feat. woody

Plus j'évoluais ici, plus j'avais l'impression terrible que j'aimais plus que tout ma solitude. J'étais rarement seule, pourtant. Mais j'en avais toujours la possibilité. Peut-être était-ce là toute la différence. L'impression d'imploser. Les paroles que vous ne pouviez faire taire, les sourires qui vous menaçaient, les cris stridents à vous foutre la migraine. J'en avais mal au ventre, j'en avais la tête qui tournait. Et ce n'était encore que le deuxième jour, à peine. Sitôt avais-je ouï qu'une salle de sport était à notre disposition de mon oreille trainante malgré moi, j'avais foncé me changer et avais pris la direction du centre de remise en forme. Quelque chose me disait que, bien qu'on ait foutu quelques gravures de mode en l'enceinte de ce bâtiment, le lieu demeurerait relativement vide. Et j'avais raison : pas âme qui vive alentour. Ou pour l'instant tout du moins. Peut-être qu'après trois semaines de paresse et de farniente, certains se réveilleront tout à coup, les yeux rivés sur leur bide bedonnant. Ce n'était pas ma politique. Avant tout parce que courir m'aidait à repousser mes limites. Ca vous forçait à faire le vide, dès que votre corps se mettait à puiser dans vos dernières forces, réclamant alors votre entière concentration. La concentration sur l'objectif. Ce jeu était une course. Et j'avais clairement besoin qu'on m'en rappelle après quoi je m'apprêtais à courir avec tant d'ardeur. J'installais mes écouteurs au creux de leur habitacle.

Le phénomène commençait à opérer. Vingt minutes que je tenais un rythme soutenu, le cardio-training m'indiquant d'une lumière rouge l'intensité à laquelle était portée mes efforts. Il était temps de passer à la vitesse supérieure. J'accélérais. Dans une partie brouillée de mon champ de vision, la porte, elle, s'ouvrait.

J'étais perdue dans mes pensées. L'effort déployé avait eu l'effet escompté : il m'avait envoyée vers un autre monde, où la plénitude m'habitait, et où le stress de ces derniers jours se voyait réduit à néant. Je n'étais plus concentrée que sur la fin de cette course, l'atteinte de ce but déroutant. Alors forcément, quand je me rendis compte qu'un gars était planté devant moi, je fus prise d'une véritable frayeur. D'un bond, je sautai hors du tapis de cardio, de crainte de m'emmêler les pieds et de chuter sur l'appareil. Croyez-moi, ce n'était pas une expérience plaisante, j'en avais tiré de bonnes leçons. D'un geste sec, je décroche mes écouteurs de mes oreilles avant de porter la main jusqu'à mon coeur qui bat la chamade : l'énergie déployée et la peur qui m'a prise s'emploient ensemble à me faire frôler la crise cardiaque. « Tain mais ça va pas ! T'aurais pu... » Je réfléchis à ce qu'il aurait pu faire pour m'éviter une telle surprise, mais je ne parviens pas à m'en tirer cette fois-ci. Un point pour Woody. « Ouais... Peu importe. Salut. Tu voulais quelque chose ? » Non parce qu'à rester planté là en attendant une réaction de ma part, ça en a tout l'air. Même si je ne vois pas bien ce qu'il pourrait me vouloir. C'est pas le mec aux cacahouètes et aux bananes ? Hm, dit comme ça, ça sonne étrange.