W/ MADELEINE
mercredi 15 février, 21h07

Merde, il faisait froid. Soufflant un léger panache de fumée givrée qui s'évanouit autour de son visage, il serra les doigts autour de la tasse de chocolat qui lui réchauffait à peine les mains. Ce n'était pas dans ses habitudes de s'adonner à ce genre de petits plaisirs enfantins comme le chocolat chaud. Ma foi, une fois n'était pas coutume, Milan n'avait pas souhaité se les cailler sur le balcon sans un mince réconfort pour le garder au-dessus de la barre des négatifs. Qu'avait-il à zoner dehors par ce temps, d'ailleurs? bah. Balayant la surface du regard, il aperçut rapidement une silhouette féminine qui lui était au fil du temps devenue familière, malgré que la gamine fasse partie de ces gens à qui il adressait à peine la parole. Machinalement, il esquissa quelques pas dans sa direction, s'arrêtant légèrement en retrait. Silencieusement, il amena la tasse jusqu'à ses lèvres et bu quelques gorgées bouillantes, sans quitter la demoiselle du regard. Hm. Elle ne l'avait pas vu. Tant mieux. Après tout, il n'avait pas spécialement envie de compagnie. Il ne crachait pas sur la conversation bien entendu, mais rester à part ne le dérangeait pas, quand bien même il n'était pas clairement seul de présence. Le vent frappa un coup, Milan fonça les sourcils un instant, le regard perdu quelque part au loin devant lui. « Tu sais, si t'en as marre, y'a des moyens moins extrêmes de quitter le jeu que la pneumonie » finit-il par dire, les traits apaisés et la voix blanche. Détournant le regard vers elle, il lui tendit simplement sa tasse avec gentillesse. Qu'elle claque d'hypothermie par sa faute, merci bien.

Les écouteurs sur mes oreilles, je fixe tranquillement le paysage nocturne sous mes yeux sans parler ni chanter, balançant la tête doucement au rythme de la mélodie. Certains m'auraient sûrement traité de folle à rester ainsi dehors dans le vent glacial de la nuit, mais je suis particulièrement couverte par cette couette dans laquelle je suis enroulée. Je n'ai pas remarqué Milan qui se trouve à quelques mètres de moi et pour cause puisque je suis obnubilée par ce qui s'étend devant moi. Le parc du château, éclairé, est un spectacle saisissant pour ceux qui s'y attardent. Il s'approche de moi et je perçois enfin sa présence, je lève les yeux vers lui et me libère de mes écouteurs. Je ne réponds pas à sa tentative d'approche, je me contente de sourire alors qu'il me tend sa tasse de chocolat. Plutôt que de l'accepter, je me penche sur le côté de mon siège opposé au sien, et me saisis de ma propre tasse que je lui montre. « En fait j'avais prévu de me jeter du balcon après avoir fini ce chocolat. » Que j'ai laissé refroidir à l'air libre pour ne pas m’ébouillanter la gorge. Je trempe mes lèvres dans le breuvage, hausse un sourcil vers lui. « Tu veux que je me décale? » Je lui demande. Après tout, on a largement de place pour deux dans ce fauteuil.

La plupart du temps, lorsqu'il pouvait s'en passer, Milan n'était pas le genre à se forcer à faire la conversation aux gens, préférant tout aussi bien rester seul avec ses pensées. Bizarre comme la solitude semblait effrayer certaines personnes au point d'être incapable de traverser une rue seules. Lui trouvait ça tellement plus reposant que de faire semblant de s'intéresser à ce que l'autre racontait, hocher la tête une fois toutes les vingt secondes, lâcher quelques "oh", "ah bon ?", "tu plaisantes ?" pour la forme. Puis des fois, sans qu'il ne puisse se l'expliquer, il était pris d'envie de sociabilité. En l'occurrence, il avait simplement parlé à cette nana dont il ne connaissait que le prénom. L'âge, peut-être. Bah. Étant coincé avec elle, entre autres, pour encore au moins quelques jours, c'était sûrement préférable de ne pas faire les autistes. Secouant vaguement la tête en signe de dénégation, il lâcha un « ça ira » avant de poser sa tasse sur la rembarre. À l'aide de ses mains, il s'y hissa, face à elle. Jetant machinalement un regard vers le bas, il resta un instant subjugué par la vue du sol, plusieurs mètres en-dessous. Que se passerait-il si, surpris par une bourrasque trop violente, il se laissait emporter et chutait ? « Les chagrins d'amour, c'était hier » railla-t-il finalement, reportant les prunelles sur la jeune fille, avant de terminer son chocolat d'une traite, pensif.

