Loxias au confessionnal !

Nora, quel secret penses-tu avoir découvert ?

TOUDOUDOU ! TOUDOUDOU ! TOUDOUDOU ! L’alarme retenti, comme un milliard de fois par jour. Et j’exagère à peine. C’est donc tout naturellement, en pliant mon linge sur le lit, que je me déhanche légèrement en répétant d’une voix nasillarde « Ici Radio Londres, la France parle aux français... Je répète, la France parle aux franç... » Je n’ai pas le temps de finir ma phrase, que celle de Cupidon retenti pour nous informer que Loxias est attendu au confessionnal. Mon cerveau est tellement lent, que j’ai même le temps de penser “pauvre vieux” avant de comprendre qu’il s’agit de moi. J’suis pas habitué, ce n’est que la deuxième fois qu’on me buzz. La dernière fois, Swann n’avait pas confirmé, mais peut être que son idée s’est affinée entre temps, et qu’elle ressent le besoin de me buzzer encore ? Je laisse mon linge en vrac sur le lit, en priant pour que Sive ne tape pas une crise puissance huit, et balance tout par la fenêtre en hurlant après mon bordel, et je prends la direction de la sortie. Dans les escaliers je crois la blonde platine, et ma curiosité teintée d’appréhension se réveille. Si ce n’est pas elle, alors... Qui ? Je décide de ne pas courir jusqu’à la cabane, histoire de conserver un semblant de dignité, et en profite pour me griller une clope en chemin pour calmer mes nerfs contorsionnistes. Ma main se pose sur la poignée, mes paupières se referment en même temps que mes doigts. J’inspire, j’expire, et je pousse la porte en affichant un air confiant. Masque imperturbable et impénétrable au visage, je parviens à masquer totalement ma surprise de voir Nora me faire face. En même temps, j’aurais du m’en douter, elle est perspicace et ses questions de la dernière fois le prouve. Je réponds à son sourire, et m’installe dans le canapé opposé au sien. Elle commence par s’excuser si, d’aventure, elle peut me blesser sans le vouloir, de part ses théories ou éventuelles questions. C’est le jeu, je suis là pour entendre des supputations à mon sujet, alors j’imagine bien que certaines peuvent faire sourire, d’autres moins. Je ne me vexerais pas. Pas pour si peu. C’est marrant, elle semble plus nerveuse que moi. A ce constat, ma propre nervosité s’apaise, baissant d’un ou deux degrés, et rendant ma position bien moins désagréable. Et finalement, elle se lance... Hum... Enfants combattants qui auraient désertés, alors ? Je fronce les sourcils, seule et unique réaction qui m’échappe. « En Grèce ? » je lui demande finalement, parce qu’à ma connaissance, il n’y a jamais eu de combat de cette envergure dans le pays. « Et donc, j’aurais déserté en étant enfant, et... Mineur ? » Je frotte ma nuque, avant de me résoudre à lui poser la seule question qui compte vraiment : « Comment tu en es venue à cette conclusion ? »

Chaque confrontation est différente, paraît-il. Je n’en suis qu’à ma deuxième, mais je peux d’ors et déjà confirmer ce fait. L’ambiance est moins tendue, moins pesante, et Nora est définitivement plus bavarde que Swann. Ça ne me dérange pas. J’écoute ce qu’elle a à dire, et dois bien avouer que son raisonnement est assez intéressant pour que je m’y penche avec intérêt. Quelques détails m’intriguent, c’est vrai, mais dans l’ensemble, c’est le raisonnement général, qui m’intéresse. Enfant combattant, ok, mais pourquoi ? Elle m’explique que ce sont les indices qui l’ont mis sur cette voie, et je ne peux m’empêcher de m’interroger sur leur nature. Qu’a-t-on bien pu lui refiler pour qu’elle pense ça ? Mais, bien évidemment, elle ne s’est pas contentée des indices, elle les a recoupé avec mon comportement et les discussions que l’on a pu avoir ensemble. La dernière, je suppose. Elle me demande si elle peut me poser des questions. J’imagine que oui, alors je hoche la tête, sans préciser que j’ai également le droit de ne pas y répondre. Et de nouveau, comme la dernière fois, c’est Hiroshima et Nagasaki dans mon crâne. Trop de questions, trop de demandes de précisions. Je peux sortir maintenant, ou pas ? Non... Je crois pas. Et puis, je la respecte un peu plus que ça, elle et son cerveau monstrueux. « J’ai jamais dit que j’avais quitté la Grèce à 16 ans, Nora. Je t’ai dis que j’étais né et que j’avais grandis en Grèce, rien d’autre. » Je la reprends, en espérant que ça va l’aider à remettre les idées dans le bon ordre, et que ça ne me grillera pas trop. « Mon père bougeait beaucoup. Vers mes 13-14 ans, il a commencé à m’emmener avec lui, mais toujours dans les pays limitrophes, et toujours pour de très courtes périodes. Et à 16 ans, il m’a envoyé seul. A croire, qu’à ses yeux, à 16 ans on est un homme, plus un enfant. » Et force est de constater qu’il n’avait pas tort. Par obligation, peut être, à 16 ans j’étais bien plus adulte que n’importe lequel des mecs présents dans Fake Lover, aujourd’hui. « Et ma mère ? Elle restait au pays. » J’hausse les épaules comme si c’était évident qu’elle ne pouvait pas voyager avec nous. Je ne suis pas macho, mais j’ai été élevé ainsi, alors... Il reste quelques traces.

