Le jour du prime était déjà arrivé et, depuis mardi soir, je ne faisais que soigneusement éviter Sorcha, ma partenaire, a qui j'avais sorti une phrase que je n'aurais vraiment pas du sortir. Le fait de lui avoir dit que j'en m'en fichais était en fait la plus grosses connerie de la discussion, puisque le reste n'avait été que vérité. Je mourrais d'envie de lui reparler, de m'excuser pour cette dernière phrase mais selon moi c'était aussi de sa faute. Elle était bien trop bornée et de toute façon si je ne faisais pas ce qu'elle voulait ce n'était pas la peine pour elle, aah que les femmes sont compliquée ! Ça me donnait envie de taper sur quelque chose mais j'avais fréquenté la salle de sport vraiment trop souvent depuis mon altercation avec la jeune femme, alors à la place de ça je me disais que lire devait sûrement être un bon moyen de se défouler. J'étais alors allé dans la bibliothèque, avait choisis un livre en français – car je me sentais plus à l'aise avec ma langue maternelle – et m'installai dans un fauteuil qu'il y avait là, bien confortablement assis, je commençai alors à lire le livre. Si bien que lorsque la porte s'ouvrit je ne levai pas la tête pour voir qui y était rentrée, sans nul doute que cette chevelure rousse m'aurait tout de suite tiré de ma lecture.

Le reste de la semaine m’avait paru bien long, maintenant qu’Anael et moi étions en froid. En fait, je pense que nous nous efforcions de nous éviter. Et jusque-là, nous avions bien réussi. Ça n’avait pas été facile, mais j’étais blessée dans mon orgueil – car oui, je pouvais en avoir autant qu’un homme – et je n’étais pas prête à faire les premiers pas vers lui. Pas encore. Peut-être même jamais en fait. J’essayais de tourner la page, même si une part de moi se refusait à le faire.
Le prime approchait et je m’étais préparée plus soigneusement que d’ordinaire, dans l’éventualité que celui-ci soit mon dernier. J’avais revêtu une tenue chic, coiffé mes cheveux avec des gestes lents, presque réconfortants. J’avais fait exprès de prendre mon temps afin de ne pas avoir à attendre jusqu’à l’heure prévue, mais malheureusement, je me retrouvais avec une heure à tuer. Que faire ? La solution me sauta d’elle-même aux yeux. Après tout, quand quelque chose me tracassait, je trouvais toujours refuge dans la littérature. Quelques minutes plus tard, je mis donc les pieds dans ce que je pensais être mon havre de paix, mais je m’arrêtais nette dès que je remarquais la présence intruse en ces lieux. J’aurais pu tourner les talons et partir sans un mot, mais j’étais incapable de bouger, figez là pour je ne sais quelle raison.

Spoiler:

Je sentais une présence omniprésence dans la pièce et qui ne bougeai pas, finissant les derniers mots de ma pages je ne me gênai pas pour dire « Tu te choisis un livre ou... » je levai la tête à ce moment-là et vis Sorcha, ma phrase resta alors en suspend, elle était superbe en plus puisque le prime devait être ce soir. Je ne savais pas trop quoi dire, j'avais envie d'aller près d'elle et de toute arranger, que tout ça soit finis et qu'on reprenne là où on en étais. Un silence gênant s'installa entre nous puisqu'elle n'avait rien dit et que je ne savais pas quoi dire. « Euu, je.. désolé, j'aurais pas du.. Enfin. Soit. » dis-je en m'enfonçant un peu plus dans mon fauteuil, je ne savais pas quoi dire et j'étais de toute manière pas doué pour ça. Le livre toujours ouvert entre les mains, je n'avais cependant plus l'envie de le lire.

