Colin est confronté à un véritable problème depuis une dizaine de jours ; le frigo est presque toujours vide. L’effectif se réduit, les cuisiniers motivés se font rares, ce qui fait que le jeune homme peut de moins en moins compter sur les autres pour se nourrir, ce qui pose un sérieux problème puisqu’à part des cornflakes, il ne sait rien préparer. Et disons que les céréales ça va un jour, deux, éventuellement trois, mais au bout d’un moment il frôle l’overdose. Alors comme à son habitude lorsque le réfrigérateur est vide, ou que les restes ne lui conviennent pas, il se balade avec nonchalance et innocence dans les couloirs, guettant la moindre entrée à la cuisine pour débarquer l’air de rien une vingtaine de minutes après, s’imposant pour partager le repas de sa victime du jour. Aujourd’hui, ce sera Greta, qu’il aperçoit de dos entrer dans la pièce, et il attend quelques minutes avant d’entrer à son tour.  En la voyant, une idée lui vient en tête – autre que celle qui consiste à gratter sa bouffe. Il s’approche tranquillement de la doyenne et il lui attrape l’oreille, qu’il tire sans grande délicatesse, sans pour autant lui l’arracher, il est civilisé, lui, hm. « Hein dit que c’est agréable. » Il lance, un grand sourire moqueur sur les lèvres avant de lui libérer son oreille après quelques instants. « Faut bien que tu goûtes toi aussi à cette sensation si agréable, c'est digne de l'Inquisition. » Belle sensation que d’avoir une oreille en feu, qu’elle ne le remercie surtout pas. C’est un juste retour des choses, qu’elle n’essaie même pas de le frapper puisqu’elle n’est pas en droit de le faire. « Bon, dis-moi, c’est toujours valable ton offre de l’autre jour, de me faire un petit truc à manger ? Parce que c’est l’occasion, j’suis à deux doigts du malaise, personne ne veut ça, pas vrai ? Surtout pas toi, j’le sais. » C’est évident. S’installant au comptoir, il la gratifie d’un visage des plus innocents. Elle ne peut pas lui résister, il y a qu’à voir comme il l’embête chaque semaine sans pour autant qu’elle se détourne de lui. Pire, elle est même serviable. Alors avec le tirage d’oreille dont elle a eu le droit, sa logique veut qu’elle lui prépare un véritable festin, et pas un pauvre sandwich.

La journée pourrait seulement être sur le point de démarrer pour moi, ce serait surement le cas si j’étais une grosse dormeuse mais ce n’est nullement le cas et je suis donc éveillée depuis plusieurs heures déjà. J’ai eu largement le temps de me préparer, de petit-déjeuner, de prendre une bonne douche, de m’habiller et de marquer un petit arrêt par le dressing pour effectuer un petit peu de rangement parmi mes affaires. Le tri terminé et un passage du côté des machines pour faire tourner mes vêtements sales et mon estomac commence à se réveiller et à satisfaire son besoin d’être nourri de toute urgence. S’il y a bien quelque chose qui m’insupporte au quotidien c’est cela, devoir se faire violence face à la faim parce qu’on ne peut pas sauter sur sa fourchette immédiatement. Je ne suis pas de bonne humeur lorsque j’ai un petit creux, je peux vite devenir agressive et je ne suis pas productive non plus. Autant vous dire que j’ai toujours une barre chocolatée sur moi ou un fruit pour dire de pouvoir me caler si le repas est beaucoup trop éloigné dans le futur. Ici je n’ai jamais d’impératifs qui m’empêchent de partir me cuisiner un bon repas lorsque l’envie se présent, nous n’avons jamais quelque chose d’ultra important à faire et qui remet en question l’heure du repas, autant vous dire que j’écoute donc plus que jamais mon estomac lorsqu’il me fait parvenir des messages et que je profite de ma machine en marche pour marquer une pause à la cuisine. Que pourrais-je bien me faire à manger aujourd’hui ? La grande questionne quotidienne à laquelle j’ai de plus en plus de mal à répondre. Les ingrédients manquent en cette fin de semaine, les courses ont besoin d’être faites et la production tarde à se manifester là-dessus. Il me faut donc être imaginative et je suis loin de l’être pour le moment. Je suis surprise dans mes réflexions culinaires par un Colin qui inverse les rôles et m’attrape l’oreille. « WOW ! » J’hurle, plus pour signifier mon mécontentement et ma surprise qu’autre chose. « L’Inquisition ? T’utilises des mots savants toi maintenant ? J’ai loupé ton passage du parfait inculte au mec presque intelligent s’il savait de quoi il parle ? » Questionnement purement ironique. Mes doigts s’affairent à apporter la tendresse nécessaire à mon oreille pour qu’elle puisse se remettre de ses émotions pendant que mon autre main attrape le verre d’eau que je viens de me faire couler et l’abat sèchement sur le visage de Colin. « Je n’ai peut-être pas le droit de te frapper mais je peux quand même te proposer un rafraîchissement. A la tienne ! » On ne peut pas appeler cela de la violence, je tâche juste de l’aider à garder les idées fraiches. « Tu veux une serviette pour t’essuyer ? Tu… Tu dégoulines ! » Je surenchéri, un sourire machiavéliquement provocateur me brûlant les lèvres. J’aurais dû m’y attendre, la raison pour laquelle Colin m’embête c’est parce qu’il a la dalle, toujours incapable de se faire cuire un œuf à priori. « Si malaise signifie bouche à bouche alors non, je ne veux définitivement pas en arriver là ! » Ou alors je ferais exprès de manger un gros fromage qui pue avant, juste pour l’embêter et le dégoûter. « Tu veux manger quoi ? » Je soupire, prête à faire un bon geste.

