Cooper

Je ne pouvais plus me passer du cimetière, tant cet endroit me relaxait. Le silence, l'obscurité, les bruits suspects, les morts tout autour... mieux que le paradis, y'avait pas à dire. Alors oui, les mauvaises langues pourraient toujours me trouver un intérêt pour tout ce qui était glauque, ou ayant un rapport avec la mort. Quand tu frôles la mort plus d'une fois entre trente-trois ans, tu en viens à avoir de celle-ci une toute autre vision. La mort ne me faisait pas peur, ni ne m'impressionnait. Quand elle serait amenée à me prendre par surprise, alors mon heure serait venue, mais pas avant. Bref. Une nouvelle fois je m'étais rendu au cimetière, mais pas seul cette fois ci. Enfin, pour le moment si, j'étais seul, mais dans quelques instants je ne le serais probablement plus. Sauf si on venait à me poser un lapin, là il y avait en effet de fortes chances que je termine seul ce soir dans le cimetière. Pour l'anecdote, j'avais demandé ce matin à Cooper de m'y retrouver. J'avais été particulièrement précis sur l'heure, hein, attention : le barbu devait impérativement être présent ici-même à dix-huit heures et trente minutes, sous peine d'avoir de très sérieux ennuis. Pourquoi avoir donné rendez-vous à Cooper ici ? Bah, pour l'enterrer vivant, c'te question. Sérieusement, j'avais une grande nouvelle à lui annoncer et je savais qu'ici, à part les morts, personne n'entendrait rien de notre conversation. 18H27. Dans trois minutes, Cooper aurait tout intérêt à se pointer. En attendant je marchais sur place, tournant sur moi-même, faisant rouler les cailloux avec mes pieds. 18H29. Une minute Cooper, une minute. Après quoi la mort t'attendait au bout du tunnel, mon pote. 18H30. Ah ! J'entendis soudainement des bruits de pas derrière moi. Pas besoin de me retourner, c'était forcément Cooper. « Pile à l'heure, félicitations. » Je ne pouvais que saluer la ponctualité de mon camarade. Et si nous parlions affaires, maintenant ?

Ce matin, ce cher barbu qu'on ne présentait plus m'avait filé un rencard dans la soirée. Au cimetière. A 18h30 pétantes. Il avait bien insisté sur l'heure, comme si c'était primordial que j'y sois à cet exact instant. Ma première réaction fut de me demander ce qu'il avait fumé. Le pauvre, l'enfermement commençait à lui taper sur le système. Non mais franchement, j'étais bien curieux de savoir ce qu'il me voulait. Qui ne pouvait pas être dit sur le moment, mais que ce soir, au cimetière. D'ailleurs c'était quoi ce choix de lieu ? Avait il l'intention de m’assommer avec une pelle pour m'enterrer par la suite ? Ou peut être voulait il organiser une petite séance de spiritisme et invoquer les esprits ? Mais j'optais pour le troisième choix. Il se foutait simplement de ma gueule, et ça allait être une belle connerie. Je fus un instant tenté de lui poser un lapin. Ça lui ferait les pieds tiens. Et puis bon, poussé par la curiosité je décidais de m'y rendre tout de même. A l'heure en plus. C'est que je ne voudrais pas subir sa colère éternelle. Peut être bien que c'était un sorcier, qu'il jetait des sorts, ou alors qu'il pratiquait le vaudou, allez savoir. En arrivant au lieu de RDV, je pus constater que Ruben se trouvait déjà là, à m'attendre. Il me félicita d'être à l'heure. Un petit exploit moi qui n'était pas du genre ponctuel.  « Bon, alors, c'est quoi l'embrouille ? Je te préviens, si t'as l'intention de me tuer, saches que j'ai appris les arts martiaux avec mon compagnon de cellule, et que c'était pas un tendre. Je connais dix façons de te tuer sans que tu t'en aperçoives » Haha. Bien évidemment tout ceci était complètement faux. Mis à part le fait que j'avais un compagnon de cellule pas très sympathique. Ceci dit je connaissais réellement les arts martiaux alors qu'il fasse gaffe le Rubinou. Évidemment je me doutais bien qu'il n'avait nullement l'intention de m'attaquer hein. Surtout pas moi, son meilleur pote voyons. On était comme les deux doigts de la main non ?