Non. Non, non, non. Pas de ça aujourd’hui. J’avais réussi jusque-là à me passer de sa présence, ce n’était pas maintenant que j’allais faiblir, que j’allais craquer. J’étais forte, plus forte que j’en avais l’air. C'est du moins ce que je laissais paraître. « Tu te choisis un livre ou… » Mon corps s’était tendu lorsque Anael avait relevé la tête et croisé mon regard. Visiblement, c’était tout autant un choc pour lui de me trouver qu’inversement. À force de nous éviter de façon volontaire, nous avions oublié que le hasard, lui, pouvait parfois s’amuser à nous mettre sur la route l’un de l’autre. Appelons ça la fatalité, si vous voulez. « Oui, je suis venu pour ça. » lui dis-je sur un ton détaché, en référence à sa remarque. Je reprenais lentement contrôle de moi après avoir été déconcerté. Et puis, n’étais-je pas venu en ces lieux, justement, pour lire. J’avais certes rencontré un imprévu, mais je n’allais pas changer mes plans pour… lui. J’avais déjà trop donné, de toute façon. « Euu, je… désolé, j’aurais pas du… Enfin. Soit. » Je levais les yeux au ciel en détournant du regard. Il semblait si inconfortable, était-ce ma seule présence qui le rendait ainsi, ou la situation en elle-même? À vrai dire, j’avais plus ou moins envie de m’en préoccuper. Pénétrant pour de bon dans la pièce – car j’étais resté figé sur le seuil, je me rendis directement vers une étagère où j’attrapais le premier livre qui m’inspira confiance, un roman que j’avais mainte et mainte fois lu et dont je ne me lassais jamais, malgré le tragique de l’histoire : L’écume des jours de Boris Vian. Bien sûr, des seuls sièges disponibles dans la pièce, un s’en trouvait déjà occupé, et l’autre, beaucoup trop à proximité de ce dernier. J’avisais donc la fenêtre au rebord plutôt large et m’y installa sans lever une seule fois les yeux vers Anael. Du moins, c’est ce que je tentais de me convaincre, mais à deux ou trois reprises, je ne pus m’empêcher de voir ce dernier dévié vers mon partenaire. Avais-je un pensant masochiste ou quoi? Ça devait être ça.

Bien sur qu'elle était venue pour ça, je ne voyais pas pour quelle autre raison elle serait venue dans la bibliothèque et je n'étais pas le genre de mec parano qui se croyait suivit à la moindre occasion. C'est juste qu'elle n'avait pas bougé et que sa présence avait attiré mon regard et m'avait donc distrait de ma lecture dans laquelle j'étais pourtant plongé depuis quelques minutes. Je la vis, du coin de l’œil, prendre un livre et partir derrière moi s'installer je ne sais où car je ne tournai pas la tête jusqu’à elle, je me contentai de poser mes yeux sur les pages de mon livre mais, si on y faisait bien attention, je ne lisais pas, ne tournant aucune page depuis quelques minutes déjà, le temps qu'un silence pesant s'installe entre nous deux. Elle me manquait, c'était indéniable. Je tournai légèrement la tête vers elle alors qu'elle aussi me regardait un fragment de seconde, mes sourcils s'arquant légèrement sur la surprise de croiser son regard, je finis par briser le silence. « L'un de nous va peut être partir ce soir et j'ai pas envie qu'on soit en de mauvais termes.. » dis-je doucement, je sentais que la colère monterait en elle, tout était dans ses mains à présent ! Je ne pouvais rien faire de plus et je commençais à en avoir marre qu'elle agisse de la sorte. Alors tant pis, si cette fois-ci elle ne m'écoutais pas, je ne chercherai plus le contact avec elle.

Un silence oppressant s’était installé dans la pièce, et quiconque aurait pénétré dans la bibliothèque à cet instant l’aurait compris. Néanmoins, ni Anael, ni moi ne fîmes l’effort de briser ce mur qui nous séparait, et il se passa un long moment avant que quelque chose change. Lorsque nos regards se croisèrent, ne serait qu’une fraction de seconde, je vis ses sourcils se froncer. Il ne s’attendait pas à ce que je le scrute ainsi, et je me sentais idiote de m’être fait prendre à mon propre jeu. Sa voix fut la première à rompre le silence. « L’un de nous va peut-être partir ce soir et j’ai pas envie qu’on soit en mauvais termes… » Je soupirais. Bien sûr que j’aurais voulu que tout rentre dans l’ordre. Sa présence à mes côtés me manquait, mais j’étais blessée, et je ne pouvais passer par-dessus ça. Du moins, pas complètement. Je me devais toutefois d’être honnête envers moi-même et les sentiments que j’éprouvais envers lui, même s’ils étaient plutôt confus ces derniers jours. « Je sais. » lui dis-je seulement. Que pouvais-je ajouter d’autre sans m’enfoncer davantage. Rien, bien sûr, mais comme d’habitude, j’en étais incapable. Il fallait que je parle, après tout, il avait ouvert cette porte, ce n’était certes pas pour que je la referme sans rien dire d’autres. Je m’en serais voulu à mort. « Tu me manques… c’est idiot, non? » dis-je, un petit rire nerveux se joignant à ma confession, alors que je détournais du regard, me fixant sur l'étendu d'eau que l'on pouvait apercevoir de la fenêtre. « C'est stupide parce que ça ne devrait pas être le cas. C'est ce que j'ai voulu, non? » Le repousser avait été ma seule ressource, je m'étais sentis piégé - par lui et par mes sentiments - mais était-ce seulement la bonne chose à faire? La seule solution qui s'offrait à nous?