Si en voyant Greta entrer dans la cuisine son but consiste, dans un premier temps, à lui taxer de la nourriture – l’américain étant toujours incapable de dépasser le stade qui consiste à verser du lait dans un bol de céréales – il ne résiste finalement pas à l’envie de lui rendre la monnaie de sa pièce, la doyenne ayant cette fâcheuse habitude de lui tirer l’oreille à la moindre occasion, ce qui commence à occasionner quelques dégâts, par ailleurs. Bientôt, il ne sentira plus son oreille, ou alors Greta fera usage de trop de force et lui l’arrachera, bref, il est temps qu’elle comprenne sa douleur avant qu’elle ne commette l’irréparable. Toutefois, il se montre plus doux qu’elle, conscient qu’il ne mesure pas toujours sa force – évidemment – et ne voulant pas se retrouver avec un lobe d’oreille dans une main, et une Greta affolée face à lui, susceptible de hurler plus que de raison. En parlant de hurler, voilà qu’elle lui perce les tympans avec son cri, alors qu’un sourire ravi s’affiche sur les lèvres du benjamin, satisfait que sa petite blague ait eu l’effet escompté. Sourire qui disparait au profit d’un air excédé quand elle remet en doute son intelligence. Pas qu’il ait laissé penser le contraire ceci dit, mais ce n’est pas une raison pour insister sur ce point. « Ouais, j’suis comme les Gremlins, j’me transforme sous conditions, là j’deviens intelligent parce que j’ai la dalle. » Elle comprendra donc pourquoi il passe son temps à grignoter, afin d’éviter la transformation et rester dans le rôle du type stupide. Il observe avec une certaine satisfaction Greta qui se masse l’oreille, avant d’être pris au dépourvu quand elle lui lance un verre d’eau au visage. Râlant en laissant échapper quelques injures, il s’abstient de se sécher tout de suite, ayant une idée derrière la tête. « J’vais t’en offrir un à l’occasion aussi, tu feras moins la maligne quand tu t’seras noyée dans la piscine. » Suffit de la pousser quand la machine à vagues fait son truc, et le problème est réglé. C’est pas une bonne idée de l’emmerder, surtout quand il a la dalle. « Tu veux du scotch pour te la fermer ? » Il demande, avec un soupir, alors qu’il s’approche d’elle pour la prendre dans ses bras, prenant soin de frotter ses cheveux dégoulinants et son visage contre celui de Greta, en espérant qu’elle ait mis un certain temps à s’apprêter ce matin, pour la peine. « Ça va mieux. » Il lance, sourire satisfait sur les lèvres. Quémandant à manger, parce que dans l’esprit de Greta plus il est chiant plus elle est serviable, il évoque son futur malaise si elle ne prend pas la peine de le nourrir, et personne ne veut ça, évidemment, surtout pas elle. « Nan, c’est bon, avec toi j’ai pas besoin de ce genre de stratagème pour t’embrasser, suffit de demander. Le désespoir, ça fait des ravages. » Prête à tout accepter sans montrer une quelconque résistance. « Qu’elle est docile. » Il souffle après qu’elle lui demande ce qu’il veut manger, non sans prendre la peine de lui tapoter le haut du crâne. Trop facile. « Une terrine de langoustines aux petits légumes et un moelleux au chocolat pour le dessert, tu seras gentille. » N’oublions pas, plus il est chiant, plus elle se décarcasse. Ou pas, raison pour laquelle il peut bien lui demander un truc qui vient de la mer alors qu’il y est allergique, parce qu’il sait qu’elle ne s’exécutera pas. « Nan, allez, fais-moi des pâtes carbo et j'suis heureux. » Il pourrait en profiter pour demander quelque chose de moins classique, mais son alimentation se limitant aux pizzas, pâtes et autres cochonneries du genre, il va rester en terrain connu.