► Le 25 janvier, 16h35, en compagnie de Jackson.
Armée d'une fidèle cigarette, Síomha était en pleine exploration. Elle n'avait pas jugé utile, jusque-là, d'aller se faire chier à se cailler les miches à l'extérieur. Les murs du château rendaient l'habitacle suffisamment froids comme ça, elle n'avait pas besoin de pire. De plus, et ce détail avait son importance: elle n'avait pas de manteau. Elle ne comptait pas se balader en petit pull dans le froid. Puisqu'elle n'avait pas pour but de finir dans son lit, à moitié crevée. C'est compréhensif, n'est-ce pas? Sauf qu'elle en avait ras-le-cul des attitudes puériles des autres candidats et décida de sortir malgré la pluie et le vent incontrôlable. Cela ne l'empêcha pas d'allumer une clope. Qui était le seul espoir pour elle de survivre dans ce monde cruel. Ne sachant pas où elle pourrait poser son cul, elle vagabondait sans grande conviction, trainant les pieds. Bien vite, sa cigarette fût consumée. Elle la jeta au sol, ramenant ses deux mains dans les poches avant du manteau qu'elle avait piqué à une pouffe qui pensait être intéressante. Arrivée près des falaises, elle fixa son regard sur l'horizon. Le vent soufflait fort dans sa chevelure, la mettant en désordre et l'étirant vers l'arrière. Les gouttes d'eau semblaient se faire plus insistantes, comme si elle souhaitait absolument rentrer en contact avec la peau de Síomha. Et malgré le bruit des vagues qui s'écrasaient contre les rochers, elle pouvait clairement entendre quelqu'un arriver dans son dos. Encore un chieur qui allait lui taper la causette comme si elle était intéressée par les merdes qui rythmaient sa vie. S'il commençait à parler, elle ferait mieux de sauter. Ou de le pousser dans le vide. Au choix.

Les falaises. Bon sang que ça devait être haut quand même. Genre vraiment haut. Fort heureusement, Jackson n'était pas de ces petites natures qui ne pouvaient pas monter à plus de quatre mètres d'altitude, non. Lui, ça lui plaisait bien la hauteur. Le vertige, il connaissait pas. Et franchement, ça le faisait toujours doucement rire quand quelqu'un en souffrait. C'était peut être cruel et con, mais c'était ainsi. En ce jour, le grand blond s'était donc rendu sur les dites falaises. Et, effectivement, c'était relativement haut. Parfait. Seul petit bémol : la météo. C'était franchement détestable comme temps. En tout cas lui, il détestait ça. Le froid, le vent et la pluie qui commençait à faire sa chieuse, ça allait vite le gonfler. D'ici quelques années, il en viendrait probablement à contrôler la météo, mais d'ici là, il lui fallait s'en accommoder. Fait chier. Faisant quelques pas vers le bord, il aperçut très vite une jeune femme qui se tenait dos à lui. Sans se demander si sa venue pouvait éventuellement déranger la demoiselle, il s'approcha d'elle. Entre nous, il s'en fichait pas mal. D'habitude, c'étaient les autres qui le faisaient chier, et pas l'inverse. Quoi que, si vous interrogiez les gens qui l'entourent, vous auriez probablement droit à une autre version. Mais qu'importe. « Fais pas attention à moi, je viens simplement me suicider. » Voilà, au moins, c'était clair. De cette façon, il testerait la proposition fort intéressante d'Evey, sa partenaire. Celle-ci lui avait en effet conseillé de mettre fin à ses jours en sautant de ces falaises. Espérons qu'il n'en réchappe pas, ce serait franchement con. Mais il n'était pas contre attirer une jolie blonde dans sa chute, histoire d'avoir un peu de compagnie en enfer, vous savez.

