Franckie

Jeudi, habituel jour de nominations. Cette semaine tout serait différent, puisque nous connaissions d'ors et déjà les noms des nominés de la semaine. Et quels nominés ! Douze candidats nominés, pas moins. Il y en avait certains que je ne voulais vraiment, mais alors vraiment pas voir partir quoi. Seulement je n'étais personne ici, alors nous verrions bien dimanche qui les téléspectateurs auront décidé de sauver, et d'éliminer. Une chose était sure, trois têtes allaient sauter.
Mon Baptistou et Moore, de laquelle je ne parvenais pas à me détacher, étaient nominés et c'était un vrai coup dur pour moi. Bon, avec dix autres candidats à leur côté sur la sellette, leurs chances de sortir dimanche étaient minimes mais n'étaient toutefois pas nulles. En ayant marre de tout le grabuge qui animait le nid depuis le dernier prime, suite à la compétition, aux nominations et tout le reste, j'avais décidé de sortir prendre l'air du côté des falaises. Y avait-il meilleur endroit pour se vider totalement l'esprit ? Non, certainement pas. J'y venais pour la seconde fois depuis le début de l'aventure, ou la troisième je ne sais plus très bien.
Bref j'avançai d'un pas mou vers le bord de celles-ci, comme si je trainais à mes chevilles un boulet de trois tonnes. J'étais préocupé, alors je déconseillais à quiconcque de venir m'emmerder tout de suite. Simple conseil. C'était haut, quand même hein, fallait pas l'oublier. Pas que j'étais pris de soudaines envies meurtrières, mais surtout que mon impulsivité prenait parfois le dessus sans que je puisse y faire quelque chose. Avis aux perturbateurs, vous êtes prévenus.

Jour des nominations, ou presque puisque pour la première fois, j'avais franchi le pas du danger. Cette semaine, j'avais toutes mes chances de quitter le jeu et ce pour la première fois de l'aventure. Cela me faisait bizarre et je continuais perpétuellement à me demander si j'avais une chance ou non de ne pas revenir, que j'allais ou non être séparé des gens que j'avais appris à apprécier, à aimer. Ça faisait d'ailleurs légèrement drama asiatique, mais je m'en remettais. Toujours est-il que je voyais les flots de larmes au prochain arriver de loin. Face à Syssoi, Sixtine, Artie, Moore... et tous les autres, à mes yeux, je n'avais aucune chance. Alors, j'avais décidé d'essayer de ne pas tresser, de me faire une raison, et de foncer dans le tas, avec un sourire aux lèvres. Ce sourire enfantin qui m'était propre. Longeant les couloirs de la maison, je me retrouvais bien vite dehors, dans le parc, chassant du regard les nuages à l'affût du premier rayon de soleil de la saison. Cela faisait du bien, de sentir la chaleur frapper ma peau. Finalement, je continuais ma petite promenade pour arriver aux bords des falaises, où Ruben se tenait déjà. Depuis qu'il m'avait offert son cadeau, je ne lui avais pour ainsi dire plus parler. Pas volontairement non, mais nous ne nous croisions peut-être que très peu, un hasard qui fait qu'avec les clans formés, j'avais forcement été éloigné de certains, dont mon partenaire, par exemple. « Coucou Ruben ! » dis-je en m'approchant de lui, un sourire aux lèvres « Fais attention de pas tomber hein, sinon je vais devoir sortir ma super canne à pèche magique pour te rattraper ! » parce que tout enfant ne se balade jamais sans sa canne à pèche magique.

Je ne m'étais pour ainsi dire pas du tout préparé à ce que l'on vienne m'emmerder aujourd'hui. Il était presque dix-neuf heures, la nuit venait de tomber, il faisait un peu frais. Bref, je pensais vraiment me trouver tranquille ce soir. Hélas, on pouvait toujours rêver pour être pénard plus de deux minutes, ici. Les p'tits jeunes trainaient un peu partout, ils étaient toujours dans mes pattes, et en plus de ça ils se croyaient permis de mettre fin à mes seuls moments de tranquillité de la journée. Satanés gosses. « Coucou Ruben ! » Une voix assez infantile se fit entendre derrière moi. Il ne me fallut pas deux secondes pour mettre un nom sur cette voix. C'était forcément Franckie, le gosse du nid. Il était sympa, mignon dans son genre, mais aussi collant et très gamin d'après certains. Maintenant qu'il était là, autant le saluer. Je me retournai, un sourire crispé aux lèvres comme pour lui signifier qu'il me faisait juste chier à se trouver là, tout de suite, au même endroit que moi, endroit où j'étais bien tranquille avant qu'il ne daigne apparaitre. « Salut Franckie... » Il s'approcha de moi. Ce qui était bien, avec franckie, c'est qu'il semblait toujours de bonne humeur. Il en fallait de la joie de vivre par ici, car mon humeur était à chier ce soir. « Fais attention de pas tomber hein, sinon je vais devoir sortir ma super canne à pèche magique pour te rattraper ! » Je me demandais alors ce que mes camarades avaient bien pu lui faire fumer. C'était puissant, une canne à pèche magique... Je voulais trop la même. « Je t'assure que si je me casse la gueule, t'auras pas le temps de dégainer ta "canne à pèche magique". J'serais mort bien avant. » Ou comment lui signifier que si je venais à tomber, il me faudrait moins de dix secondes pour violemment m'écraser trente mètres plus bas. Autant dire qu'en cas de chute, le taux de survie se voulait absolument nul. Il était gentil le Franckie, mais qu'est ce qu'il était con aussi.

