C'est le soir, le calme absolu. Je fais la cuisine. Je prépare un plat de pennes au pesto que je partage avec Avalon avant qu'elle ne décide de retourner au dortoir pour se reposer un peu. Je fais la vaisselle, je range un peu le plan de travail. Je balaie le sol. Une fois le ménage terminé, je m'assois sur une chaise pour me reposer un peu. Sully fait son entrée dans la pièce. Nous nous sourions mutuellement. Je propose à mon camarade : - Une bière ? Je me lève de ma chaise. Je me dirige vers le réfrigérateur. Je l'ouvre et prends deux canettes de bières. Je ferme la porte du frigo derrière moi. J'avance vers l'américain et dépose sa canette sur la table. Je viens m'asseoir en face de lui. J'enlève l'anneau d'ouverture. Je ne bois pas tout de suite. Je souris à Sully et lui demande d'une voix enjouée : - Alors comme ça, c'est officiel avec Ismène ? On a tous appris cette bonne nouvelle au prime. Ils ont officialisé leur relation. Je les félicite d'ailleurs. Cette nouvelle m'a un peu remonté le morale dimanche dernier. Après les éliminations, j'en avais grandement besoin. Je trinque avec lui en leur santé. Je bois une gorgée de bière. Mon visage change d'expression. Je le scrute longuement avant d'ajouter : - Je te préviens. Si tu lui brise le coeur, je te briserai les jambes., dis-je d'un ton faussement sérieux. Je le regarde et ris légèrement. Je plaisante évidemment. Je sais que Sully ne la blessera jamais délibérément. Il l'aime trop pour lui faire du mal. Je leur souhaite d'être heureux. Ils sont bien ensemble. Je tiens beaucoup à eux. A mes yeux, Ismène est comme ma petite soeur. C'est normal que je me montre un peu protecteur envers elle. Blague à part, j'ajoute d'un ton plus enthousiaste : - Je suis content pour vous deux. C'est un couple qui est fait pour que ça dure longtemps. J'espère qu'ils s'aimeront longtemps parce qu'ils méritent tous les deux le bonheur. Surtout Sully qui semble pessimiste parfois. Heureusement que Ismène a assez d'optimisme pour deux. Je ne m'inquiète pas pour eux. Ils se débrouilleront très bien, j'en suis sûre.

C'est sans trop savoir pourquoi que Sully s'orienta vers le réfectoire, où il n'avait pas prévu de se mettre à table, mais où il y aurait peut être quelques petites choses à ranger, ce qui saurait alors l'occuper, lui qui ne savait pas toujours de quelle façon occuper ses dix doigts. Mais alors qu'il pénétra dans le vaste espace, voilà qu'il tomba sur Enoch, qu'il était à vrai dire satisfait de trouver ici, dans la mesure où sa compagnie était toujours des plus appréciables. Son camarade lui proposa d'ailleurs une bière, comme lui-même l'avait fait la fois où ils s'étaient retrouvés dans le salon et qu'ils avaient visionné un grand De Palma. « Volontiers, merci » énonça-t-il alors, tandis qu'Enoch ne tarda pas à leur sortir à chacun une canette de bière, ce à quoi il répondit par un signe de tête reconnaissant. Comme son camarade, il ne but pas immédiatement et fut de toute façon un peu pris au dépourvu par la question qu'il lui posa ensuite, mais qui le fit sourire. « Et bien oui, il semblerait » souffla-t-il alors, encore un peu pudique car peu habitué à parler aussi ouvertement de sa vie sentimentale. Mais ici, avec Enoch, ça ne lui posait pas de problème. Il ne risquait pas de se foutre de lui, et lui semblait toujours aussi bienveillant. Mais la reprise de parole de son camarade le surprit légèrement, puis le fit rire, car il comprit bien vite qu'il n'était pas aussi sérieux qu'il pouvait chercher à le faire croire. « Ça n'est absolument pas dans mes intentions, tu t'en doutes. Je serais bien incapable de lui faire du mal. C'est une chose que je ne pourrais jamais me pardonner ... » Et pour avoir lui-même souffert à cause de quelqu'un, il va de soi qu'il ne s'emploierait jamais à infliger cette souffrance à une jeune femme aussi merveilleuse qu'Ismène. « ... et puis, mine de rien, je tiens à mes jambes » ajouta-t-il, sur un ton plus léger, histoire de montrer qu'il avait saisi son trait d'humour. Il n'était pas prévu qu'il donne à Enoch une raison de devenir violent, c'est certain. Il appréciait en tout cas ce rôle assez protecteur que semblait avoir Enoch vis à vis d'Ismène. C'était un peu celui qu'il avait lui-même auprès de Lena, quand on y pense. Enoch reprit alors la parole et Sully lui adressa un fin sourire. « C'est gentil, et ça confirme ce que je pense de toi depuis le début, à savoir que tu es quelqu'un de bien. » Et il le disait sincèrement, car Enoch lui avait toujours donné l'impression d'être quelqu'un de droit, quelqu'un d'intègre, quelqu'un d'humain surtout. « Et je suis tout aussi ravi pour Avalon et toi, sincèrement » reprit-il, pas certain qu'ils aient eux-même concrètement officialisé mais qu'importe. Il avait déjà dit tout le bien qu'il pensait de ces deux-là et ça n'avait pas changé. « Hm, cette question risque de te sembler absurde, mais tu ... tu la désires, n'est-ce pas ? » Absurde, mais aussi incroyablement indiscrète. Autant dire que Sully songeait maintenant à se faire oublier, hm.

