Il est dix-neuf heures trente, soit l'heure de l'apéro pour toute personne qui se respecte, mais Franckie est assis sur le canapé, droit comme un i, menthe à l'eau au chevet, en train de lire un livre intitulé: « Histoire de l'art ». Un peu comme, dans les années soixante-dix, un blanc en costume rayé s'installant au milieu du Bronx pour lire un article du Patriot Party. Un peu comme Dora l'Exploratrice se promenant dans Cuba. Clément le regarde depuis le bar de la cuisine, et soupire et secouant la tête. Franckie n'avait pas voulu se baigner en même temps que tout le monde, hier soir. Mais pourquoi est-il venu tenter l'aventure? Enfin, non pas qu'il n'ait pas sa place ici bien au contraire, Clément est déjà persuadé que le public l'adore, non, mais qu'est-ce qui, au fond de cette petite tête recouverte d'une toison d'un noir brillant, a pu décider de venir s'incruster comme un coquillage au milieu d'une mer déchainée? Son bol de chips entre les mains, Clément se dirige vers le canapé, contre lequel il s'adosse, et fait tomber quelques résidus de patate grillée sur le précieux ouvrage que Franckie tient entre ses mains. « Laisse tomber... » lâche-t-il avant que toute protestation puisse avoir lieu. Il pose le bol sur le canapé et, d'un bond agile, saute par-dessus pour atterrir aux côté de Franckie. « On va plutôt faire un jeu, d'accord? » Il se penche et attrape le jeu de cartes posé sous la table basse qui fait face au canapé, les sort de leur carton, les mélange habillement et les distribue, sans quitter de son regard amusé le visage de Franckie. « Celui qui perd a un gage. » Franckie ne sait même pas à quoi on joue. Et alors? Clément tire une carte, la bataille est commencée, et à présent, plus question de reculer.

Je m'étais posé, juste là, un livre en main et une menthe glacée entre les pattes, savourant d'un malin et vicieux plaisir ces quelques instants de paix. Je n'étais pas du genre asocial, non, quoique... Disons que j'essayais de m'en prouver chaque jour le contraire ce qui était bien souvent souligné par un échec cuisant. Triturant les pages de celui ci, je faisais cependant bien attention de ne pas en corner les coins, par peur des quelconques représailles que l'on puisse m'infliger. Je faisais abstraction de tout le reste. Après tout, je n'en avais rien à faire de ne pas aimer l'eau, de ne pas aimer l'alcool, de ne pas prétendre avoir déjà couché auparavant, oui, je n'en avais rien à faire et n'en avais pas honte, cela me définissait, et je ne voulais pas me presser le pas. L'art avait bercé mon enfance et ce avant même que je ne puisses réellement tenir un crayon, bien que mes parents n'étaient tout deux en aucun cas en lien avec ce milieu. J'étais un autodidacte. Parfois, un léger sourire d'excitation se dessinait sur mon visage lorsque j'en apprenais un peu plus. J'étais également un fan d'histoire, bien que j'étais la plupart du temps incapable de vous citer de quelconques dates ayant marqué celle du monde. Une agitation intempestive vint bien vite troubler tout ce calme. Un blondinet n'avait pas hésité à faire tomber quelques miettes au creux de mon bouquin alors qu'une mine vexée s'était dessinée sur mon visage « Laisse tomber... On va plutôt faire un jeu, d'accord? » dit-il alors qu'il venait de sortir un paquet de cartes de je ne sais trop où. Lui c'était Gambit, le fameux voleur aux cartes explosives. « Celui qui perd a un gage. » docile mais cependant incapable d'en saisir encore les règles, je scrutais d'un air perdu les mains de mon adversaire « Toi aussi tu vas me faire exploser ? » il ne devait pas saisir mes propos mais j'étais tout à fait sérieux. Une moue enfantine et attristée trônait sur mon visage alors que mes yeux étaient remontés jusqu'aux siens.