Il était exactement dix-huit heures et trente minutes, et Cooper venait d'arriver dans le cimetière, pile à l'heure pour le coup. On pouvait au moins lui reconnaitre ça, au brun ténébreux, il pouvait être tout à fait ponctuel quand il s'en donnait les moyens. Bon, il fallait dire aussi que je m'étais montré particulièrement à cheval sur l'heure, ce matin, en lui donnant un rendez-vous dans le cimetière pour ce soir. Un rendez-vous auquel monsieur était venu, à l'heure demandée. Parfait. Néanmoins Cooper monta très vite sur ses grands chevaux, et bientôt il fut question d'arts martiaux, de compagnon de cellule peu commode et de meurtre. Si j'avais l'intention de l'éliminer ici, au beau milieu de ce cimetière, à l'abri des regards ? Mmm, l'idée en elle-même se voulait très tentante, mais j'avais d'autres projets pour ce soir. « Du calme mon grand, il ne t'arrivera rien. C'est donc pas du tout la peine d'envisager quelque défense ou attaque que ce soit. » Mais enfin, je l'aimais bien moi, le Cooper. Alors pourquoi aurais-je eu l'idée tout à fait saugrenue de le tuer ce soir ? Ah vraiment, quelle imagination débordante il avait celui-là. « Bon. Je t'ai demandé de venir ici parce que je voulais que l'on parle ensemble de... » Attention, j'allais probablement faire LA révélation du siècle, celle qui ne manquerait pas de faire s'étrangler Cooper. La bombe fut finalement lâchée un instant plus tard. « ... notre groupe. Cet endroit est absolument formidable pour donner notre tout premier concert, tu ne penses pas ? » Alors, non seulement Cooper devait maintenant se trouver terriblement déçu du fait que je lui ai demandé de venir ici pour parler musique, mais ajoutez à cela le fait que je voyais en ce cimetière l'endroit idéal pour que le gang des barbus fasse enfin connaitre ses talents. Le seul public que l'on pourrait rencontrer ici serait probablement des morts, des fantômes à la limite, mais pourquoi pas après tout ? Qui n'a jamais rêvé de se produire dans un cimetière, hein ?

« Du calme mon grand, il ne t'arrivera rien. C'est donc pas du tout la peine d'envisager quelque défense ou attaque que ce soit. » Hm mouais, c'est ce qu'il prétendait. Mais qui ne me disait pas qu'il cherchait simplement à endormir ma confiance ? Pour mieux frapper par la suite ? C'est que c'était un petit vicieux le Ruben, je le sentais. Mais bon allez d'accord, je lui laissais le bénéfice du doute. Je ne mettrais pas encore en action mes mouvements d'auto-défense. « Bon. Je t'ai demandé de venir ici parce que je voulais que l'on parle ensemble de... » Attention je sentais la révélation croustillante. L'info du millénaire. Qu'est ce que son esprit avait inventé comme connerie ? Oui parce que je n'étais pas dupe hein. Cela sentait la grosse connerie à plein nez. Peut être voulait il organiser des funérailles pour ce pauvre lait. Lui accorder une cérémonie digne de ce nom. Paix à son âme. « ... notre groupe. Cet endroit est absolument formidable pour donner notre tout premier concert, tu ne penses pas ? » Haha. Ce qu'il était drôle ce Rubinou. Mais évidemment qu'll voudrait parler de notre groupe. Il déchirait. Mais là voyez vous, j'étais un peu vexé. Comment ça le cimetière ferait un lieu parfait ? Et notre public alors ? On ne valait que ça ?  « Hm et on donnerait ce concert pour qui au juste, les morts ? Je crois que t'as regardé un peu trop le clip de Thriller, ils vont pas sortir de sous terre. » Quel insulte pour notre talent !  « Et puis tu m'expliques avec quoi on va jouer ? On va taper sur les tombes pour faire les percussions ? » Elle était où sa guitare ? Et ma batterie ? Nos micros ? Il voulait faire ça à capella en plus ? Vraiment, il me décevait.

J'étais réellement persuadé que le cimetière était un endroit absolument parfait pour notre tout premier concert. La première représentation officielle du gang des barbus... Moi ça me faisait rêver quoi, et de savoir que nous avions ce lieu rien que pour nous me faisait presque voyager dans des cieux enchantés. Seulement, malgré le fait que cette idée ait été particulièrement alléchante -vous en conviendrez-, Cooper ne sembla pas aussi enthousiasme que moi, bien au contraire. « Hm et on donnerait ce concert pour qui au juste, les morts ? Je crois que t'as regardé un peu trop le clip de Thriller, ils vont pas sortir de sous terre. » Et alors, où était le problème ? Oui Michael Jackson était mon Dieu, oui nous ne risquions de trouver pour public que des morts, mais cela ne me posait absolument aucun problème. « Les morts aiment la musique, tu sais. Et puis ce serait comme... leur rendre un dernier hommage. Si ça leur plait, je pense qu'ils sortiront de sous terre, si. » Ah mais j'y croyais dur comme fer, moi, qu'on se le dise. Pourtant de manière générale je n'étais pas plus attiré par le paranormal, le surnaturel et tout le tralala que ça, mais là je me plaisais à faire tourner en bourrique Cooper. Rien qu'un peu, hein. « Et puis tu m'expliques avec quoi on va jouer ? On va taper sur les tombes pour faire les percussions ? » Ah, je devais avouer ne pas avoir pensé à ça. Avec quoi est-ce que nous allions jouer... Ma foi l'idée de Cooper n'était pas idiote, loin de là. Et avions-nous une autre solution qui s'offrait à nous, là tout de suite ? « Je peux éventuellement demander à Michael de nous jeter quelques instruments d'en haut, mais ton idée de taper sur les tombes me plait assez. » Ou sinon je pouvais aussi courir au nid pour ramener quelques bidules, mais je me voyais mal déambuler avec des instruments dans les bras et faire l'aller-retour. Non, vraiment, nous allions devoir compter ou sur Michael, ou sur les tombes présentes autour de nous. Cooper allait devoir trancher.