Elle lâcha un soupire alors que j'avais terminé ma phrase, je me demandais si c'était d’exaspération parce que je lui avais adressé la parole ou si c'était autre chose. « Je sais. » J'imagine bien, mais pourtant nous allions aller au prime dans une heure sans s'être adressé la parole avant. « Tu me manques… c’est idiot, non? » Je lâchai un petit rire qui se mêla au sien, passant une main dans ma nuque j'esquissai un sourire. « Non. » dis-je simplement, non parce que j'avais faillis lui dire exactement la même chose. Ça pouvait certes paraître idiot dans le sens où nous étions enfermés dans la même maison mais pourtant nous avions su nous éviter quelques jours durant, ce qui était assez exceptionnel. « C'est stupide parce que ça ne devrait pas être le cas. C'est ce que j'ai voulu, non? » pour le coup elle avait raison, mais pour une fois dans ma vie il fallait que je fasse preuve d'un minimum de tact, sinon c'était foutu. Je n'étais pas doué pour ça, à vrai dire c'était sans doute l'un de mes plus grands défauts. « Tu as tes raisons. » dis-je, ok c'était pas la peine d'essayer, j'étais vraiment trop nul pour ça. « Oui, un peu, j'imagine, mais bon... Écoute, oublie ça. Si au moins on pouvait être en de bons termes, ce sera déjà bien. » ajoutais-je. Je posai alors le lvire sur la petite table en face de moi.

« Non. » Son rire se mêla momentanément au mien, et malgré tout ce qui s’était passé, je savourais intérieurement ce petit moment. C’était justement le genre de chose qui m’avait manqué chez lui, mais je n’allais pas lui dire. Disons que j’avais l’intention de garder mon jardin secret bien à l’abri. Je lui avais déjà ouvert les portes et je l’avais regretté, je n’allais pas faire cette erreur une deuxième fois. Il m’écouta parler avant d’ajouter quelque chose à la conversation. « Tu as tes raisons. » Oui, j’avais mes raisons, il les connaissait, ce n’était pas pour autant qu’il se devait de me les rappeler. Mon cerveau s’en chargeait très bien tout seul et j’avais déjà assez de remords pour moi toute seule, je ne voulais pas qu’il en ajoute une couche en plus. Néanmoins, je n’ajoutais rien. « Oui, un peu, j’imagine, mais bon… Écoute, oublie ça. Si au moins on pouvait être en de bons termes, ce sera déjà bien. » Être en bon terme. Ce que j’en comprenais, c’est qu’il voulait que cette guerre silencieuse que nous nous évertuions à poursuivre cesse enfin. Je n’étais pas en désaccord avec l’idée. Il déposa son livre sur la table au même instant ou je refermais le pour le déposer à mes côtés – après tout, au point ou nous en étions rendu, il était bien inutile, et il y avait un petit moment que j’avais perdu le fil de ma lecture. « Ça soulagerait ma conscience … » laissais-je entendre, en réponse à sa réflexion. Je m’en serais tellement voulu s’il avait fallut que l’un de nous quitte le jeu dans ces conditions. Sans un regard, sans un dernier au revoir. Je pense que cette séparation là aurait fait plus mal que tous les autres scénarios possibles qui m’avait traversé l’esprit jusqu’à aujourd’hui. « J’ai peur… peur de partir. » fis-je en détournant légèrement la tête. Il me fallait lui dire. Après tout, lui seul pouvait vraiment comprendre la signification de ces mots, du moins je l’espérais. Partir maintenant signifiait que tout se terminerait, une bonne fois pour toute. Que ce que j’avais laissé derrière moi me hanterait probablement pour le reste de mes jours. Ça me tuait. « Je ne voulais pas... je ne voudrais pas que ça se termine comme ça… Ça n’a jamais été moins souhait. »