Je reste parfois tard dans le réfectoire pour lire et boire une bonne tisane. Ce soir, changement de programme. J'opte plutôt pour de la bière quand Sully pénètre dans la pièce. Sully, un candidat que j'apprécie beaucoup. Dans la vraie vie, nous aurions pu être d'excellents amis. Nous avons des caractères semblables. Je m'entends bien avec lui. Nous sommes sur la même longueur d'ondes. C'est agréable de voir qu'il y a encore des gens biens dans ce monde. Je lui donne sa bière avant que je vienne m'asseoir face à lui. J'ouvre ma bière, mais je ne le bois pas tout de suite. Je constate que c'est officiel entre Sully et Ismène. Une nouvelle qui réjouit. Ces deux-là sont faits l'un pour l'autre, c'est évident. En plaisantant, je lui dis que je n'hésiterai pas à briser les jambes du jeune homme si il venait à briser le cœur de l'écossaise. Je sais qu'il ne lui fera jamais du mal. Je lui fais confiance.  - Je sais que Ismène est entre de bonnes mains et que tu prendras bien soin d'elle. Je le vois mal faire souffrir les autres. Il a beaucoup d'affection pour elle. Cela se sent, cela se voit. Il est vraiment amoureux d'elle. Je souris lorsqu'il rétorque qu'il tient à se jambes. Je continue sur le ton de la plaisanterie en répliquant : - Tu es sûre que t'as vraiment besoin de tes jambes ? Je ris légèrement. Je ne suis pas du genre violent. Je ne vais pas à me rabaisser à cela. J'ai connu trop de violence dans ma vie pour infliger autant de douleur à autrui. Je suis content pour eux et c'est sincère. Ce à quoi il rajoute que je suis quelqu'un de bien. Je hausse les sourcils et me caresse la nuque. - Quelqu'un de bien ? C'est tout ? , dis-je de nouveau en plaisantant. Je lui souris chaleureusement et lui fais un léger clin d’œil.  - Toi aussi, tu es quelqu'un de bien. Je l'ai su tout de suite en te rencontrant. La première fois que je l'ai vu, je sentais que je pouvais lui faire confiance. Je ne saurais expliquer cela. Au premier coup d'oeil, j'ai compris avec qui j'avais affaire. Un gars intelligent, humble et droit. Je me trompe rarement sur le caractère des autres. Il parle ensuite de Avalon et de moi. Je rougis un peu et balbutie : - Hum ... Merci. Je suis encore un peu pudique concernant mes sentiments. Je ne suis pas le plus doué pour les exprimer. Je suis toujours gêné d'en parler de vive voix. Mais avec Sully, c'est différent. Ce dernier d'ailleurs me pose une question étrange. Je le fixe un instant et dis : - Avalon est une femme désirable. Je .. Je la désire oui. Mais ... Il y a une sorte d'obstacle de taille. Avalon n'est pas une femme comme les autres. Elle est ... différente.  - Elle ne pourra jamais me désirer. Je ne le vis pas mal. C'est un peu délicat comme situation, en fait. Je fais avec. Ça ne change rien à ce que je ressens pour elle. Elle reste la femme dont je suis amoureux. Pour l'instant, nous n'avons qu'effleurer le sujet en surface. Je veux qu'on prenne notre temps. Je ne veux pas lui mettre la pression. Et puis ... - Je ne suis pas très porté sur la chose. J'ai appris à vivre sans sexe pendant un long moment ... Après ce n'est pas comparable. Nous vivons dans un monde sexuellement normé. Le sexe s'est banalisé et il est partout. Je suis un peu vieux jeux sur les bords. Ce n'est pas si important que cela à mes yeux. Après, je reste un homme. Je suis capable de me contrôler. Je ne suis pas si désespéré que ça.

