SAYID & @LEANDRO
mercredi 11 mars - 18:07

Trois jours lui avaient été plus que suffisants pour retenir tout ce qu'il lui semblait y avoir à retenir, du prénom de chacune des trente-neuf personnes qui peuplaient ce que la production avait décidé de nominer "abysses" sans qu'on sache jusqu'où au juste ils avaient souhaité pousser la référence, en passant par l'itinéraire le plus court pour rejoindre chacun des points stratégiques du campement, sans oublier les horaires qui avaient commencé à se démarquer d'eux-mêmes. Plus sa tête se remplissait de détails que d'autres considéreraient comme futiles plus il se sentait rassuré, et des détails il en avait déjà accumulé tout en tas depuis dimanche soir. Pas assez cependant pour avoir le courage de s'infliger plus que de raison brouhaha et mouvement de groupe. Raison pour laquelle lorsque le soleil avait commencé à baisser il avait quitté le campement pour prendre la direction de la forêt ; Sans montre ils n'avaient que le soleil pour se repérer, et lorsque le jour commençait à perdre beaucoup avaient l'idée saugrenue de se regrouper autour des tentes, comme si la solitude leur faisait horreur. La solitude était un état naturel, pourtant, et Sayid y faisait particulièrement honneur en la recherchant dès qu'il en avait l'occasion. Il prenait sur lui la journée, comprenant bien que rester dans son coin ne jouerait pas en sa faveur, mais nier totalement sa véritable nature n'était pas envisageable. L'agacement avait donc été sa première réaction lorsqu'il avait emprunté le sentier principal de la forêt - qui à ses yeux n'en avait que le nom - et réalisé qu'une autre personne arrivait en sens inverse. Comme toujours pourtant il n'avait laissé que très peu de temps à sa véritable nature pour exprimer son mécontentement, et la seconde suivante son masque d'impassibilité avait repris ses droits. « Leandro. » Ce n'était pas du baratin, lorsqu'il assurait avoir déjà retenu l'identité de tout le monde. Quoi qu'il confondait encore Tia et Adélie, et Ziggy et Hugo, mais cela ne durerait pas longtemps, et comme il n'était question d'aucun des quatre à cet instant cette pensée n'avait rien à faire là. « C'est toi, le petit pro du camping. » Ce n'était même pas une question, simplement une observation de la part du britannique, quoi que l'on pouvait ergoter sur la véracité du terme "pro" ... Mais parait-il que la flatterie passait toujours bien, tant que l'on ne savait pas véritablement à qui on avait affaire. Et si ce qu'il avait pu observer du jeune homme jusqu'à présent lui laissait penser qu'il avait affaire à quelqu'un d'aussi inoffensif que bien intentionné, Sayid préférait comme à son habitude jauger les gens par lui-même avant de les ranger définitivement dans une des cases qui peuplait son esprit.

Même la forêt lui semblait aseptisée. Comme si la production avait choisi cet endroit justement parce que la forêt semblait sortir d'un magazine de sport qui vous vanterait les mérites du footing en extérieur à coup de grandes photos d'endroits idylliques et immaculés. C'était comme si aucune branche ne dépassait, comme si chaque feuille et chaque oiseau avaient été placés là par un expert en design soucieux de l'allure générale que tout cela aurait sur un écran de télévision ... Et Sayid trouvait cela d'un ennui mortel. La nature était à ses yeux faite pour être sauvage, uniquement, bien avant d'être télégénique. Y'en avait un en tout cas ici qui semblait comme un poisson dans l'eau : Leandro semblait apprécier cette semaine de camping forcé autant que certains semblaient prêtes à vendre père et mère pour un lit et un petit déjeuner quatre étoiles. « Sayid … ? » Le barbu avait acquiescé d'un léger signe de tête, quelque peu surpris - mais pas dans le mauvais sens - de voir que quelqu'un avait réussi à retenir son prénom. « Pro c’est un bien grand mot … Mais c’est un environnement que j’aime bien oui. » Et rien que pour ça il gagnait des points aux yeux de Sayid, vis-à-vis de ceux qui