L'horizon avait quelque chose d'impressionnant. C'était majestueux, immense. Rien ne semblait pouvoir arrêter les vagues. Elles s'échouaient inlassablement en contre-bas. Encore et encore, une nouvelle vague venait s'écraser sur les roches. C'était inévitable. Et en ces temps de merde, la mer semblait d'autant plus en colère. Ce qui donnait l'envie à Síomha de la défier, afin de voir qui était la plus forte des deux: la nature ou la belle. Elle se doutait qu'elle ne ferait pas long feu, qu'elle se ferait engloutir en deux minuscules secondes. Surtout si on prenait en compte le fait qu'elle ne savait pas nager. Quoique, ce n'était qu'un détail sans importance. L'humain contre la nature. Et l'humain pensait toujours bêtement qu'il était le plus fort. C'était terriblement idiot. Elle fût coupée dans son raisonnement philosophique par un grand blond prétextant vouloir sauter afin d'en finir avec la vie. Tant mieux pour lui. Elle se recula de deux pas et ponctua son geste d'un: « Dépêche-toi, j'ai autre chose à faire. » sur un ton particulièrement las. S'il souhaitait sauter, elle n'allait pas l'en empêcher. Il était sans doute assez grand pour prendre ses propres décisions et si le suicide semblait être une bonne option, alors, qu'il fasse. Ouais, elle s'en foutait, et alors? C'était pas son problème s'il était tellement lâche qu'il souhaitait se tuer. Et tellement con qu'il prenait la pire méthode qui soit pour cela. Arrivé à deux mètres des rochers, il prierait pour ne pas mourir, c'était certain. Il regretterait soudainement son geste stupide. Oui, étrangement, Síomha pensait que c'est une fois qu'on a vu la mort en face qu'on a le plus envie de vivre.

Vivre ou mourir, une question existentielle, n'est-ce pas ? Il n'était pas donné à tout le monde de faire un choix, d'ailleurs. Seuls les plus courageux - ou les plus lâches, à vous de voir - en avaient la possibilité. Comme Jackson à cet instant précis. Bon, il était sans doute utile de rappeler qu'il n'avait en réalité aucune envie de se jeter de ces falaises. Et pour cause : il aimait la vie. Ou du moins, il aimait SA vie. Bon sang qu'il s'y plaisait, soyez en sûrs. Il était riche, plutôt bien entouré, exerçait un boulot tranquille et sa vie sexuelle n'avait rien à envier à celle de Cristiano Ronaldo. Ainsi, il n'aurait pas la moindre raison de se foutre en l'air. Si ce n'est peut être le fait d'avoir réalisé combien certaines personnes peuvent être connes et sans le moindre intérêt. Ici, par exemple, nombreux étaient celles et ceux qui l'indifféraient au plus haut point. Et, du point de vue de Jackson, il valait encore mieux qu'il vous déteste plutôt qu'il ne vous porte pas le moindre intérêt. Quant à la jolie blonde qui se trouvait à coté de lui, il était perplexe. Était-elle comme les trois quarts des candidats du nid ? Il ne l'espèrait pas. Auquel cas il n'aurait d'autre choix que de la jeter d'ici elle aussi. Ce ne serait qu'un bienfait pour la société, et loin d'être une perte. « Bah vas-y, vas donc jouer les allumeuses auprès de ces imbéciles profonds. » Il fallait avouer qu'elle avait un peu le physique de l'emploi, quand même. Alors, certes, ça n'était pas beau de juger quelqu'un sur son unique physique, mais c'était pourtant bien le genre de Jackson. Et n'allez surtout pas croire qu'il était vexé qu'elle l'ait incité à commettre ce suicide, hein. Ça n'était absolument pas un problème d'égo. Non, pas du tout.

Bon, alors. Il sautait ou il sautait pas? Elle n'avait pas toute la journée. Plus vite il commettrait son acte désespéré, plus vite elle pourrait penser à autre chose. Tout le monde finissait gagnant au fond: il exauçait son vœu le plus cher et elle était débarrassée d'un crétin. Un à terre, plus que trente-trois à supporter. Elle voyait les secondes défiler comme si une horloge se trouvait devant ses yeux et la narguait d'un tic tac agaçant. Et il ne se passait rien. Il ne sautait pas. Ne bougeait pas d'un centimètre. Rien. Il se contenta d'ouvrir la bouche. Pour critiquer, non seulement, son côté allumeuse, mais aussi les autres candidats. Soyons clair, elle se fichait éperdument des insultes qu'il pouvait proférer. Sur elle autant que sur les autres. C'est d'ailleurs bien pour cela qu'elle garda son air passif, ne daignant même pas soulever un sourcil. Il pouvait désapprouver son comportement aguicheuse, ça ne la blesserait pas. « Bonne idée. Je commence sérieusement à être en manque. Tu n'aurais pas repéré un mec avec un bon paquetage dans le caleçon, par hasard? Quitte à crier, autant crier fort. » Sa voix lisse ne trahissait aucune émotion – il n'y en avait aucune à exprimer – et sans aucune trace d'une quelconque gêne face à l'évocation de sa vie sexuelle, elle regarda son camarade, placide. Elle passa une main dans sa longue chevelure blonde, coinçant une mèche derrière son oreille pour éviter qu'elle s'envole de nouveau, avant de détourner les yeux vers le spectacle silencieux que lui offrait la mer.

