ft. MANECH
19 SEPTEMBRE 2011, 15H13.

Si j’avais été comblée par la bibliothèque, je fus sous le choc lorsque j’entrais dans la salle de musique : de la quantité importante de disques aux nombreux vinyles – dont plusieurs, de collection, j’en avais pleins les yeux. Je n’allais, définitivement, plus savoir où passer mon temps libre, avec tous les choix qu’offrait cette maison. C’était d’ailleurs plus que tout ce que j’avais espéré. Je décidais de m’approcher du système de son, et appuyant, au hasard, sur les touches de celle-ci, cherchant à la mettre en marche. Je dus réussir, car quelques secondes plus tard, les notes distinctes d’une mélodie de Snow Patrol se faisaient entendre dans toute la pièce, et ce, assez fortement. La stéréo était tout simplement phénoménale! Je baisais néanmoins légèrement le son, l'abaissant à un niveau convenable, pour savourer ma visite des lieux sans faire fondre mes tympans. Il y avait tant à voir, mais ce fut le piano qui attira mon attention le premier. Aussitôt, j’allais m’assoir sur son bac, et caressant du bout des doigts les touches blanches et noires. Je savais jouer… du moins, j’avais un jour su. Il y a longtemps, quand j’étais gamine et que ma mère me faisait suivre des cours. Même si j’étais doué, le virtuose de l’instrument, chez moi, c’était mon paternel. J’aurais tant voulu hériter de son talent pour manier un peu n’importe quoi, sans y mettre aucun effort. Moi, il me fallait des années de pratique pour n’en maîtriser qu’un seul, injustice quand tu nous tiens! Mais pourquoi ne pas tenter la chance… Peut-être que ces années de pratique m’étaient rentrées dans le crâne, après tout? Je tentais alors de ma rappeler un certain air que j’avais appris, mais mes premiers essais furent peu concluants. Pas assez, en tout cas, pour me décourager.

Je savourais les jours dans cet endroit merveilleux. Qui aurait cru que je dirais ça un jour ? Au début, je ne voulais même pas m'inscrire à cette émission, je ne serai jamais venue si l'un des gosses à qui je donne cours ne m'avait pas lancé un défi. Je ne passe jamais à côté d'un petit défi, c'est ce qui me fait vivre. Je devais tout de même garder une bonne image devant tous ces élèves, après tout, j'étais un peu comme un exemple pour eux. Je restais donc la personne que j'étais à l'extérieur, un homme de principe. Aujourd'hui, j'avais envie d'aller voir ce à quoi ressemblait la salle de musique. Je suis plutôt bon à la guitare, à la maison on était obligé de jouer tous d'un instrument et moi, j'avais directement choisi la guitare et une histoire d'amour était née entres nous. J’espérais d'ailleurs qu'ils auraient une guitare mais une salle de musique sans guitare ne serait pas une salle de musique. J'espérais aussi qu'il y aurait d'autres mélomanes que moi pour partager des trucs sympas autour d'instruments. Je fis d'ailleurs ravi de voir l'une des candidates installée au piano à mon arrivée dans la pièce. J'écoutais avec attention ce qu'elle pouvait bien jouer comme musique, et elle devait déjà avoir toucher à l'instrument puisque ses notes ne sonnaient pas faux du tout. « Je vois que je suis pas le seul amoureux de musique ici ... tant mieux d'ailleurs. » Je m'avançais d'avantage en direction de la jeune femme. « Ne t'arrête pas de jouer pour moi, je m'appelle Manech. »

