W/ LÉONIE
jeudi 16 février, 13h

Le sport c'est important. Parait-il. C'est ce que les parents disent, en tout cas. Ils aiment peut-être ça, claquer des centaines de thunes par ans dans les diverses activités inutiles de leurs gosses. Alors qu'ils pourraient simplement leur payer un vélo ou les envoyer faire des randonnées dans les bois. Mais bon, au final, quelle que soit la méthode, ça revenait au même. Un esprit sain dans un corps sain. Pour être honnête, pas sûr que cette maxime soit totalement vraie. Suffit de voir le monde du foot. Ces connards ont beau avoir la partie "corps" irréprochable, ça ne les empêchait pas d'être de vrais kékés assoiffés de blé et de bling bling, tous autant qu'ils sont. En athlétisme, par exemple, ils étaient déjà un peu plus respectables. Un peu. Certains. Bref, Milan, lui, avait toujours aimé se dépenser. Se sentir exténué après un effort intense lui donnait l'impression d'avoir fait quelque chose de sa journée, et il adorait ce sentiment. S'il pouvait choisir entre rentrer chez lui en bus ou à pieds, il n'hésitait pas une seconde pour une petite balade en ville. C'est donc sans maugréer qu'il se rendait dans la salle de sport du château. Il devait bien y avoir un tapis de course libre ou quelque chose comme ça. Parce que bon, la gonflette et les instruments juste bons à vous faire gagner du muscle et perdre en même temps de la crédibilité, très peu pour lui. Son casque posé autour du cou et son iPod en main, il passa la porte et fit quelques pas dans la pièce avant de s'arrêter net. « C'est une blague. » Le regard vrillé vers le sol, il constata avec horreur que quelqu'un s'était amusé à repeindre la moquette de... vomi ? Un air de dégoût se peignit sur son visage. Putain, non, dégueu. Dans son dos, alors, le bruit de la porte qui claquait, et il tourna la tête. Une nana arrivait et ne semblait pas avoir remarqué la flaque de pâtes mal digérées. Faut dire que la système de ventilation faisait bien son boulot et avait totalement masqué l'odeur. C'était déjà ça. Gentleman, comme toujours, Milan lui attrapa le poignet et la fit s'arrêter. « Si j'étais toi, j'irais pas plus loin » dit-il d'un air entendu, nez plissé, désignant le carnage d'un signe du menton.

Je n’en pouvais plus. J’allais devenir folle. Vraiment très folle. J’avais fait le tour du nid des millions de fois, mais il était clair que la vue ne changerait jamais. J’aimais le changement, surtout quand il était minime, je m’amusais alors à le détailler de fond en comble. Ca pouvait être un nouveau rideau dans un appartement, un nouveau venu dans le quartier, un changement de moto pour l’un, une nouvelle coupe de cheveux pour l’autre. Mais là, rien. Toujours la même chose avec la même singulière linéarité. Et ça devenait extrêmement épuisant. En colère, désabusée surtout, je rentrais dans le château. Je remarquais alors avec ironie que c’était pire ici. Mais soit. Peut-être que j’étais si désabusé aujourd’hui parce qu’inconsciemment je m’étais isolée. C’était sûrement ça, d’ailleurs. La solitude m’allait assez mal, il faut croire. Être à l’intérieur me remplit d’aigreur. J’avais vraiment besoin d’une activité pour ne pas ruminer toute seule dans mon coin. Forte de cette décision, je me changeais vite fait, mettant des habits plus appropriés à une activité sportive – soit un jogging tout ce qu’il y a de plus classique – et je me traînais jusqu’à la salle de sport. Mais alors que je fermais la porte et m’avançais dans la salle sans trop regarder, je fus arrêtée par une main agrippant mon poignet. Je fronçais les sourcils, et dévisageais l’inopportun. Je suivis son regard et constatais, qu’en effet, mieux valait ne pas aller plus loin. Je fronçais le nez, mon expression ressemblant étrangement à la sienne. « Dis, c’est pas le plat de pâtes qui trainait encore ce matin dans la cuisine ? » Ca y ressemblait. La personne n’avait apparemment même pas pris la peine de mâcher avant d’avaler. C’était franchement immonde. Et moi qui pensais que les gens avaient un minimum de savoir vivre … « C’est juste atrocement écœurant. Et il s’imagine quoi ? Que d’autres vont nettoyer à sa place ? » J’étais vraiment exaspérée sur ce coup-là. A croire que certains n’avaient pas l’habitude de vivre en communauté.

