Lukas

Je n'étais pas très friand de littérature, à la base, mais j'avais grandement besoin de me vider l'esprit. J'avais encore du mal à m'habituer à la vie en communauté, mais j'allais bien devoir m'y faire de toute manière... Je m'étais alors dit que la bibliothèque était un endroit calme et paisible, idéal pour faire le point et se relaxer. Après avoir franchi la porte de cette imposante salle remplie de bouquins, je me dirigeai vers une étagère, saisis un livre au hasard et pris place sur un fauteuil non loin de moi. Je commençai alors à feuilleter le livre que j'avais dans les mains, lorsque j'entendis des pas s'approcher de moi. Dans une salle aussi grande, la résonance se faisait entendre et j'me demandais bien qui avait eu la même idée que moi, à savoir venir à la bibliothèque en plein après-midi au lieu de profiter des autres pièces du nid. Je me levai pour voir de qui il s'agissait, et tombai nez-à-nez avec un autre candidat. Je ne me rappelais plus de son nom, en fait, mais je l'avais remarqué lors du prime : un aveugle dans une telle émission ne passe jamais inaperçu. « Hey mec ! Alors comme ça on visite les lieux ? Heu, j'ai pas vu de livres en braille perso... » Et allez, encore une gaffe à la Ruben. Décidément je les collectionnait. Je n'avais pas été très fin, et sur le coup cela m'ennuyait un peu pour lui. « S'cuse. Je voulais pas me moquer de toi, hein. C'est juste que j'ai encore du mal à me faire à l'idée qu'un aveugle ait décidé de participer à cette émission tu vois... Mais heu sinon, c'est très bien. Je trouve ça même cool. » Ouais, c'est vrai que ça devait être VACHEMENT SYMPA de perdre la vue. Allez Ruben, ferme la une bonne fois pour toute. Ce que je pouvais être con, parfois... C'était rien de le dire. V'la l'impression que j'ai du faire à l'aveugle, avec mes conneries.

Les journées se ressemblaient presque. Renfermé, réservé, timide de nature depuis l'arrivée de mon handicap, j'avais beaucoup de mal à aller vers les gens. Je n'étais pas comme Moore, je n'avais pas un franc parlé aussi incroyable ni une confiance en moi débordante. J'étais simplement moi et alors que je marchais dans le château à la recherche d'une occupation quelconque, je passais devant la bibliothèque. Je m'arrêtais devant lorsque je constatais des bruits de pages qui tournaient. J'entrais finalement dans ce lieu. « Hey mec ! Alors comme ça on visite les lieux ? Heu, j'ai pas vu de livres en braille perso... » Je m'installais sur un canapé, tout en pliant ma canne en quatre. Je la posais sur la table. « S'cuse. Je voulais pas me moquer de toi, hein. C'est juste que j'ai encore du mal à me faire à l'idée qu'un aveugle ait décidé de participer à cette émission tu vois... Mais heu sinon, c'est très bien. Je trouve ça même cool. » Je ne voyais pas trop où il voulait en venir me je laissais terminer. Il m'amusait. « J'ai juste toujours aimé l'odeur des bouquins. Même si je ne peux plus en lire, ça me rappelle quelques souvenirs. Et toi tu feuilletais quoi ? Car je n'ai pas l'impression que tu lisais un livre en particulier vu à la vitesse où tu tournais les pages. »

Bon ça va, visiblement ma petite remarque avait plus amusé l'aveugle qu'autre chose. Celui-ci sembla nostalgique en évoquant les livres qu'il ne pouvait malheureusement plus lire. Si d'habitude je n'étais pas du genre à me morfondre sur les malheurs des autres, je devais bien reconnaitre que ce jeune homme n'avait vraiment pas eu de chance. Il m'intriguait, d'ailleurs. « J'ai juste toujours aimé l'odeur des bouquins. Même si je ne peux plus en lire, ça me rappelle quelques souvenirs. Et toi tu feuilletais quoi ? Car je n'ai pas l'impression que tu lisais un livre en particulier vu à la vitesse où tu tournais les pages. » C'était tout à fait exact. Si j'avais eu un quelconque intérêt pour la littérature, cela se serait su. Ce n'était pas le cas, loin de là. Pour tout dire, je n'avais jamais été un élève bien brillant et tout ce qui se rapportait au savoir et à la culture me passait au dessus de la tête. « T'as vu juste mon pote. Vois-tu, lire n'est pas vraiment l'une de mes passions dans la vie. Je lis seulement quand je m'emmerde, où quand j'ai envie de faire croire que j'ai un minimum de culture. Là en l'occurrence je suis filmé, donc c'était l'occasion rêvée pour ça, mais je viens de me faire griller. » De toute manière qui aurait cru à ça ? Les téléspectateurs ne sont dupes de rien. C'est écrit sur ma tronche que les livres et moi ça fait deux. Quitte à casser l'ambiance, j'avais bien envie d'en savoir un peu plus sur ce mystérieux jeune homme. « J'espère ne pas être trop indiscret en te demandant ça, mais... comment ça t'est arrivé ? Je veux dire, comment t'as perdu la vue au juste ? » J'aurais très bien pu comprendre qu'il ne souhaite pas me répondre, car c'était sans doute un évènement qu'il se passait bien de raconter. J'étais peut être trop curieux, en fait.