Il était toujours on ne peut plus appréciable de passer un moment avec Enoch, qui était un garçon charmant et quelqu'un que Sully affectionnait beaucoup. D'autant que cela lui faisait plaisir de voir que son camarade se réjouissait pour Ismène et lui. C'était adorable de sa part, et bien que Sully n'ait jamais tellement eu pour habitude d'évoquer sa vie sentimentale, il avait bien conscience qu'au sein d'un tel jeu, il serait toujours quelques peu exposé, et il est de toute façon certain que s'il y avait bien une personne avec qui cela ne le dérangeait pas d'en parler, c'était Enoch, qui était un être d'une bienveillance extrême. Il n'y avait qu'à voir le rôle de protecteur qu'il adoptait vis à vis d'Ismène, un rôle que Sully trouvait assez honorable et qu'il ne prenait évidemment pas contre lui, sachant qu'Enoch n'était de toute façon pas très sérieux sur l'instant. Mais il va de soi que Sully n'irait jamais faire de mal à Ismène, qu'il en serait en soi bien incapable. Non, il ne pourrait pas lui nuire, ça n'était simplement pas dans sa nature et il tenait beaucoup trop à elle pour ça. Et manifestement, Enoch n'en doutait pas non plus, ce qui le fit sourire. Quant au reste, il lâcha un petit rire lorsqu'il lui demanda s'il était certain d'avoir besoin de ses jambes. « A priori, oui. C'est quand même assez pratique d'avoir deux jambes, et j'aimerais autant garder toute ma mobilité, vois-tu » souffla-t-il alors, amusé mais aussi un peu peiné, parce que tout ça lui rappelait que son père, lui, était condamné à rester en fauteuil roulant pour le restant de ses jours, ce qui lui l'attristait chaque fois qu'il avait le malheur d'y repenser. Mais ça n'était pas le moment de se miner le moral. « J'allais dire 'quelqu'un de formidable', mais je craignais de faire de toi un enfant gâté, tu comprends » reprit-il, sur le même ton, n'étant de toute façon jamais avare de compliments et pensant sincèrement qu'Enoch était une personne admirable. Il lui sourit ensuite d'une façon reconnaissante, vu qu'il le considérait apparemment lui aussi comme quelqu'un de bien. Et puis, sans trop savoir s'il était bienvenu de lancer ce sujet, il se risqua à évoquer la relation d'Enoch et Avalon, car il les trouvait charmants ensemble, et que puisqu'Enoch avait eu la gentillesse de le féliciter pour l'officialisation de sa relation avec Ismène, il pouvait bien lui faire savoir qu'il était ravi pour sa relation à lui. Il les trouvait très bien assortis, car formidables l'un et l'autre. Quant à la question qui suivit, et bien, il aurait très certainement du s'abstenir de la poser. C'était bizarre, après tout, d'en venir à parler de désir dans le cadre d'une relation qui n'était pas la sienne. C'était très malvenu sans doute. Pour autant, Enoch ne le lui fit pas remarquer et prit même la peine de lui répondre. Il l'écouta alors, avec attention, ayant lui-même comprit qu'Avalon était un peu particulière. « C'est tout à ton honneur d'être aussi compréhensif. Elle a vraiment beaucoup de chance de t'avoir, tu sais. » Et il le pensait. A une époque comme celle-ci, où l'on entendait parler de sexe à tout va, c'était bien qu'il y ait des gens comme Enoch, qui d'ailleurs avoua n'être 'pas trop porté sur la chose'. Et aussi délirant cela puisse être, Sully en fut rassuré. Parce qu'il était un peu pareil à ce niveau et que ça en avait souvent amusé plus d'un. Encore une fois parce que l'époque voulait que les hommes de leur génération soient très portés sur la chose, a contrario. « Je suis dans le même cas ... enfin non, pas exactement, je ... j'ai disons une vision très 'obsolète' de la chose. Je me suis souvent senti anormal de n'être notamment disposé à partager une certaine intimité qu'avec une personne qui partagerait ma vie, et … enfin, je crois que je me sens un peu moins 'bizarre' à présent. » Oui, bon, il était surtout entrain de s'embrouiller les idées, parce qu'il n'avait pas franchement l'habitude de parler de ce genre de choses et qu'il était gêné. Ainsi donc, peut être lui faudrait-il veiller à changer de sujet. Alors, hm … « Eh au fait, tu as vu, j'ai réussi à ouvrir cette canette sans engendrer de désastre ! » Quoi qu'on avait quand même fait plus subtil, comme transition, hm.