pleurnichaient parce que le sol n'était pas aussi confortable que leur matelas king-size habituel. « Je trouverais marrant que le reste du jeu se passe ici au final … » A ce point ? Sayid avait secoué la tête d'un air légèrement dubitatif. Ce n'était pas si terrible, qu'on se le dise, et probablement qu'il se sentait plus à sa place dans ce genre d'environnement que dans ce qui semblait se cacher de l'autre côté du grand portail, mais le champ d'occupations restait quand même assez limité. « Avec un peu plus de distractions, alors. On se tourne les pouces un peu trop facilement ici ... » Et Sayid avait parfaitement horreur de ça, l'inactivité. Le souci c'était qu'il n'y avait pas trente six façons de s'occuper pour l'instant, l'absence de mobilier et l'espace restreint ne laissait que la marche, la cuisine, la vaisselle et l'entretien du feu comme occupations. Et à quarante personne cela faisait un peu léger, quand bien même certains avaient tout de suite brillé par leur capacité à laisser les autres s'occuper des corvées ménagères. « Mais je vois que tu sembles avoir trouvé comment t'occuper. » avait-il cependant fait remarquer en désignant du regard la machette que le jeune homme tenait à la main. L'environnement ne nécessitait pourtant pas spécialement qu'on se fraie un passage à la machette, à priori. « Dis moi, t’es pas … t’es pas un peu vieux pour participer à ce jeu … ? » Le garnement avait décidé de changer de sujet, et devant l'air dubitatif de Sayid qui n'avait pu s'empêcher d'arquer un sourcil Leandro avait ajouté presque aussitôt « Enfin … c’est pas méchant hein … C’est juste que c’est inhabituel … » Ça l'était peut-être, Sayid n'en savait rien au fond, il avait tenté de se faire briefer rapidement avant son départ pour Dublin, histoire de ne pas avoir totalement l'air d'être là par hasard, mais il serait bien incapable de citer le nom d'un ancien candidat, ou l'âge de l'un d'entre eux. « Non, j'ai compris. Inhabituel. » avait-il alors répété dans un premier, temps, cherchant une réponse adéquate à la question. « Mais je ne pense pas qu'il y ait un âge maximal pour avoir besoin d'argent. » Parce qu'il était là pour ça, l'argent, et il ne fallait pas se leurrer celui qui vous dirait qu'il n'en avait rien à foutre des euros à la clé était un hypocrite. « Ce n'est pas pour ça que tu es là ? » avait-il tout de même demandé d'un ton neutre. Ce n'était peut-être pas sa raison principale à lui, ou pas la seule en tout cas ... Il n'en savait rien Sayid, ce qui pouvait pousser un jeune à participer à cette émission.

Spoiler:

Sur le principe lui non plus, cela ne le dérangeait que moyennement cette histoire de camping, de tente et de feu de camp ... Une douche aurait été des plus appréciée en revanche, et la possibilité de ne pas garder les mêmes fringues sur le dos des jours et des jours, mais en dehors de ça il était persuadé de pouvoir s'y faire. Si ce n'était pour l'ennui. L'ennui qui en moins d'une semaine lui donnait déjà l'impression d'en avoie subie trois, tant les activités manquaient et tant les candidats s'entassaient des ces "abysses" à l'authenticité discutable. « Parce que tu penses qu’il y aura beaucoup plus à faire quand on sera vraiment dans le jeu ? » Beaucoup ça il n'en savait rien, même s'il espérait bien avoir l'occasion de le constater par lui-même, mais cela ne serait jamais pire que cette semaine en tout cas, il était métaphoriquement prêt à en mettre sa main à couper. « Je pense que l'on appréciera d'autant plus ce qu'on aura sous la main, après avoir passé cette semaine à considérer le tri du garde-manger par couleurs et par type de vitamines comme une activité envisageable. » Le désespoir était à ce point, oui. Quoi que Sayid n'en était pas encore arrivé là, mais quelqu'un en revanche avait franchi la ligne jaune, puisqu'il avait retrouvé les pommes en dégradés de couleurs et les citrons rangés près des bananes. Leandro lui semblait avoir trouvé un autre moyen de s'occuper « Je comptais