Au bout d’un moment, je fus capable d’enfiler plusieurs notes de suite, assez en tout cas pour que l’air du Canon de Pachelbel se fasse clairement entendre dans la pièce. L’une de mes chansons favorites, l’une des premières que j’avais apprises sur le piano. Et il faut croire que j’étais plutôt à l’aise, car au fil et à mesure que je jouais, les notes me venaient tout naturellement. J’étais d’ailleurs tellement prise dans mon jeu que ce ne fut que lorsque j’entendis sa voix que je remarquais qu’un candidat m’observait. « Je vois que je ne suis pas le seul amoureux de musique ici… tant mieux d’ailleurs. » Aussitôt, je bloquais nette, m’arrêtant de jouer. Ça, s’était une de mes faiblesses : le jeu devant public. Avec ma famille, ça allait, mais avec des inconnus, ou lors d’un spectacle, je faisais toujours des gaffes, je me trompais dans mes notes – en bref, c’était une catastrophe à chaque fois. « Ne t’arrête pas de jour pour moi, je m’appelle Manech. » Bon, c’était un peu trop tard pour ça. « Désolé, mais ça me gêne..., et puis, de toute façon, c’est déjà trop tard. Moi, c’est Sorcha. » Je ne sais pas pourquoi, mais plus je l’observais, plus j’avais l’impression de le connaître… Je me trompais surement – ça m’arrivait toujours - ou bien je devais le confondre avec un de mes clients. « C’est fou comme tu ressembles à quelqu’un que je connais! » ne puis-je néanmoins m’empêcher de lui dire.

« Désolé, mais ça me gêne..., et puis, de toute façon, c’est déjà trop tard. Moi, c’est Sorcha. » Si je devais porter une étiquette, je pense que la plus appropriée serait celle de boulet. Ou boulet nationale même. Si j'avais su que je la bloquerais de la sorte en signalant ma présence, je n'aurais rien dit. Il était trop tard, je ne pouvais plus écouter de la bonne musique. « C'est moi qui suis désolé de débarquer comme ça et de ruiner ton instant musical. Si tu veux, je me casse ... il y a pas de problème hein. » Partir était une solution à envisager si je voulais laisse celle-ci faire de la musique, elle devait être venue là pour ça après tout. « C’est fou comme tu ressembles à quelqu’un que je connais! » c'est rigolo. Non pas que je m'en fends la poire mais moi aussi, j'ai l'impression de la connaitre. Je l'ai déjà vu c'est certain. Je l'ai croiser au moins une fois dans ma vie. « Je viens de l'Utah en Amérique... Si jamais ça peut t'aider à me localiser un peu. Mais je vis en Irlande depuis cinq ans. Je suis ... enfin, j'étais mormons. J'ai un peu fuis tout ça en fait. » Je croyais en toutes les croyances que l'on m'avait inculqué mais je ne pouvais me restreindre à ça. J'avais besoin de mener ma vie comme je le sentais et non comme mon père l'avait longuement envisagé. Je garde toutes ces croyances en moi mais je ne suis plus mormon. Trop de règle à suivre. Trop strict. Pas assez fait pour moi. J'ai déjà rompu un truc important pour les mormons, coucher sans être marié, alors en fait je crois que de toute façon, ils ne veulent plus de moi.

Il est certain que si je n’avais jamais remarqué sa présence, je serais probablement venu à bout de mon petit récital, mais visiblement, ça n’avait pas été le cas, puisque j’avais bien été forcé de lui faire face quand il s’était adressé à moi. Pas que ça me déplaisait, oh non! Mais il semblait mal à l’aise de cette situation. « C’est moi qui suis désolé de débarquer comme ça et de ruiner ton instant musical. Si tu veux, je me casse… il y a pas de problème hein. » Aussitôt je me levais pour aller le rejoindre. « Mais non, reste ! Après tout, cette pièce, elle ne m’appartient pas, tu as autant le droit d’être là que moi. Et puis, c’est beaucoup plus à deux qu’en solitaire. Viens! » Je l’attrapais par le bras, puis le forçait à s’assoir sur le banc de piano, où j’allais le rejoindre aussitôt. « Tu sais jouer? » lui demandais-je. Mes doigts retournèrent aussitôt sur les touches, mais je les caressais délicatement, ne cherchant pas vraiment à faire naître des sons chez l’instrument. Je me détachais cependant rapidement du clavier pour me tourner vers le jeune homme, posant mes mains sur mes cuisses. Je le scrutais du regard, cherchant à savoir si un seul trait, chez lui, me permettrait de faire la lumière sur mon questionnement. « Je viens de l’Utah en Amérique… Si jamais ça peut t’aider à me localiser un peu. Mais je vis en Irlande depuis cinq ans. Je suis… enfin, j’étais mormon. J’ai un peu fui tout ça en fait. » Mes yeux s’agrandirent de stupeur. « Tu étais mormon? Mais pourquoi tu as renié ta religion? Enfin, pas que ça me regarde, mais je suis intriguée. » fis-je, me détournant complètement du sujet de base de la discussion. Voilà que ma nature curieuse refaisait surface.