Certes, Jackson n'avait eu aucune raison valable de critiquer la jeune femme qui se tenait à coté de lui, déjà parce qu'il ne la connaissait pas, et aussi parce qu'elle ne lui avait rien fait. Et pourtant, il s'était permis de la juger le plus gratuitement du monde. De toute manière, il était comme ça. Souvent tout un tas de conneries sortaient de sa bouche, et ça lui plaisait bien. Il en venait à penser qu'inconsciemment, son esprit s'en prenait à ceux qui ne valait pas la peine d'être mieux considérés. Ainsi, il n'avait jamais aucun problème avec sa conscience. C'est bien simple, il n'en avait aucune. Comme ça c'était réglé. Et si vous comptiez sur lui pour s'excuser des paroles qu'il avaient eu vis à vis de sa camarade, sachez que votre crédulité vous perdra. « La seule chose que j'ai repéré, c'est une belle brochette d'abrutis probablement asexués. » De toute manière, il n'avait pas pris un seul instant pour s'intéresser véritablement aux candidats masculins. Il ne savait même plus si c'était son dégout ou son indifférence vis à vis d'eux qui prenait le dessus ici. Probablement qu'ils se valaient plus ou moins. Jackson resta ensuite silencieux quelques minutes. Il observa la grande blonde, avec un air suspicieux. « Et quel nom peut bien porter la bimbo du coin ? » Entre nous, elle n'était certainement pas la seule bimbo au sein de cette aventure. Mais puisqu'il l'avait sous le coude, autant en profiter. Et puis, il était curieux de mettre un nom sur un visage, tout de même. Ou plutôt un nom sur un cul. Que voulez-vous, on ne se refait pas.

Non, mais elle était sérieuse. Si ses petits yeux experts pouvaient lui donner l'adresse d'un mec sexy qui sait y faire au lit, elle ne dirait pas non. Comment pourrait-elle tenir dans ce château? Avec ces gens? Si elle ne pouvait pas se détendre un peu en baisant? Non, impossible. Elle ne pourrait pas tenir. C'est possible de faire venir des mecs de l'extérieur, qui sont prêts à l'emploi, en sacrifiant un peu de sa cagnotte? Tiens, elle devrait en discuter avec l'ange joufflu, peut-être qu'il y aurait moyen de faire quelque chose. Toujours est-il que le jeune homme n'avait pas tort. Le casting comportait une bonne dose de crétins se pensant intéressants. Comme si être dans une émission de télé-réalité les rendait tout de suite plus intéressants ou plus intelligents. C'était loin d'être le cas. Et ils devraient, tous autant qu'ils sont, penser à ne plus jamais parler. Ça ferait du bien aux oreilles de cette pauvre Síomha. Comme s'il avait entendu ses pensées, son camarade la ferma. Magnifique. La belle continua d'observer l'horizon, sans aucune attention au jeune homme qui restait planté là, lui aussi. Elle ferma les yeux en sentant une bourrasque de vent tellement forte qu'elle aurait presque pu l'emporter. Lorsqu'il reprit la parole, elle ne daigna pas soulever les paupières. Bimbo? Ouais, elle avait eu pire, niveau insulte. « Síomha. » se contenta-t-elle de dire. Peut-être s'attendait-il à ce qu'elle s'appelle Candy ou Cherry. Et il faut avouer que dans une autre vie, elle s'appelait sûrement de la sorte. Mais pas ici. Son prénom, typiquement irlandais, était tout à fait normal.

Une fois de plus, l'intuition de Jackson s'était vérifiée. Cette grande blonde avait tout de l'allumeuse professionnelle. Non pas que cela lui déplaise, à lui, parce qu'à vrai dire il s'en fichait. Il plaignait simplement les pauvres types qui ne parvenaient à mettre dans leur lit que des filles faciles, comme elle semblait l'être. Lui, c'était tout une autre histoire. Il n'aimait pas la facilité. Il préférait l'inaccessible, les filles plus difficiles à courtiser. Et si par le passé les petites chaudasses lui avaient bien tenu compagnie, il préférait à ce jour les éviter. Toutefois, leur faire la conversation n'était pas exclu. Histoire de voir si elles avaient au moins un cerveau. Pour le coup, la blonde à ses cotés semblaient en posséder un. Ou du moins, elle était capable d'aligner quelques mots pour former une phrase, voire plusieurs. Trop forte, hein. Et lorsqu'elle déclina son identité, à la demande de Jackson, celui-ci lança : « Joli prénom. » Que les choses soient claires, ce n'était pas dans ses habitudes de reconnaitre l'harmonie d'un prénom. Mais là, il devait reconnaitre que celui-ci sonnait bien. De plus, il était assez original. Bien plus original que le sien, d'ailleurs. « Moi c'est Jackson. » Elle ne lui avait pas demandé, certes, mais il avait cru bon de se présenter lui aussi. C'était la moindre des choses après tout. Mettant ses mains dans ses poches, Jackson recula de quelques pas. Comme si il renonçait finalement à sauter des falaises. De toute manière, ce n'est pas comme si il l'avait sérieusement envisagé, hein. Reportant son attention sur sa camarade, il demanda : « Et qu'est-ce que tu es venue faire ici ? » Non pas que ça l'intéressait vraiment. C'était juste histoire de parler. N'allez surtout pas croire qu'il pouvait porter un quelconque intérêt à la triste vie d'une bimbo. Ciel, non.