construire un piège à lapins. Tu veux m’aider ? » Un rictus mauvais était apparu sur les lèvres de Sayid tandis que ses prunelles se fixaient sur le jeune homme. Un piège à lapins. A lui qui avait déjà considéré d'un mauvais œil les simagrées de Gigi exigeant que l'on tue un pauvre papillon de nuit. « A moins que le garde-manger ne soit entièrement vide, je vais passer mon tour. » Et Sayid faisait déjà un véritable effort pour ne pas avoir l'air réprobateur. Il comprenait la nécessité de la chasse, le fait que l'homme soit programmé pour se nourrir de tout, tout ça, il comprenait le principe et n'avait pas pour volonté de le remettre en cause ... Mais en revanche, l'idée de s'en prendre un animal dans l'unique but de tromper l'ennui le dépassait totalement. Alors il ne fallait même pas espérer le voir un jour prendre part à ce genre d'activités. Préférant par conséquent changer de sujet, avant que son opinion du jeune homme ne vire en très mauvaise - c'était quelque chose que Sayid contrôlait très mal, et puisque possédant une forte tendance à l'excès il préférait noyer rapidement le poisson dans ces cas là - il avait tenté de se concentrer entièrement sur la question de Leandro. Et la réponse était toute bête, il était là pour l'argent et à vrai dire il s'étonnait que si peu de monde déclare être là pour les mêmes raisons (ou du moins n'ait l'honnêteté de l'avouer). « Pas vraiment … Je ne roule pas sur l’or, mais bon je me débrouille. » Bon, alors disons donc que Leandro était là pour une cause plus noble, si cela lui faisait plaisir. Il ne cracherait pas sur le pognon pour autant, et en même temps qui l'en blâmerait ? Certainement pas Sayid. « J’avais envie de me faire violence … Peut être que ça pourrait me faire gagner en confiance, qui sait ... Entre autres … » Ouais, il voyait plus ou moins où le gamin voulait en venir. Ce qui n'était pas totalement con au fond, bien qu'un peu radical, mais c'était la définition même de "se faire violence" et Sayid était bien placé pour savoir que cette expression pouvait prendre des formes diverses et variées. « Mais bon c’est clair que je ne cracherais pas sur le chèque. » Nous y voilà. « Et t’as besoin d’argent pour quoi ? » Sayid avait arqué un sourcil, la question lui semblant tout à coup affreusement intrusive, alors que pourtant il estimait n'avoir rien à cacher. En dehors du secret dont il fallait être porteur pour espérer être candidat, soit. « Enfin désolé … T’es pas obligé de me répondre … » En effet, rien ne l'y obligeait, et à vrai dire si Leandro ne s'était pas repris tout seul à ce sujet Sayid ne se serait absolument pas gêné pour le lui faire lui-même remarquer. « Je sais. » lui avait-il d'ailleurs répondu d'un ton tout ce qu'il y avait de plus sérieux. « Pour préserver mon mode de vie actuel. » La réponse en elle-même n'avait pas grand sens, et ne voulait rien dire si elle n'était pas plus développée que cela, mais pourtant Leandro devrait s'en contenter puisque Sayid n'avait pas l'intention de se montrer plus loquace à ce sujet. « Je vais te laisser à tes lapins. » avait-il ajouté d'un ton neutre, ses yeux glissant une dernière fois des yeux du jeune homme à ses mains et à la machette qu'il tenait. S'il se concentrait assez il pouvait presque avoir l'image du sang de cette pauvre bête dégoulinant sur la lame aiguisée, et il préférait se retirer avant d'être l'auteur d'une réflexion réellement désobligeante à l'encontre d'un petit gars qui en dehors d'une passion discutable pour le massacre de petits animaux ne semblait pas bien méchant. Bonjour le paradoxe. « Ton lacet est défait. » cette dernière précision était là encore rajoutée avec le plus grand sérieux, comme si ce détail que Sayid avait remarqué dès les premières secondes lui paraissait trop crispant pour qu'il ne puisse se retenir de le faire remarquer avant de passer son chemin. Et d'ailleurs, il avait profité de ce que Leandro baissait les yeux ver ses baskets pour s'éclipser sans rien ajouter de plus.