avoue. Mais j’aime mieux me montrer franc avec elle, alors que nous sommes dans le vif de sujet. De toute façon, je doute que l’on peut faire plus de dommage à notre relation qu’elle l’est déjà actuellement. « Tu n’es pas le seul à l’avoir perdu… » Je sais bien. Et je n’ai jamais prétendu que ma peine était plus grande que la sienne face à la perte de Rosie. Notre sœur était notre équilibre à tous les deux. Elle était le pilier familial, elle était rassembleuse. « Tu te rends compte que c’est la dernière chose que tu m’ais dites ? Le dernier souvenir que j’avais de toi... » Et c’est complètement horrible de laisser sa sœur derrière, en lui balançant un truc de la sorte en plein visage. Je le sais. « Tu sais que j’en suis arrivée à me sentir coupable d’être en vie ? Maman et papa n’auraient pas eu à subir la perte de leurs deux enfants… » Je secoue vivement la tête. Elle dit n’importe quoi, complètement n’importe quoi. Elle croit que je ne serais pas partie si… Enfin. « Tu m’as fais me sentir moins que rien, sans valeurs ! » Elle se met à me frapper et je ne fais rien pour me défendre. Les larmes perlant mes yeux, je la laisse se défouler sur moi, puisque je le mérite. Je mérite tous les coups du monde. Un après l’autre. Ma main venant finalement à la rencontre de la sienne, la stoppant d’un énième coup. La forçant finalement à se rapprocher de moi, la prenant dans mes bras. Pour la première fois depuis si longtemps, je la serre contre moi, éclatant en sanglot, ressentant le plus grand mal de la terre, alors qu’en même temps, je suis heureux de l’avoir près de moi. Ce sentiment contradictoire ne m’aide en rien à me calmer. « Je suis tellement désolé… Je suis tellement… » Mon visage enfouie dans ses cheveux, je prie pour qu’elle ne me repousse pas. Pas toute suite. Encore quelques secondes. « Je… » Incapable de dire un mot de plus, je préfère me taire, la gardant contre moi.