Un aveugle dans une bibliothèque. Étrange, n'est-ce pas ? Je dirais même que c'était inhabituel. Pourtant, j'étais bien assis dans l'un des fauteuils de cette pièce. A croire que j'étais peut-être fou de penser que je pourrais lire ici. C'était une idée incroyablement absurde, vous ne trouvez pas ? C'est bien ce que je pensais. Pourtant, j'étais ici non pas pour la lecture mais par la présence de l'un des candidats qui ne semblait pas plus amateur de livre que moi. Cet homme m'amusait. De part sa voix ou même l'odeur de son parfum, je ne le reconnaissais pas et il m'amusait. Je ne savais pas pourquoi mais c'était ainsi. Il disait que je l'avais grillé et j'étais sûr qu'une personne voyante n'aurait jamais fais une telle remarque car elle ne se serait jamais concentré sur le bruits des pages qui tournaient. Être aveugle pouvait aider parfois. En de rare occasion, cela permettait réellement de comprendre ce qui n'allait pas alors que la personne en question tentait de cacher son malaise. « J'espère ne pas être trop indiscret en te demandant ça, mais... comment ça t'est arrivé ? Je veux dire, comment t'as perdu la vue au juste ? » Si j'avais gagné 10 000 euros à chaque qu'on me posait cette question, j'aurais déjà hérité de 20 000 petites pièces jaunes. Je rigolais légèrement avant de me morfondre subitement sur la dernière chose que j'avais vu. « J'avais 9 ans quand c'est arrivé... Et, je... Voilà. » Je me renfermais comme une huitre. Je n'aimais pas parler de ce passage de ma vie. C'était revenir sur un évènement tragique que j'aurais préféré oublier.

Quand j'étais intrigué par une personne, je tentais toujours d'en savoir un peu plus sur elle quitte à me montrer un petit peu indiscret ou insistant. Là, en l'occurrence, l'aveugle avait quelque chose de bien particulier, à part bien sur que contrairement à moi il ne voyait pas. Debout devant lui, je pris un air interrogateur avant de prendre conscience que, après tout, il ne pouvait voir la tête que je faisais. Je l'avais questionné sur son passé, mais surtout sur les circonstances du drame qu'il avait vécu, à savoir perdre la vue. « J'avais 9 ans quand c'est arrivé... Et, je... Voilà. » Je pris rapidement conscience que ma question était peut être trop personnelle. Il semblait mal à l'aise, et renfermé sur lui-même après y avoir répondu. Sur le coup, je me sentis idiot. « Mon pauvre je te plains. Certains aveugles de naissance vivent très bien leur handicap, mais pour les personnes qui ont vu pendant des années et qui ont perdu la vue subitement, ce doit être terrible. Mais bien sur je peux pas savoir ce que ça fait. » Il était toujours plus facile de se passer d'une chose qu'on avait jamais connu, plutôt que de perdre celle-ci d'un jour à l'autre. Le passé de Lukas était d'autant plus atroce qu'il n'était qu'un enfant au moment du drame. Moi qui manquait parfois cruellement de compassion, je sentis pourtant ma gorge se resserrer. J'avais limite la larme à l'œil. Malgré tout je continuais de penser que ce jeune homme cachait quelque chose de louche. Mais impossible de savoir quoi, à ce stade de l'aventure... « Tout ça me fait penser que moi aussi, un jour, j'ai bien faillit perdre la vue. Enfin un œil, pour être plus précis. Pour résumer, disons que je déconseille à tous les gamins de jouer avec leur compas... Un accident est si vite arrivé. » Je faisais référence à un petit incident qui m'était arrivé adolescent, lorsque j'étais un vrai môme à problème. Cela m'avait servi de leçon, car après ça je n'ai plus jamais touché un compas. Pourquoi est-ce que j'avais sorti cette anecdote ? Allez savoir. Peut-être pour décontracter un peu l'atmosphère.