« Les morts aiment la musique, tu sais. Et puis ce serait comme... leur rendre un dernier hommage. Si ça leur plait, je pense qu'ils sortiront de sous terre, si. » Bien sur. J'avais parfaitement conscience qu'il se fichait de ma gueule le Ruben. Mais bon, en même temps moi ça me faisait marrer notre délire complètement grotesque. C'est qu'en plus on serait presque crédible, à parler le plus sérieusement du monde. Et pourtant, je vous jure, on avait rien consommé d'illégal. Enfin je parlais pour moi, parce que le Ruben hein...Qui savait ? Il fallait déjà ne pas être très net pour tomber éperdument amoureux d'une Moore hein. Il avait vraiment 33 balais le barbu ? A se demander.  « Les morts aiment la musique...Tu tiens tes sources d'où ? Ils te parlent la nuit peut être ? » M'étonnerais pas qu'il croise des fantômes aussi et leur tape la discut'. Je lui posais alors une colle. Comment faire un concert sans tout notre matériel ? A l'évidence il n'avait pas pensé à tout. Je dirais même qu'il n'avait pensé à strictement rien. Quelle organisation. « Je peux éventuellement demander à Michael de nous jeter quelques instruments d'en haut, mais ton idée de taper sur les tombes me plait assez. » Tout à fait.  « Tant qu'à faire, je préférerais qu'on demande à Whitney » Ouais non parce que moi, j'étais pas un grand fan du Michael. De sa musique si, mais du personnage, vraiment pas. Trop flippant. Trop louche.  « Mais j'ai pas envie de prendre le risque qu'on se fasse assommer, alors j'imagine qu'on devra se contenter des pierres en effet » Oui, donc ainsi je venais de sous entendre que je serais partant pour ce fameux concert. Ah.  « Tu as déjà pensé à quelle chanson on allait jouer bien évidemment ? » Quelque chose me disait qu'il n'avait strictement pensé à rien.

« Les morts aiment la musique...Tu tiens tes sources d'où ? Ils te parlent la nuit peut être ? » Ah vraiment, il n'était au courant de rien le Cooper. Pourtant c'était bien connu, c'était universel, les morts raffolaient de musique et ils adoraient aussi qu'on vienne leur organiser un petit concert comme j'en avais justement eu l'idée ce soir. Le gang des barbus devait faire sa première représentation publique, et cet endroit était parfait. « Mets-toi un peu à la page, mon vieux. Ca date pas d'hier que les morts et la musique, c'est une véritable histoire d'amour. » Oh non, je ne voulais plus entendre parler d'histoire d'amour... plus jamais. J'avais proposé à Cooper de demander à Michael -Michael Jackson, hein- de nous balancer quelques trucs d'en haut histoire de remédier à cette pénurie d'instruments que je n'avais absolument pas prévue pour le coup. « Tant qu'à faire, je préférerais qu'on demande à Whitney » Si tel était son souhait, alors nous pouvions en effet demander à Whitney -Whitney Houston, of course- un petit coup de main. Cooper reprit de plus belle. « Mais j'ai pas envie de prendre le risque qu'on se fasse assommer, alors j'imagine qu'on devra se contenter des pierres en effet » Ah oui, c'était en effet plus prudent. Nous ne devions prendre aucun risque. « Bien dit, jouons sur la sécurité. Parce qu'une batterie sur le crâne, je dis pas les dégâts... » Ah mais ça ne serait même plus des dégâts là, ce serait la mort assurée pure et simple. Et je préférais éviter de mourir dans un cimetière, des fois que cela porte la poisse à Cooper par la suite... Bah oui, comment cela pourrait me porter la poisse à moi, puisque je serais mort ? « Tu as déjà pensé à quelle chanson on allait jouer bien évidemment ? » Argh. Il me prenait de court. Je n'y avais pas franchement réfléchi, mais avais tout intérêt à lui sortir quelque chose, là tout de suite, histoire de rester un minimum crédible. « Mais bien sur, quelle question ! Figure-toi que j'avais pensé à... heu... The Reason, de Hoobastank. » Pourquoi cette chanson plutôt qu'une autre ? Et bien, pour être tout à fait honnête, je n'en avais pas la moindre idée. Si Cooper me demandait ensuite de me justifier, j'aurais vite fait de passer pour un con car c'était la première chanson que j'avais eue à l'esprit. Mais cette chanson me correspondait tellement... Alors était-ce un signe du destin alors que je me retrouvais seul et pronfondément dérouté depuis la veille ? Encore fallait-il croire au destin, et pour le coup je n'y croyais plus.