Nous passons un moment plus que convivial avec Sully dans la salle à manger, une bière la main parlant de tout et de rien. Comme si nous nous connaissions depuis des années. Nous avons les mêmes valeurs, lui et moi. Je ne pensais pas rencontrer quelqu'un de si sympathique que lui dans ce nid. Nous sommes presque complices. Je peux le considérer comme un ami. Maintenant qu'il est avec Ismène, je le vois presque comme un beau-frère. C'est étrange, mais je vois en l'écossaise la petite sœur que j'aurai toujours voulu avoir. Je tiens à elle, je me montre un peu protecteur parce que je ne veux pas la voir souffrir. Je sais qu'elle est entre de bonnes mains. Sully fera tout pour la rendre heureuse. Je suis profondément convaincu de sa sincérité. Ils sont chanceux de s'être trouvés. Je leur souhaite d'être heureux. Nous poursuivons la plaisanterie autour des jambes du candidat. Apparemment, il y tient beaucoup à ses jambes. Nous changeons de sujet. Il trouve que je suis quelqu'un de bien. Seulement quelqu'un de bien ?, dis-je en plaisantant. Il aurait pu rajouter "quelqu'un de formidable", mais ce serait trop. Je ris légèrement. Il a raison, mais son compliment me touche. Il est également quelqu'un en qui on peut faire confiance. J'admire sa force d'esprit et son côté chaleureux. Ses maladresses sont presque touchantes. Nous évoquons un sujet un tantinet sensible. La sexualité. J'ai été un peu pris de court. Je ne m'attendais pas à ce qu'il aborde ce genre de sujet. Je ne cille pas. D'habitude, je ne parle pas de ça. C'est tout de même personnel, mais je me sens en confiance. Nous parlons de désir. Je désire Avalon car à mes yeux, elle est attirante. Je ne vois qu'elle. Je sais que c'est délicat. Pour le moment, je ne veux pas brusquer les choses avec elle. - Oui, je suis chanceux. Elle fait ressortir ce qui est bien en moi. Je suis heureux d'avoir faire sa rencontre. Un sourire béat s'épanouit sur mes lèvres, en pensant à elle. Je suis amoureux d'elle, c'est évident. Je ferai tout pour elle. Tout pour la rendre heureuse, en tout cas. Je n'ai pas envie de la perturber avec sa différence. Ça peut attendre. - Tu n'es pas bizarre, Sully, je t'assure. C'est juste que tu as une vision différente de la chose. Une vision certes "obsolète" pour certains, mais que je partage entièrement. Je suis convaincu que l'intimité doit rester un acte d'amour et de respect pour la personne qu'on aime et non, un acte purement sexuel. Pour une fois, je peut en parler sans en rougir. C'est agréable de pouvoir de discuter de choses librement. Surtout avec une personne qu'on estime beaucoup. - Oui, je vois la cannette est indemne. Tout va bien. Je m’esclaffe. Je ne me moque pas de lui. C'est cette situation qui me fait rire. Il sait preuve d’auto-dérision. - Si ça te gêne qu'on parle de ça, on peut passer à autre chose. J'ai remarqué que c'est un sujet qui l’embarrasse un peu. Notre échange était dénuée de sous-entendus et de blagues graveleuses. Encore heureux. En parler à un homologue masculin, ça fait du bien surtout quand c'est quelqu'un comme lui. Je trouve ça plus facile de me confier à lui, en fait. - J'ai entendu dire que tu étais cinéaste. Tu fais quel genre de films ? Il a du entendre cette question des centaines de fois. Mais je suis curieux de savoir ce qu'il fait dans la vie. Cela me permets de m'intéresser à sa passion et de le connaître un peu mieux. Jusqu'ici, je ne connais pas grand chose sur lui.

