W/Tweedy

Méthodiquement, parce que la discipline syrienne tout comme l'organisation des cuisines londoniennes m'ont imposé cette valeur, j'ouvre avec soin l'unique bagage que j'ai emporté dans le nid d'amour trois semaines plus tôt. Les compartiments, béants sous mes yeux bruns, affichent un vide désespérant qui témoigne de mon aisance dans ce château. Du moins, jusqu'à aujourd'hui. Délicatement, je me saisis des premiers t-shirt que j'ai plié préalablement, les entassant dans un coin du boitier d'aluminium, avant de faire de même avec une pile de jean et de chino qui ne tient que difficilement dans l'étroite valise. Insatisfait, je réorganise le tout, agenouillé contre la moquette du dressing, réorganisant l'espace, l'optimisant de telle manière que je n'aurais pas à m'y reprendre une nouvelle fois au moment de boucler le tout. La langue coincée au coin des lèvres, je glisse quelques uns de mes livres favoris dans la fente destinée à cette effet, avant de faire de même avec le petit argentique que j'ai emporté dans la maison, ainsi que l'ipod et le beat qui m'auront tenu compagnie plus que quiconque ici. Mes derniers effets personnels terminent de débarrasser le sol, je rabats ma valise en une seule et même partie compacte avant de la fermer, avec une aisance qui ne m'étonne qu'à peine. Aucun souvenir n'est susceptible de pouvoir la combler au point qu'elle ait dû mal à se fermer. Je me redresse, suffisamment rapidement pour percevoir dans mon dos des bruits de pas. Je m'empresse de me tourner au moment où Tweedy entre dans la pièce, me faisant face. Je l'accueille d'un petit sourire forcé, silencieux, me glissant devant le bagage imposant de telle manière qu'elle ne pourrait l'apercevoir. Si seulement il n'était pas plus large que moi. Je me mords les lèvres. « Toi avoir dormi bien? » Je lui lance dans un français approximatif et hésitant, puant de fausseté tant je force les accents joyeux de ma voix.

Le dressing. Tweedy devait s'y rendre. Elle ne savait pas tellement pourquoi, elle ne savait pas tellement si c'était dans l'immédiat ou non, mais elle devait s'y rendre d'une manière ou d'une autre. Et donc, puisque son instinct semblait vouloir l'y conduire, elle se décida à s'y rendre dès maintenant, histoire d'en avoir le cœur net. Qu'était-elle censée y trouver ? Un cadavre ? Oh pitié, non. Peut être son coté maniaque venait-il simplement lui pourrir la vie jusque dans son inconscient et qu'elle était juste censée mettre un peu d'ordre dans cet endroit perpétuellement dérangé ? Oui, peut être. Quoi qu'il en soit, c'est déterminée à comprendre pourquoi elle avait tant l'impression de devoir se rendre dans un pareil lieu que la jeune femme en prit la direction, d'un pas plutôt pressé il est vrai. De toute manière, si rien ne s'y était passé, elle aurait vite fait de revenir sur ses pas pour aller vaquer à d'autres occupations. Mais alors que la jeune femme pénétra dans la pièce, elle tomba sur Hamad. Oh, que faisait-il ici tout seul ? Hm, visiblement pas grand chose. A première vue, du moins. Car la jeune femme ne vit pas tout de suite que quelque chose clochait, et se contenta de lui sourire grandement. Elle appréciait Hamad, et le voir ne pouvait que lui faire plaisir. Et lorsque ce dernier prit la peine de s'adresser à elle en français - ou dans une langue qui y ressemblait drôlement - et le tout sur un ton particulier, elle se mit à ricaner légèrement. « Demande-t-il dans un français guère meilleur que le mien, et sur un ton douteux » s'exclama-t-elle alors. Oui parce que, Tweedy était peut être française, mais elle parlait généralement anglais, ne serait-ce qu'avec sa famille. Du coup, elle n'en était pas encore à lire du Baudelaire en langue originale, hm. « J'ai excellemment bien dormi, et t... » fit-elle spontanément, sans terminer sa phrase. En effet, le regard de la jeune femme s'était entre temps posé sur une valise que semblait vouloir cacher son camarade. Mais qu'était-ce que cette valise, au juste ? D'un coup, la mine de Tweedy se fit moins joyeuse. L'heure était-elle grave ? « Qu'est-ce que c'est que cette valise ? » demanda-t-elle alors, d'une petite voix. Et là, elle espérait qu'il ne lui dirait pas ce qu'elle redoutait d'entendre à cet instant précis.