C'était quand même un peu con, ils étaient tous les deux là, en train de fixer une marre de vomi comme si le petit Jésus venait de renaître sous leurs yeux ébahis. Cela dit, ils devaient sans doute, l'un comme l'autre, tenter de déchiffrer l'identité du coupable et imaginer mille et unes tortures pour le punir de cet affront. C'était en tout cas ce que faisait Milan. Plus ou moins. « Je veux même pas le savoir... » S'il y avait bien un truc que Milan ne supportait pas, c'était bien le vomi. Sérieusement. la jambe arrachée, le cerveau qui sort, un cheval coupé en deux, pas de soucis. Mais de la gerbe. Il avait toujours détesté être malade. Bah. Chacun ses objets de dégout, ma foi. « On dirait » finit-il par admettre. Non mais tout de même. Ne pas avoir le temps de courir jusqu'aux toilettes, ça pouvait arriver à tout le monde, mais tout déballer, et tout laisser tel quel, mouais bof. Secouant la tête, il ricana un instant l'air sombre. « Ils peuvent danser sur leur tête, c'est hors de question que j'touche à ça. » Rien ne le ferait changer d'avis, oh ça non. Lâchant finalement le poignet de la fille - Léonie, c'est ça ? - qu'il avait gardé entre les doigts sans y penser, il partit sur la gauche et s'arrêter devant un tapis de course, qu'il commença à régler. « J'vais plutôt réfléchir à l'identité de l'être répugnant qui a laissé son empreinte là » autrement dit, si tu sais quelque chose, c'est le moment de l'avouer « non, non, oublions cette chose, finalement » fit-il alors, secouant vaguement la tête. Drôle de situation, tout de même. Lancer une première conversation autour d'un vomi? Faut croire que c'était possible.

Il semblait encore plus dégoûté que moi. Ou alors nous étions au même niveau de répugnance. J’étais toujours en train de fixer ça, bêtement, comme si j’attendais patiemment que ça se nettoie tout seul. Sauf qu’aucun être supérieur ne semblait vouloir être clément aujourd’hui, et la bouilli immonde restait toujours devant nos pieds. Lorsque Milan reprit la parole, je tournais la tête vers lui, me sentant un peu mieux maintenant que j’avais arrêté de fixer l’objet du délit. Il faut dire que Milan était plus agréable à regarder, tout de même. J’hochais la tête, d’accord avec lui qu’il était hors de question de toucher à ça. Vraiment hors de question. J’en avais vu d’autre, mais là, sans moi. Il lâcha enfin mon poignet, même si je n’avais pas fait attention qu’il me le tenait encore. Par réflexe, je me le massais comme si sa poigne avait été trop forte, ce qui était faux bien sûr. Je le regardais mettre le tapis de course en place. Apparemment cette histoire le dégoûtait tellement qu’il préférait oublier. Joueuse, je me plaçais juste devant le tapis de course, un sourire en coin sur le visage. « Tu comptes réellement faire ton petit jogging à côté de ça ? Tu n’as peur de rien dis-moi ! » Personnellement, j’étais déjà en train de réfléchir où je pourrais aller pour me dépenser, n’ayant aucune envie de rester dans cette pièce. « N’empêche, leur système de ventilation marche hyper bien. On ne sent rien du tout. » Je n’avais pas vraiment envie de partir en laissant la conversation sur ça, mais je n’arrivais pas à trouver un autre sujet. « Et puis, si quelqu’un rentre, il pourrait croire que c’est toi qui … » Je fronçais le nez, secouant la tête de dégoût, m’imaginant la personne vomir. Quelle horreur …