Et bien oui, Sully aimerait étonnement préserver ses deux jambes en bon état. Parce que mine de rien, c'était plutôt pratique de pouvoir marcher et se rendre n'importe où. Sa mobilité, clairement, il y tenait. Alors oui, il est certain qu'il aimerait mieux qu'Enoch n'ait jamais de raison de lui nuire, ou en tous les cas de nuire à ce qui lui permettait encore de tenir debout, parce qu'il aurait quand même bien du mal à s'en passer du jour au lendemain. Mais fort heureusement, Sully n'avait absolument pas prévu de faire souffrir Ismène, ainsi donc, Enoch n'aurait a priori pas à devenir violent pour le lui faire payer. Car ce qu'il fallait bien évidemment retenir de tout ça, c'était que Sully ne ferait jamais le moindre mal à la jeune femme, ce dont Enoch était en fait convaincu, lui qui exprima l'idée selon laquelle Ismène était alors entre de bonnes mains. C'est honnêtement ce que Sully aimait lui-même penser, étant donné qu'il n'estimait pas être quelqu'un de monstrueux. Il n'était pas parfait, c'est certain, mais il ne pourrait pas faire souffrir la femme qu'il aime délibérément. Et tout ça ne faisait en tout cas que lui confirmer une chose qu'il savait en soi depuis déjà un moment, à savoir qu'Enoch était quelqu'un de bien. Il avait ce petit coté protecteur vis à vis d'Ismène que Sully trouvait admirable. En cela, il aurait tout aussi bien pu être qualifié de 'quelqu'un de formidable', c'est clair, bien que Sully l'ait dit à cet instant sur un ton plus plaisantin qu'autre chose. Quant au reste, il est vrai qu'il regretta rapidement de s'être embringué sur un terrain pour le moins délicat. Parler de sexualité, il ne faisait pas ça tous les jours. Ni avec l'un de ses amis, ni avec qui que ce soit d'autres. Disons que ça n'était pas un sujet qu'il estimait maitriser à la perfection et qui avait tendance à le gêner légèrement. Alors sans doute aurait-il du s'abstenir de chercher à savoir si Enoch désirait Avalon, parce qu'à la base ça ne le regardait pas. Mais alors qu'il aurait pu se voir envoyer paître, ce ne fut pas le cas. Et Sully prit alors conscience qu'Enoch était décidément une sorte de perle rare, lui qui disait pouvoir s'accommoder de n'importe quelle situation pour Avalon. En cela, oui, celle-ci avait beaucoup de chance de l'avoir. Et manifestement, Enoch s'estimait tout aussi chanceux. « Vous êtes deux personnes remarquables qui se sont manifestement bien trouvées » souffla-t-il alors, tout à fait sincère. Avalon était sans doute la meilleure chose qui soit arrivée à Enoch dernièrement et il pouvait imaginer que la réciproque était vraie. Ce qui était en tout cas certain, c'est que Sully se sentait un peu moins seul avec des idéologies qui lui avaient maintes fois valu des moqueries. « Voilà, c'est exactement ce que je pense moi aussi. Et pour être honnête, je suis au fond assez fier d'avoir ce genre de principes, à une époque où tout ça se perd et où on nous présente le sexe comme quelque chose de tout à fait banal et qu'on aurait manifestement tort de ne pas partager avec n'importe qui. » Ce n'était pas la vision qu'il avait des relations intimes, lui. C'était plus symbolique à ses yeux. En tous les cas, il était effectivement parvenu à ouvrir sa canette sans provoquer de dégâts. En soi, oui, c'était surtout pour tenter un changement de sujet. Et c'est justement ce qu'Enoch perçut, après s'en être amusé. « Je dois admettre que ça n'est pas un sujet que j'évoque avec aisance, et je suis d'ailleurs désolé d'avoir trouvé le moyen de le mettre sur le tapis ... » Et ainsi donc, oui, il aimerait autant passer à autre chose. Et c'est alors qu'Enoch en vint à lui parler de ses films. Pour du changement, c'en était. Et il va de soi que c'était une chose que Sully pouvait évoquer sans jamais s'en lasser. « Je les qualifie souvent de 'films d'auteur', car ils sont assez représentatifs de ma manière de penser et de voir le monde qui m'entoure. En soi, ce sont des films qui n'ont rien d'extravagants et qui contrastent même nettement avec ceux qu'on trouve généralement dans les cinémas d'aujourd'hui. » Il partait même souvent du principe qu'ils ne pouvaient pas plaire à un public non averti et qui s'attendrait à quelque chose de très 'actuel'. Non, a contrario, ses films étaient assez désuet. Il faut qu'il avait toujours eu le sentiment de n'être pas né à la bonne époque. « Je ne crois pas t'avoir déjà interrogé sur ta profession ... Je me souviens t'avoir pensé astronome lors de notre tout premier échange, mais ça me parait moins plausible à présent. » Il se mit à rire légèrement, repensant à ce fameux soir dans la tour verre, étant en effet curieux d'en savoir plus quant au métier d'Enoch.