Joli prénom. Mouais. Ce n'était qu'un dérivé d'un autre prénom qui voulait dire « bonne paix ». C'était un prénom pris au hasard dans un de ces bouquins que les femmes enceintes achètent. Un prénom, pioché dans une liste, qu'on lui avait donné. Il ne la caractérisait pas. Elle n'en avait pas l'impression, en tout cas. Ça importait peu, de toute façon. Ce n'était qu'un prénom. Il pensa bon de se présenter à son tour. « Tant mieux pour toi. » lança-t-elle d'un ton détaché. Elle s'en foutait de son prénom. Elle ne le retiendrait pas, de toute façon et il finirait par être surnommé par la blonde, quoi qu'il fasse. Et visiblement pas décidé à se taire (Tout le monde parle tout le temps ici. Tout le temps. C'est affligeant), il lui demanda le pourquoi de sa présence. Qu'est-ce que ça pouvait faire? Elle était, là, non? C'était déjà pas mal. Pourquoi devrait-elle se justifier? Oh, c'était sans doute un moyen pour « faire connaissance ». Si seulement tout le monde voulait bien se mettre dans le crâne qu'il y a bien d'autres moyens pour cela, des moyens qui n'impliquent pas la parole. Non, ça n'implique par non plus de se mettre à poil, bien que c'était une très bonne façon quand même. Bref, personne ne semblait décidé à le comprendre. « Rien. » souffla-t-elle alors. Il pouvait parler du jeu ou tout simplement des falaises. Mais sa réponse couvrait les deux éventualités. Elle n'était pas dans ce jeu pour l'argent. Ni pour l'amour. Ni pour la notoriété. Pour rien. Ou peut-être seulement pour des raisons qu'elle ne souhaitait pas invoquer. Et sa présence en cet endroit n'avait pas grand raison non plus. Elle était là, l'espace d'un instant. C'était tout. Elle était juste là.

Okay, les présentations étaient faites. Il se coucherait moins bête ce soir, c'était certain. Et d'ailleurs, l'espace d'un instant, Jackson songea à quitter les falaises pour vaquer à d'autres occupations. Mais il resta finalement là, en compagnie de l'énigmatique Siomha, dont il oublierait très certainement le prénom d'ici une vingtaine de minutes. Que voulez-vous, dès qu'un prénom devenait un tout petit peu compliqué à prononcer, il finissait par abandonner. Ainsi, qu'elle ne s'étonne pas si un jour ou l'autre il se contentait de la surnommer « poupée », « ma belle », « meuf » ou encore « blondinette. » Quoi que le dernier fasse un peu enfantin, tout de même. Et vu les arguments physiques que semblait posséder la jeune femme - oui, il s'était permis de regarder - cela ne lui correspondrait sans doute pas tellement. En attendant, Jackson s'était permis de demander à la jeune femme ce qu'elle pouvait bien être venue faire ici. Par là, il se demandait pourquoi elle était venue sur les falaises. Mais, en y réfléchissant bien, il aurait tout aussi bien pu vouloir connaitre les raisons de sa venue dans un tel jeu. Mais, visiblement, la discussion n'était pas son fort à la blonde. « Quelle bavarde tu fais » lança alors Jackson, sur un ton bien évidemment ironique. Si elle ne voulait pas parler, très bien. Alors qu'ils ne parlent pas. Toujours les mains dans ses poches, Jackson fit quelques autres pas, s'éloignant de plus en plus du bord des falaises. Le vent commençait à souffler sérieusement, alors autant ne pas risquer un bête accident. Si elle voulait s'écraser comme une pierre en bas des dites falaises, ça la regardait. Mais lui n'était pas aussi suicidaire qu'il avait pu le faire croire. Eh non.