ismay + branca

C'est pas la première fois mais je sais pas trop ce que je fous là, dans cette pièce. Les jours se ressemblent plus ou moins et ce même si les rencontres sont différentes et à chaque fois, à force de marcher ici et là, je finis par me poser dans un lieu lambda, sans vraiment choisir, sans vraiment qu'il ait été mon but initial. Il est tard, je suis fatiguée et après notre dégustation vinicole avec Jared, le mec à la nana aux cheveux roses, je crois que jsuis un peu éméchée. Pour autant, c'est pas comme si j'allais me mettre à gerber partout ou à crier des 'iiiiiiiii' et des 'aaaaaaa' comme ma partenaire le fait si bien, même sobre. Je tiens assez bien l'alcool, j'ai de l'expérience en fait et mes partenaires de beuveries avaient sans le vouloir mis la barre assez haut. Un apprentissage comme un autre et peut-être même plus important dans la vie qu'apprendre par cœur le théorème de Pythagore, au moins jgarde le contrôle de mon corps quand je sors et de ma dignité, du même coup. L'auberge donc, pourquoi pas, jsuis jamais rentrée là-dedans et puis j'aime bien cette enseigne, sa couleur, son clignotement flippant... Jpense qu'il faut que je soumette l'idée de la soirée épouvante à la prod, ça pourrait être marrant. Je ris intérieurement tout en poussant la porte de l'établissement. Déco hétéroclite, comme partout et je file me mettre dans un coin, laissant les personnes déjà placées sur les canapés seules, jsais pas tellement d'humeur à la parlotte. En plus, dans mon coin, y'a un billard et ça fait une plombe que j'ai pas joué. J'attrape la queue de billard, jm'amuse à la faire tourner entre mes doigts et me rend compte que seule, ça va être compliquée. Merde. Jm'adosse au mur, j'attends, réfléchit à la possibilité d'aller emmerder quelqu'un de l'autre côté. Mouais, pas trop envie. Et puis, comme si la providence avait eu pitié de moi, une brune rentre et se dirige vers mon coin. Adossée au mur, elle ne m'a certainement pas vue... « Tu sais jouer ? » dis-je en sortant de la pénombre, ma queue de billard dans la main.

On se croirait presque dans la vie réelle. La journée, la vie de la ville, du village, en tout cas, et le soir venu, c'était le bar. L'auberge, le bistrot, qu'importe le nom qu'on lui donnait en France, ou plus particulièrement dans cette région, et dans cette situation. Enfin, la vie réelle... Ismay, elle n'était pas tellement du genre à passer ses soirées voire ses nuits à panser ses plaies dans l'alcool. Franchement pas, non. Déjà adolescente, elle ne faisait pas partie de cette espèce de jeunesse dorée qui ne voyait rien d'autre que leur chope de bière et leur joint. Ses préoccupations avaient toujours été totalement autres, et devenue adulte, ça n'avait changé en rien. Toujours un peu déphasée, toujours un peu en marge, toujours un peu bizarre, elle ne buvait qu'occasionnellement. Pourtant, ça ne l'avait pas empêché de se diriger vers l'auberge, dont l'allure lui plaisait. Elle ne s'était pas encore attardée en son sein, et elle avait bien l'intention de percer le mystère qui entourait ces murs rongés par les lierres et cette enseigne lumineuse. Passant la porte, elle constata rapidement qu'elle n''était pas la seule à avoir eu la bonne idée de passer sa soirée là. Cela dit, c'était sans doute mieux, dans la mesure où se retrouver seule - vraiment seule, sans clients, sans barman - dans l'auberge aurait été un peu problématique, et ennuyeux, sans aucun doute. Jetant des coups d'oeil par-ci, par-là, elle se dirigea vers un endroit quelconque, qu'elle quitterait sans doute quelques secondes plus tard pour en visiter un autre. Alors que, le nez en l'air, elle observait une fissure qui sillonnait le plafond et le mur, une voix féminine l'interpella, la ramenant brusquement sur terre et manquant de la faire sursauter. Devant elle, se tenait une petite brune qui venait d'apparaître comme par magie. Bien que distraite, parfois, Ismay était absolument certaine que la fille ne s'était pas trouvée là, deux secondes auparavant. Son regard voyagea durant un temps entre la queue de billard qu'elle tenait dans la main et son visage. « Je me défends, mais sûrement pas assez bien pour gagner » qu'elle répondit, le plus sincèrement du monde. Comme à peu près n'importe quelle personne sur terre, elle avait déjà joué au billard, et suffisamment pour se permettre de se qualifier de "joueuse" et pas seulement de "élément passager". « Donc si tu as besoin de redorer ton blason, je suis la personne idéale » ajouta-t-elle en souriant. Autant la prévenir d'emblée, qu'elle ne s'attende pas à une as du billard contre qui elle pourrait relever le défi de sa vie.