Je me sens en confiance quand je suis avec Sully. J'ai tendance à me méfier des autres d'habitude. Il dégage une aura particulière, apaisante et chaleureuse. Un homme intègre et humble. Je me retrouve en lui. Je suis content de savoir Ismène entre de bonnes mains. Ils sont faits l'un pour l'autre, malgré leurs différences de caractère.  Ils sont compatibles. Je leur souhaite tout le bonheur du monde, car ils méritaient d'être heureux ensemble. Nous discutons autour d'une bière. Il est à peine vingt-et-une heures. On n'est que tous les deux dans le réfectoire. Personne autour pour venir nous déranger. Je suis en bonne compagnie. Que demander de plus ? Je ne pensais pas parler de sexualité avec lui, ce soir. Je ne me sens pas offusqué. Cela ne m'a pas dérangé d'en discuter bien que ce soit un peu délicat. Nous partageons la même vision de la chose. - Je suis content d'entendre que des gens comme toi ne prennent pas ce sujet à la légère. Au moins, il ne fait pas parti de ceux qui profitent des joies de la bonne chair en overdose. Je le vois mal en coureur de jupons invétéré. Il semble accorder de l'importance à l'aspect intime de l'acte. Je me dis que nous sommes nés à la mauvaise époque. Les jeunes d'aujourd'hui ne pensent plus ainsi. Je ne les juge pas. Les bonnes valeurs se perdent, c'est tout. Je constate que mon camarade est tout de même un peu gêné en parlant de cela. Je lui fais une tape amicale sur l'épaule. Il n'a pas être désolé. - Ce n'est pas grave, tu sais. Ça m'a fait du bien d'en parler avec toi. Je discute rarement de ce genre de choses. Ce n'est pas non plus ma tasse de thé. J'ai connu très peu de femmes dans ma vie. Ma vie sexuelle approche du néant jusqu'ici. C'est un choix que j'ai fais. Je ne suis pas quelqu'un qui offre mon corps à la première venue. Ce n'est pas mon genre de faire du rentre dedans. Je suis incapable de courtiser une femme. Bref, un vrai néophyte. J'aborde un sujet complètement différent. Le cinéma. Il me parle de son métier de cinéaste. Je l'écoute avec beaucoup d'intérêt. C'est un dommaine artistique qui m'a toujours fasciné. Un peu embarrassé, j'avoue : - Ma culture cinématographique est limitée. Je ne sais même pas ce qui se fait aujourd'hui. Je me suis arrêté aux vieux films. Et puis, je n'ai pas le temps d'aller au cinéma. Je trouve que tu as une démarche beaucoup plus artistique du cinéma. Je n'y connais pas grand chose, mais je pars du principe que l'art est une approche personnelle du monde. Je le vois vraiment comme un artiste parce qu'il fait cela de façon désintéressé. C'est un passionné, je le sens. J'aimerai voir un de ses films un jour pour me faire une idée sur son univers. Il me retourne la question. - En vérité, je suis menuisier-ébéniste. Je construis, je rénove, j'embellis des meubles pour des particuliers. Je travaille à mon propre compte. J'ai un atelier et quelques employés à ma charge. Sinon, je fais tout moi-même. C'est une vocation qui m'est venu tardivement. A la base, je n'étais pas à destiner à ce genre de métier, mais les choses changent avec le temps. Mon apprentissage, je l'ai fait sur le tas. Je suis quelqu'un de manuel depuis l'adolescence. J'ai toujours aimé réparer et construire des choses.