Elle me fait remarquer mon ton douteux, aussi je m'empresse de rire afin de masquer la trace d'un quelconque gêne, ce qui s'avère plutôt convaincant. Je pousse un peu la valise dans la penderie, sans grand succès en revanche. Aussi je choisis d'adopter une attitude désinvolte. « Qu'est-ce qu'il a mon ton Madame? Encore traumatisée de la dernière fois? » Je lui demande en souriant, m'avançant vers elle. Elle m'apprend qu'elle a effectivement bien dormi, j'hoche calmement la tête sans pour autant ajouter quoique ce soit. Disons que cette conversation s'apparente à la pluie et au beau temps, je n'y trouve pas de grand intérêt à argumenter. Je pourrais lui poser des questions sur ses rêves, attirer son attention sur la qualité des matelas et le mal de dos qu'elle pourrait éventuellement trainer si comme moi, elle ne les supporte pas. Trop tard puisque Tweedy se coupe aussitôt dans son élan en remarquant ce que je cache dans mon dos. Ma mine s'assombrit en un sourire pincé, je croise les bras contre ma poitrine, sur la défensive. Haussant les épaules, je balaye d'un mouvement souple de la main sa question. « Rien qui soit susceptible de t'intéresser, laisse tomber. » Je lui fais d'une voix nonchalante en glissant finalement mon bras sur ses épaules pour l'attirer hors de la pièce. J'ai remarqué la perplexité sur son visage, et tâche de tempérer les dégâts en m'éloignant de ce qui la tracasse. Non, vraiment, cela n'a aucune importance. Je combats sa résistance en la poussant délicatement vers la porte. « Tu as mangé? Tu veux que je te fasse des crêpes? » Je lui demande en déposant furtivement mon doigt contre son petit nez.

Le ton utilisé par Hamad était douteux. Oui, véritablement douteux. Pourquoi ? Tweedy n'en savait rien. Pour le moment, en tout cas. Car leur discussion portait à cet instant précis uniquement sur le fameux ton du jeune homme, justement. Et donc, pas évident d'en deviner la cause d'en l'immédiat. Visiblement, la remarque de la petite brune suffit à amuser le jeune homme, qui se mit à rire légèrement. Tweedy afficha alors un sourire quelques peu amusé. « Il est comme toi, il est bizarre. Mais attends ... tu viens de m'appeler "Madame" ?! » Une mine surprise - quoi qu'amusée - prit alors place sur le minois de la jeune française. « On croit rêver. Je te signale que tu fais office de vieux crouton face à ma jeunesse » reprit-elle, entre deux éclats de rires. Okay, elle en rajoutait un peu, mais c'est lui qui avait commencé, hein. « Et, oui, je suis toujours traumatisée. Dix ans de psy ! Il me faudra dix ans de psy pour parvenir à oublier cet incident ! » Là encore, Tweedy misait tout sur l'exagération. Chassez le naturel, il revient au galop.

Mais voilà que le ton amusant de la discussion se fit plus tendu par la suite. Il faut dire que la valise dissimulée derrière Hamad avait eu le don d'intriguer Tweedy. Pourquoi cette valise ? Et pourquoi semblait-elle pleine, d'ailleurs ? Cela avait-il un rapport direct avec le ton pour le moins étrange de tout à l'heure ? Tant de questions qui ne trouvaient pour le moment aucune réponse. Mais Tweedy osait espérer que ça ne saurait tarder. Lorsque la jeune femme questionna son camarade au sujet de la fameuse valise, celui-ci prétendit que ça n'était rien qui pourrait l'intéresser. Ben voyons. A d'autres, hein. « J'te crois pas » lâcha-t-elle alors, en fronçant doucement les sourcils. Et voilà qu'Hamad osait l'attirer en dehors de la pièce, comme pour noyer le poisson. Il était sérieux là ? Visiblement, oui. Évidemment, Tweedy n'était pas décidée à en rester là, si bien qu'elle se débattit légèrement. Elle ne voulait pas quitter cette pièce. Pas tant qu'elle n'en saurait pas plus. Hamad lui demanda par la suite si elle avait mangé, si des crêpes lui diraient, tout en posant un doigt sur son nez. D'un geste délicat, la petite brune vint alors choper le dit doigt, ou plutôt la main du jeune homme, qu'elle serra dans la sienne. « Ne change pas de sujet, s'il te plait » annonça-t-elle alors sur un ton plutôt doux. « Je ne veux rien avaler, je veux juste savoir ce qui se passe. Dis-le moi. » Est-ce que c'était assez pour le convaincre de parler ? Hum ... « Hamad, dis-le moi, je t'en prie. » Là, c'était sans doute assez.