Finalement, elle désirait que je reste. Nous pourrions au moins faire connaissance, c'était un peu ça le but de la première semaine de jeu. Faire connaissance avec les gens, se rendre compte de ceux avec qui le courant passe et ceux au contraire, avec qui le courant ne passe pas. On ne peut pas aimer tout le monde et je suis persuader que cet endroit en serait un bel exemple, à trente, les embrouilles pointeraient vite le bout de leurs nez pour des raison idiotes comme "c'est à qui de faire la vaisselle." Celle-ci m'attrapa par le bras et me fis s'asseoir à côté d'elle, derrière le piano. « Tu sais jouer? » « Malheureusement non, je joue juste de la guitare moi. » Je n'avais jamais tenté de jouer du piano, mon frère en jouait assez bien pour nous deux. A chaque fois que nous nous réunissions avec mes frères et soeurs, nous jouions tous ensembles et cela pouvait duré bien longtemps. J'adorais ces petits moments de bonheur familiale et je dois avouer que tout cela me manque souvent. « Tu étais mormon? Mais pourquoi tu as renié ta religion? Enfin, pas que ça me regarde, mais je suis intriguée. » «Cela ne me gêne pas de te répondre ... Je... en fait j'ai briser quelques règles. Ma copine et moi avons eu des relations avant le mariage. On envisageais même pas de se marier en fait. Enfin. Personne ne l'a jamais su mais je pouvais continuer à me dire mormons, je savais ce que j'avais briser en faisant ce que j'avais fais. Je suis quelqu'un d'honnête, de franc et je ne pouvais pas vivre dans le mensonge. « Je respecte encore bien des valeurs que m'ont inculqués mes parents mais je ne suis plus mormons seulement à cause de certaines de ces valeurs. J'étais amoureux, alors pour moi , nous avions le droit de faire ce que nous avions fais. Je suis pas sûr que ma réponse soit super claire, alors désolé si c'est pas très compréhensible »

Quand je le questionnais sur ses habiletés instrumentales, et surtout sur sa capacité à jouer du piano, il me répondit par la négative, ce qui m'attrista un peu. « Malheureusement non, je joue juste de la guitare moi. » Chacun son talent, comme on dit souvent. Moi et la guitare, cependant, ça n’avait jamais fait bon ménage. Déjà, j’étais incapable de jouer ne serait-ce qu’une seule note, car mes mains étaient trop petites! Alors c’était perdu d’avance. Mais j’enviais ceux qui grattaient les cordes avec aisance. « Si ça te dit, j’aimerais bien t’entendre jouer, un jour. » lui mentionnais-je, un sourire en coin au bout des lèvres. Bon, c’était pas donner qu’il accepte, mais sait-on jamais. Après tout, peut-être qu’il éviterait ma petite personne après notre entretien d’aujourd’hui. Moi et ma curiosité légendaire. Après tout, j’aurais mieux fait de me taire, plutôt que de le questionner sur un sujet si controversé que la religion… mais je n’avais pas pu m’en empêcher. Je m’en mordais d’ailleurs les lèvres, certaines qu’il prendrait mal la chose, mais au contraire, il se montra très enclin à me répondre, m’assurant que ça ne le gênait pas de me répondre. Je l’écoutais donc avec une certaine attention, tâchant de ne pas réagir trop durement à ses propos. C’était difficile, car j’avais des valeurs bien ancrées en moi à cause de l’éducation que m’avaient prodiguée mes parents. Notamment en ce qui a trait à la sexualité avant le mariage. Quand il termina ses explications, je restais un moment silencieuse avant de lui répondre. « Je… je pense que je comprends. Te sachant dans l’erreur, tu as préféré de te retirer par toi-même pour ne pas avoir de remords sur les épaules, c’est un peu ça non? Mais bon, ce n’est pas facile d’abandonner une partie de soi, n’est-ce pas? » lui demandais-je, soudainement plus sérieuse qu’à la coutume. Il faut dire que le sujet, à mon avis, ne se prêtait pas vraiment à la rigolade. Je savais me contenir, quand il le fallait.