Je restais silencieux. Cette question m'avait mis mal à l'aise et je m'était renfermé sur moi-même. J'étais devenu muet. Je ne disais plus rien. Je me recroquevillais sur le canapé lorsque l'homme en question commença à parler.Je l'écoutais tout en me demandant ce qu'il se serait passé si j'avais été aveugle de naissance et si je n'avais pas perdu la vue, tout simplement. Ma vie aurait-elle été différente ? Mes amis se seraient-ils ligués contre moi ? Je soupirais. Le silence - mon silence - était toujours présent. Je ne disais plus rien. Et si l'intention du candidat était de rendre la situation bien mieux qu'elle ne l'était, il se trompait. Il était sympa. Je ne pouvais pas le nier Mais j'aurais aimé au moins parlé une fois d'autre chose que ma cécité. Certes, c'était ce qui faisait de moi un être unique dans le château, mais je préférais parfois cela devenait lourd à porter. Ici, en cet instant, j'avais juste besoin de penser à autre chose, de m'évader de ce monde pour ne plus penser à rien. Je voulais être transporté dans une histoire, dans un conte où tout se terminait bien à la fin. « Dis, heu... » Je cherchais son prénom mais je ne le connaissais pas. « Tu pourrais me lire un conte des frères Grimm. Si t'as le temps, bien évidemment. Je ne veux pas t'en faire perdre à cause d'une envie passagère. » J'étais gêné de lui demander de me lire une histoire. On aurait dit un gamin devant ses parents. C'était horrible comme situation mais je ne pouvais faire autrement.

J'avais carrément cassé l'ambiance, avec mes questions à la con. De toute évidence, le jeune aveugle était plus que mal à l'aise d'évoquer avec moi ce douloureux moment qui lui avait fait perdre la vue. Il fallait dire que je m'étais montré quelque peu indiscret, et l'anecdote que je lui avais confié après n'était pas pour le mettre plus à l'aise. Durant quelques instants, un silence se fit entendre. Silence durant lequel je me sentais moi aussi terriblement mal à l'aise, en le voyant se refermer sur lui-même. Je n'attendais qu'une chose, que l'un de nous deux brise ce silence. Mais je ne savais trop quoi dire. Heureusement, Lukas le fit pour moi. « Dis, heu... » Ah oui, c'est vrai, avec tout ça il ne connaissait même pas mon nom. « Appelles moi Ruben. » Quant à moi, je m'étais souvenu de son prénom. « Tu pourrais me lire un conte des frères Grimm. Si t'as le temps, bien évidemment. Je ne veux pas t'en faire perdre à cause d'une envie passagère. » Alors ça, je ne m'y attendais vraiment pas. Mais c'était touchant, quand même. Pour une fois, j'avais l'impression de pouvoir servir à quelque chose. Ça me fit plaisir qu'il me demande ça à moi, un mec qu'il connaissait à peine. « Bien sur, vieux ! Alors attends un peu... Ah ! "La lumière bleue", je l'ai sous la main. Bien, commençons. » Il y avait justement un conte des frères Grimm pas très loin de moi. Après l'avoir saisit de mes mains, je l'ouvrai et en commençai la lecture. « Il y avait une fois un brave soldat, nommé François, qui pendant plusieurs années avait combattu dans bien des batailles et avait toujours fait son devoir. Mais lorsque la paix fut conclue et qu'il fut congédié avec la plus grande partie de l'armée, on ne lui accorda pas la moindre pension ; il alla trouver le roi et il réclama contre cette injustice. Mais Sa Majesté, qui avait besoin de beaucoup d'argent pour bâtir un magnifique palais, l'envoya promener. " Tu me le payeras peut-être un jour ", se dit le soldat, (blabla ... blabla) Il n'y eut que le roi qui, meurtri de coups, ne pouvait se sauver , alors il demanda grâce à François, qui la lui accorda sans conditions. Le roi alors se piqua d'honneur et il donna à François la princesse en mariage. » La lecture achevée, je renfermai maintenant le bouquin. En espérant que celle-ci lui eut plu, d'ailleurs. J'avais jamais eu beaucoup de prestance à l'oral... Enfin bon il me semblait quand même avoir été compréhensible.

Ruben. Il s'appelait Ruben. J'avais légèrement hésité avant de répondre ma question et il avait très bien compris d'où venait mes doutes. C'était une demande assez spéciale que je lui faisais. De toute manière, tout ce qui venait de moi était anormalement inhabituel. Avec Moore, j'avais demandé à toucher son visage et avec Breathe, je lui avais demandé de me décrire le paysage que l'on pouvait voir des falaises. Tout sortait de l'ordinaire avec moi. « Bien sur, vieux ! Alors attends un peu... Ah ! "La lumière bleue", je l'ai sous la main. Bien, commençons. » Je m'installais confortablement dans le fauteuil où j'étais et j'écoutais avec une oreille attentive les paroles de Ruben. Il referma le livre. Le conte était terminé. Je soupirais. J'aurais voulu que ce moment dure encore un moment. « Merci. » Lui dis-je simplement.