« Ma vieillesse? Pardon, tes paroles font généralement tellement preuve de maturité que j'en oublie parfois que tu n'es qu'un bébé. » Je lui réponds, narquois, en ébouriffant ses cheveux comme le ferait un père avec son enfant. De manière à l'enfoncer un peu plus dans cette état de benjamine de la maison, à deux-trois candidats près. « Dix ans? Tu me vexes.. Ma dernière victime en redemandait encore après seulement deux minutes. » Je réplique face à sa déclaration, ou plutôt sa plainte, en adoptant une attitude des plus suggestives. Je fais quelques pas vers elle, épaules légèrement en arrière, poitrine bombée et regard lubrique, avant de laisser s'échapper d'entre mes lèvres un rire grave.

Mes tentatives de changer de sujet s'avèrent pourtant vaines. C'est sans compter sur la détermination de la demoiselle à découvrir ce que je peux bien dissimuler derrière cette valise lourde de signification. Entêtée, elle se débat lorsque je tente de l'attirer hors de la pièce, aussi je lui simplifie la tâche en retirant mon bras de son épaule, le croisant sur son jumeau contre ma poitrine. Sur la défensive, je l'observe avec perplexité, les rides du soucis creusées sur mon front mat. Que dire? Comment se justifier? Je tâche d'adopter une attitude des plus décontractées, pourtant j'en suis incapable, et lorsque Tweedy choppe ce doigt que je pointe vers elle, je suis tellement déstabilisé que je glousse aussitôt de rire en coulant sur elle un regard incrédule. « Mais... » Ses supplications me perturbent. Je fais la moue et lève les yeux au plafond, pris au dépourvu. Je pèse le pour et le contre dans mon esprit, lui confier ce que j'ai déjà confié ultérieurement au confessionnal? Allons. Je pense pouvoir lui faire confiance. En espérant que cet aveux ne se retourne pas contre moi, plus tard dans l'aventure. J'hausse donc les épaules, baissant les armes, et l'attire vers le petit fauteuil de la pièce sur lequel je m'installe avant de l'asseoir sur mes genoux. « Qu'est-ce qui t'affole autant? » Je lui demande pour commencer, tirant le bagage à roulette vers nous, de manière à poser l'objet de sa détresse sous ses iris hagardes.

Un bébé ? Alors pour lui, Tweedy était un bébé ? C'était une honte. Oui, une vraie honte. En plus, voilà qu'il se permettait d'ébouriffer les cheveux de la jeune femme. Ah ben bravo, décidément. La jeune femme arbora alors une moue légèrement contrariée, avant qu'un sourire amusé prenne rapidement place sur ses lèvres. Ouais bon, il la faisait bien rire quand même. Son sourire se transforma par la suite en éclat de rire lorsque son camarade revint sur les paroles de Tweedy. Il se la pétait légèrement, ou quoi ? Ouais ouais, visiblement. « J'aime cette allure tout à fait naturelle » lui adressa alors la jeune femme, toujours amusée. Oh oui, il était beau comme un camion comme ça. Oui, oui.

Mais vint bientôt l'heure des explications. Enfin, pas tout de suite disons. Car Tweedy était encore dans la phase gros doute pour l'instant. Lorsque son camarade tenta de l'attirer au dehors de cette pièce, il va de soi qu'elle ne se laissa pas faire, se débattant légèrement, comme une petite chipie entêtée qu'elle était. Elle voulait savoir ce qu'il lui cachait, ce qu'il cachait aux autres aussi, ce que cachait cette valise surtout. Qu'est-ce que tout cela pouvait bien signifier, au juste ? Elle n'en savait rien. Et ça, c'était clairement problématique. Tweedy attrapa par la suite le doigt que son camarade avait précédemment posé sur son nez, histoire de lui faire indirectement comprendre qu'il n'allait pas réussir à la piéger avec sa gestuelle adorable. Ah non. Hamad se mit à rire légèrement, et Tweedy arbora une mine déterminée. Parce qu'elle l'était. Déterminée à savoir, oui. Bon, allait-il cracher le morceau ? C'est ce qu'elle espérait. Pour le moment, Hamad alla s'assoir sur le fauteuil qui se trouvait non loin d'eux, faisant assoir Tweedy sur ses genoux. Pour le coup, on aurait vraiment dit une gamine, m'enfin, ça n'était pas tellement le moment de s'en préoccuper. La valise était là elle aussi. Cette valise qui intriguait tant Tweedy. Il voulait savoir ce qui l'affolait. C'était évident, non ? « Cette valise, fermée, et probablement pleine » avoua-t-elle alors, le regard planté dans le sien tandis qu'elle demeurait assise sur ses genoux. « Alors la vraie question est plutôt : qu'est-ce qu'elle signifie ? » Tweedy jeta un nouveau coup d’œil à la valise, avant de reporter son regard sur son camarade. « Qu'est-ce que ça signifie ? » reprit-elle. Oui, elle insistait. Et ce sera pire s'il ne crachait pas le morceau dans la minute, soyez en sûrs.