« Si ça te dit, j’aimerais bien t’entendre jouer, un jour. » Je n'avais jamais vraiment cesser de jouer, je connaissais notes et mélodies par coeur et j'adorais ça. Jouer en public ne m'avait jamais dérangé non plus, je suis sûr de moi. Sûr de ce que je joue, de ce que je fais de mes doigts alors aucune raison de stresser. Je souriais à la rousse, écrasant l'une de mes mains sur le clavier du piano, des notes affreuses en ressortir puisque mon geste n'était aucunement contrôlé. « Un jour, si t'as de la chance. »Je souriais d'avantage, dévoilant quelques-unes de mes dents blanches. En réalité, elle n'aurait aucun mal à m'entendre jouer un jour puisque je comptais passer un certain nombre d'heure dans cette pièce. J'estimais simplement que pour le moment, l'heure était à la connaissance plutôt qu'à la musique. Un sujet délicat avait ensuite pointé le bout de son nez, la religion. Ce sujet n'étais pas tabou pour moi, je n'avais aucun mal à parler de ce que j'étais et de ce que je suis aujourd'hui. Je sais où je vais. « Je… je pense que je comprends. Te sachant dans l’erreur, tu as préféré de te retirer par toi-même pour ne pas avoir de remords sur les épaules, c’est un peu ça non? Mais bon, ce n’est pas facile d’abandonner une partie de soi, n’est-ce pas? » J'étais soulagé de ne pas être regardé comme un monstre et de lire de la compréhension dans mes yeux. Je ne demande à personne de tolérer mes choix ou d'être d'accord avec ceux-ci, tenter de les comprendre c'est déjà un pas énorme je trouve. « Oui, c'est ça. Je suis partie, mais elle, elle est restée. Nous n'avions pas vraiment la même vision des choses.La seule chose que j'ai dit à ma fille c'est que je ne pouvais plus vivre avec tant de restrictions de vie. Une part de moi est toujours avec eux ... c'est certain. Mais je devais aller de l'avant. »

Sa main qui tomba sur les touches du piano, créant une cacophonie insupportable, me fit sursauter. Il faut dire que j’avais redirigé mon attention ailleurs, et n’avait point remarqué le geste que venait de poser Manech. Ouf! Mon petit cœur battait à la chamade, choqué par ces surprises musicales. Mais bon, pas d’inquiétude pour moi, j’allais m’en remettre comme un charme. Peut-être qu’un petit morceau de guitare, gracieuseté de mon voisin, m’aiderait à me calmer? Je dus surement afficher une moue déçue sur mon visage quand il décréta que j’aurai peut-être cette chance un jour, mais n’insista pas. Du même, il allait peut-être me surprendre une autre fois dans la salle de musique, et ne pas m’interrompre, cette fois. À cette simple idée, je me dis rapidement que je devrais penser à refermer la porte à double tour chaque fois que j’aurais une envie de jouer. Question de ne pas avoir un autre espion dans les pattes!

Je comprenais les raisons qui l’avaient poussé à quitter sa religion, mais pour autant, cela ne voulait pas dire que les approuvais. J’avais seulement appris à être plus ouverte d’esprit avec les années. Bon, il y avait toujours certaines choses que je n’acceptais pas, mais cela restait un choix personnel, rien d’autre. Peut-être un peu de l’héritage familial aussi, mais comment d’instiguer l’un de l’autre, quand bien souvent, il était plus que complémentaire? « À la place de cette fille, j’aurais un poids sur la conscience, moi. Je veux dire… briser ces propres règles et faire comme si de rien n'était arrivé par la suite... » Je ne voulais pas trop m’avancer, ne connaissant pas cette jeune femme, mais cette simple affirmation m’en disait déjà beaucoup sur elle. « Mais bon, l’important c’est que toi, tu sois en paix avec toi-même. Que tu acceptes et respectes ton choix. Ensuite, peu importe ce qu’en disent les choses, toi, tu sais que tu as fait la bonne chose. » Je posais ma main sur son épaule en guise de soutien, un geste tout à fait réconfortant, ou digne du support que je lui démontrais.