Mon but n'était absolument pas de lui faire peur et honnêtement, je ne me doutais pas vraiment que dans mon coin, adossée au mur ainsi, on ne me voyait pas au premier abord. Pourtant, vu son regard et sa réaction, elle est surprise de me voir apparaître ainsi, comme sortie de nul part. Je souris, un peu, non pas que ça m'amuse ou me fasse plaisir, seulement par habitude certainement tout en agitant la queue de billard entre mes mains. Elle est d'ailleurs tombée à pic cette jolie brune alors que j'avais bien envie d'une partie et c'est pourquoi je ne perds pas de temps pour lui proposer une partie, histoire qu'elle ne s'évapore pas. On ne sait jamais, j'aurais pu réellement l'effrayer. L'avantage au moins, c'est qu'elle sait jouer mais rapidement, elle se dévalorise, pas très vendeur tout ça. « Jsuis pas non plus une championne, juste deux/trois parties entre potes de temps en temps, jpense que t'as toutes tes chances. » D'autant plus que je manque cruellement d'entraînement, n'ayant pas pratiqué depuis des années. Du coup, c'est le moment rêvé pour juger de mon niveau et de choisir une activité calme qui n'empirera pas mon état déjà bien entamé par le vin bien trop vieux du village. « J'ai pas besoin de gagner une partie pour redorer mon blason mais je suis partante quand même ! » C'est quoi cette idée ? Redorer son blason ? Nan, jsuis pas tellement du genre à me sentir mieux quand j'écrase les gens et démontre ma supériorité et les gens dans ce genre ne sont pas tellement ma tasse de thé. Je m'approche donc de la table, les boules sont déjà en place. Je passe une deuxième queue de billard à ma concurrente et récupère la craie bleue. Jme souviens plus tellement de quand on s'en sert mais tant pis, ça fait genre. « Qui commence ? » Si ça lui fait plaisir, je lui laisse la place...

Ainsi, la partie ne serait pas trop inéquitable. De là à dire que Ismay avait toutes ses chances... Cela dit, si elle était sur le point de jouer, là, tout de suite, ce n'était pas exactement pour lui mettre une raclée ou pour vérifier qu'elle était capable de battre quelqu'un. Si, comme tout le monde, gagner ne la laissait jamais sans satisfaction, elle était loin d'être de ces joueurs qui présentaient une véritable addiction à la victoire. Elle pouvait perdre sans se sentir mal durant des jours, sans avoir l'impression de ne rien valoir, tout comme elle pouvait gagner avec humilité. Peut-être même était-elle un peu trop désintéressée ce qui, au fond, ne la poussait pas à se donner à fond. Vaincre et perdre ne représentaient peut-être un peu trop que des mots, pour elle, ce qui pouvait se révéler être un mal. Plus encore, elle pouvait s'estimer plus gagnante que le vainqueur si elle avait, durant la partie, découvert une manoeuvre inédite et essayé de l'exécuter, par exemple. Ainsi, elle sourit en entendant sa camarade, pas plus enthousiasmée que ça en apprenant qu'elle avait de fortes chances de gagner face à Ismay. Et à force de sourire de cette façon, elle allait finir par avoir l'air d'une véritable débile. Il fallait qu'elle se calme, vraiment. Attrapant la queue qu'on lui tendait, elle s'approcha de la table de billard et s'appuya dessus. Secouant la tête, elle l'invita à jouer la première d'un simple « à toi l'honneur. » C'était un peu bête, mais elle adorait voir jouer le premier coup, au billard. La balle blanche percuter le triangle multicolore que constituaient le reste des boules et les voir expédier de tous les côtés sur le tapis vert. Laissant donc la brune se placer à son aise, se concentrer, et enfin, jouer, elle resta là, le regard braqué sur l'ensemble des boules. « Branca ! » s'exclama-t-elle alors. Branca ! C'était ainsi que s'appelait sa compagne, non ? Se rendant compte qu'elle venait de passer pour une dingue, elle jeta un coup d'oeil à Branca, donc. « Désolée, je veux dire, c'est ton prénom, c'est ça ? » s'expliqua-t-elle avec malgré tout le sentiment d'avoir l'air cinglée. « Ça vient de me revenir... C'est beau, ça a une origine particulière ? » C'était la vérité. Sans qu'elle ne cherche à remettre le doigt sur son nom, le voilà qui avait surgit sans prévenir dans ses pensées.