J'hausse les épaules face à son refus, plongeant mon regard dans les méandres de mon breuvage avant de le concentrer sur la jeune homme qui progresse sur le balcon, hasardeux. Il va finalement s’asseoir sur la rambarde derrière lui. Je me redresse un peu, au cas où il basculerait en arrière, puis me détends. Il a la situation bien en main, et puis la chute ne serait pas particulièrement haute, quoique douloureuse. Je souris à sa soudaine plaisanterie, accueillant son ton railleur dans un rire franc mais léger et court, trempant finalement mes lèvres dans mon chocolat dont je bois une grande gorgée. « Oh, de toute manière je célèbre mes chagrins d'amours autrement qu'en pleurant. » Je lui fais d'une voix doucereuse avant de lever les yeux au ciel innocemment. Un petit silence s'installe entre nous, la pulpe de mon index flirte avec les bords de ma tasse, j'étends mes jambes devant moi. « Je pense qu'à partir du moment où tu tombes amoureux, les chagrins d'amours deviennent constants et durables. Tu vis avec, qu'importe le jour, c'est tout. » Je fais d'une voix blanche et distraite avant de relever le nez dans sa direction. Je doute que Milan comprenne grand chose à l'amour, il m'apparait comme l'archétype du candidat hermétique à ce sentiment, venu chercher du fric et juste du fric entre ces murs. Au fond, ils le prônent tous dans leur présentation. « Tu es déjà tombé amoureux Milan? » Je l'interroge néanmoins.

Comment en étaient-ils arrivés à parler de chagrin d'amour, déjà ? Plutôt festif comme sujet. De mise. Au fond, qu'elle fasse comme elle le souhaite, ce n'était pas son problème. Au moins, elle n'avait pas de problème à parler de chagrins passés. Ou non, apparemment. Il aurait tout aussi vite repassé la porte de la chambre en sens inverse si des larmes avaient choisit cet instant pour couler sur ses joues. Jouer les épaules sur lesquelles pleurer, très peu pour lui. Sans piper mot, il l'écouta simplement s'exprimer. Il ne connaissait que très peu le terrain sur lequel elle s'aventurait. Pas assez que pour risquer une réflexion sur quelque chose qu'il ne connaissait pas. Les seuls chagrins d'amour sur lesquels il aurait pu poser le mot, c'était ceux qu'il avait lus, vus, entendus. Leurs regards se croisent alors et elle lui pose une question. « Non » qu'il répondit, laconique. À croire que les gens s'amusaient à ses juger les uns les autres en fonction de cet unique critère. Non, il n'avait jamais aimé une femme, aimé de cet amour, avec un grand A, le beau, le vrai. Et alors ? Pourtant... « Mais j'aimerais bien » avoua-t-il sans détourner le regard, quoi que pensif. Bien sûr que c'était le genre de chose qu'il n'irait certainement pas crier sur tous les toits, l'air hagard et désespéré, mais l'admettre ne lui posait pas de problèmes. « Tu as l'air d'avoir une vision plutôt mature des choses... Ça change des idiotes habituelles... » Ce genre d'idiotes qui n'étaient jamais en tord, qui changeaient d'homme de leur vie tous les trois mois, qui voulaient se jeter d'un pont après la rupture mais n'en avaient plus rien à faire le lendemain. Ce genre d'idiotes qui se sentaient obligées de jouer la pièce de théâtre de leur vie à chaque histoire d'amour. Et ces idiotes-là, dieu sait que Milan en avait connu. Les histoires de pimbêches au lycée, il avait été bien content lorsqu'il n'avait plus eut à les supporter.