« Salut Franckie... » youhou ça puait l’enthousiasme par ici ! Il était passé où son sourire à Ruben ? Lui qui passait son temps à s'éclater d'habitude ? Bon peut-être pas s'éclater de la même manière que moi mais au moins il ne tirait pas des tronches aussi terribles ! Puis faut dire qu'il s'en était mangé pas mal les précédentes semaines, un acharnement dont je m'étais écarté, trouvant cela légèrement injuste, il était peut-être pas blanc comme neige, mais personne ne méritait d'être accablé de la sorte. « Je t'assure que si je me casse la gueule, t'auras pas le temps de dégainer ta "canne à pèche magique". J'serais mort bien avant. » une moue faussement choquée se dessina alors sur mon visage. « Mais... non trop pas ! Je te jure, faut pas sous estimer super Franckie et sa canne à pèche magique ! Puis je suis sûr que super Ruben et son slip rose ont plus d'un tour dans leur sac ! » lâchais-je alors un brin d'excitation au fond des yeux. Et puis c'était pas si haut, si ? Enfin jusque là personne n'était mort, même ceux qui avaient deux pieds gauches (j'étais compris dans ce lot là, bien entendu) alors au final il devait peut être y avoir une grande toile d'araignée à la spider man étalée telle un trampoline sur cette zone, rejetant les candidats sur les falaises, quitte à ce qu'ils s'empalent dessus. Eurk. « Je suis même sûr que Super Ruben peut surmonter n'importe quelle situation, relever n'importe quel défi ! » bien entendu le tout était mis en place pour essayer de le consoler, qu'importe ce qui pouvait bien lui faire tirer de telles grimaces. Peut-être qu'au final il n'avait juste pas envie de me voir, ce qui était également tout à fait possible... « Tu... tu veux que je parte peut être ? »

Une canne à pêche magique. Voilà ce que prétendait détenir Franckie. Ce qu'il ne fallait pas entendre, tout de même. Je pensais faire partie des candidats les plus barrés de cette saison, mais en fait il y avait bien pire que moi. C'était presque un soulagement que de le constater. Mais au fond Franckie n'était qu'un gamin parfaitement attendrissant qui ne voulait faire que le bien autour de lui. Et je l'appréciais pour ça. Il était le seul ici dont j'étais sur de ne pas obtenir de réaction négative en lui offrant un slip rose fushia. « Mais... non trop pas ! Je te jure, faut pas sous estimer super Franckie et sa canne à pèche magique ! Puis je suis sûr que super Ruben et son slip rose ont plus d'un tour dans leur sac ! » Slip rose que malheureusement je ne portais pas ce soir. Je perdais sans doute une bonne partie de mes pouvoirs magiques, d'un coup. Je savais que j'avais oublié quelque chose en quittant le nid. « Si tu le dis. Mais heu quelque chose me laisse perplexe dans cette histoire. Ta canne à pêche, tu la ranges où au juste ? Dans ta poche peut-être ? » Je le voyais mal la ranger dans une toute petite poche. Mais il semblait l'avoir sur lui, alors elle était bien quelque part quand même. A moins qu'il ne soit atteint du syndrome Mary Poppins, que cette canne à pêche soit planquée dans sa manche, sa chaussure ou ses cheveux... Allez savoir ce que Franckie était capable d'inventer. « Je suis même sûr que Super Ruben peut surmonter n'importe quelle situation, relever n'importe quel défi ! » Ha ha, elle était bien bonne celle là. Super Ruben, capable de surmonter n'importe quelle situation ? de relever n'importe quel défi ? C'était malheureusement tout à fait erroné comme affirmation. Il semblait mal renseigné sur mon compte. « Et bien laisse-moi te dire que ce soir je relève plus du Super Looser que du Super Ruben. » Plus looser tu meurs. C'te rime. Tout ça pour dire que je n'avais rien d'un mec qui pouvait tout surmonter. Je n'arrivais même pas à surmonter le départ de Céleste. Il fallait pourtant, mais c'était trop difficile et je n'y parvenais toujours pas, même plusieurs jours après. « Tu... tu veux que je parte peut être ? » Je n'allais quand même pas le virer de là comme ça, il ne me voulait aucun mal le petit. Et puis au moins grâce à lui j'avais un peu moins de pensées suicidaires. Son histoire de canne à pêche était absurde, mais donnait tout de même le sourire. « Mais non voyons. Un peu de compagnie ne fait jamais de mal quand on a le mal de vivre. » Je vous arrête tout de suite, je ne projetais pas de me jeter du haut de la falaise. J'étais mal, certes, mais y'avait des limites à ne pas franchir et me tuer en faisait partie.