Elle avait également refermé son livre et l'avait posé sur l'appui de fenêtre où elle se trouvait, déclarant que ça soulagerait sa conscience, à nouveau j'esquissai un sourire. Je me levai du fauteuil où j'étais assis et le contournais, posant mes mains sur son dossier je m'appuyai dessus légèrement. « Ça me soulagerait tout court. » précisais-je avec un faible sourire. Le simple fait de lui reparler me faisait du bien même si j'avais constamment l'impression d'évoluer dans un champs de mines. « J’ai peur… peur de partir. » en me disant ça, elle détourna la tête et je ne savais pas trop comment réagir, ce que j'avais le droit de faire sans qu'elle s'en prenne à moi parce que je ne supportais pas ça, qu'on soit en froid et que je fasse encore plus de conneries. « Moi aussi. J'aimerais rester le plus longtemps possible, bien sur. » dis-je en haussant les épaules, lâchant un soupire. « Je ne voulais pas... je ne voudrais pas que ça se termine comme ça… Ça n’a jamais été mon souhait. » je me redressai un instant, près à aller vers elle mais changeai d'avis dans la seconde, non. Je ne devais pas tout fiche par terre alors qu'on discutait calmement. « Moi non plus. » dis-je en passant une main dans mes cheveux, je relevai la tête vers Sorcha et ajoutai « J'en peux plus de cette situation, j'ai toujours peur de dire un truc de travers et que tu t'énerves, j'ai pas envie qu'on se quitte comme ça, j'ai pas envie de devoir partir ce soir et d'avoir ça sur la conscience. Alors aide moi, dis moi ce que tu attends.. » j'avais décidé d'être franc, j'en avais marre de ne pas savoir quoi dire, de laisser de longs silences planés parce que je réfléchissais à ce que j'allais lui dire, je devais savoir, elle devait me le dire pour que je sache si j'étais en mesure de répondre à ses attentes ou pas.

« Ça me soulagerait tout court. » précisa-t-il un léger sourire au coin de ces lèvres après que je lui eusse parlé de ma conscience. Bien sûr, il en était de même avec moi. Ma conscience aurait un poids de moins sur les épaules, et il en serait de même avec ma petite personne, par la force des choses. C’était juste une façon comme une autre d’exprimer mes remords et mes regrets face à ce qui s’était passé, mais je me demandais seulement s’il s’en était rendu compte. Il acquiesça aussi quand je parlais de cette crainte de quitter l’aventure qui me hantait. Elle semblait partagée. « Moi aussi. J’aimerais rester le plus longtemps possible, bien sûr. » Depuis que mon nom - ou plutôt nos noms - avait été cité parmi ces prétendus traitres, il n’y avait pratiquement que ça qui jouait en boucle dans ma tête. Je ne voulais pas que l’aventure s’arrête là, je voulais mener l’expérience jusqu’à la fin… Mais voilà qu’elle risquait de se passer plus tôt que prévue, du moins, pour l’un d’entre nous. Dehors, bien sûr, j’allais retrouver ma vie, ma fille, ma famille… mais j’avais beaucoup d’autres choses à vivre dans ce nid, que partir maintenant me donnerait l’impression d’avoir raté la plus belle aventure de ma vie. D’avoir échouer.
« Moi non plus. » me dit-il alors que je lui mentionnais que je n’avais jamais voulu que notre situation actuelle en soi réduite à… ça. Tout ce qui nous avions pu bâtir ensemble avait été réduit à néant en l’espace de quelques secondes, comme lorsqu’on abattait le poing sur un château de cartes. Il n’en restait plus grand-chose, que des traces de ce que cela avait été. « J’en peux plus de cette situation, j’ai toujours peur de dire un truc de travers et que tu t’énerves, j’ai pas envie qu’on se quitte comme ça, j’ai pas envie de devoir partir ce soir et d’avoir ça sur la conscience. Alors, aide-moi, dis-moi ce que tu attends… » m’avoua-t-il finalement, mettant les choses au clair. Il me demandait ce que j’attendais de lui, mais il me semblait avoir été clair à ce sujet. « Je n’attends rien de toi, Anael, tu le sais bien. » lui mentionnais-je, alors que je me levais de mon appui pour m’approcher de lui, tout en restant à une distance raisonnable. Je ne voulais pas lui demander quoique ce soit, je n’avais aucun droit sur lui, n’en avait jamais eu. Il était libre d’agir à son bon vouloir. « Tu as toujours été fidèle à toi-même, ne change pas ça rien que pour épargner ma bonne conscience ou, pire, mon orgueil. Je suis assez grande pour être capable de composer. Enfin, j’imagine. » Parfois, oui, je pouvais me montrer impulsive, mais en général, on arrivait à lire en moi comme dans un livre ouvert, si seulement on prenait le temps de m’observer. Cette attitude que je m’étais composé, cette façade impassible n’avait été qu’une couverture, mais elle était tombée à l’instant même où nos yeux s’étaient croisses à nouveau. Anael pouvait bien faire ce qu’il voulait, je n’allais pas m’en prendre à lui. J’avais dépassé ce stade. « Je… t’apprécie pour ce que tu es. Ne change pas ça. »