Je ne sais pas si j’en ai trop dit, ou pas assez, si mes informations sont trop précises ou juste assez pour déclencher les foudres de sa curiosité, mais j’imagine que quoique je dise, quoique je fasse, rien ne saura la satisfaire autant que ma biographie complète en 16 volumes de 555 pages. Oui, moi c’est le 5, mon chiffre. Elle s’excuse, pour s’être mélangée les pinceaux, mais je ne vois pas trop en quoi il s’agit d’une faute que de supputer d’après les maigres informations que je lui avais communiqué, en réponse à ses quatre questions. C’était même évident qu’elle allait le faire, puisqu’elle était amenée a combler elle-même les espaces vides. Elle prend une pause, et j’en dispose moi aussi, afin de remettre de l’ordre dans mes idées, et faire l’inventaire de tout ce que je viens de dévoiler. Ai-je encore une marge de manoeuvre, ou bien ai-je déjà dépassé les limites fixées par mon propre raisonnement. Non, parce qu’avec un autre, je pourrais encore approfondir, mais avec Nora, j’ai toujours peur qu’un mot de trop signe l’arrêt de mort de mon secret. Aussi, lorsqu’elle reprend la parole pour m’offrir une nouvelle rafale, j’écoute avec attention, et réfléchis par anticipation. Pourquoi mon père bougeait beaucoup ? Où suis-je allé à 16 ans ? Est-ce que je retourne voir mes parents ? Puis elle s’arrête d’elle-même, hirondelle abattue en plein vol, baragouinant de vagues excuses concernant le caractère intrusif de son interrogatoire. « On est là pour ça, Nora. Si je n’y consentais pas, alors je n’aurais pas signé... Et puis, rien ne m’oblige à répondre, tu sais ? » C’est vrai. J’ai observé les confrontations des candidats de la saison passée, et si certains se montraient très bavards, d’autres ne descellaient pas les lèvres, pas même pour infirmer les hypothèses. Chacun sa méthode, après tout. Alors, finalement, elle reprend la parole, me posant la question la plus difficile qui soit : Est-ce que la découverte de mon secret changerait quelque chose à mon aventure ? Quand le flot de questions se tarit enfin, je comprends que c’est à moi, et je pousse un large soupir, avant de compter sur mes doigts. « Alors, 1/ mon père bougeait beaucoup pour son travail. 2/ Je suis allé représenter mon père à la capitale. On vivait en périphérie, et mon père devait rester à la maison, alors il m’a envoyé à sa place. J’y suis resté quelques jours seulement. C’était pour voir si j’en étais capable, en fait. 3/ Non, actuellement, je ne retourne plus voir mes parents. C’est un choix personnel que je n’ai pas envie d’évoquer, si ça ne te dérange pas... Et dernière question... » La plus difficile selon moi, parce que je ne sais pas si ça va véritablement changer quelque chose pour moi, mais je sais qu’indubitablement, ça changera quelque chose pour eux. Alors, dans le doute, je réponds : « Oui. » Disons que, jusqu’à présent, sans jamais mentir ou me trahir, je ne suis moi-même qu’à 50%.

Ca aurait beau lui paraitre suspect, je serais totalement en droit de ne pas lui répondre, de ne lui offrir que le silence jusqu’à ce qu’elle daigne me laisser sortir de là. Et sans aucune réponse, sans aucune précision ou piste, elle serait à nouveau bloquée dans un magma d’informations possibles, éventuelles ou envisageables, duquel elle ne pourrait se dépêtrer. Ce serait même une excellente idée en fait. Sauf que j’ai décidé de lui répondre, alors je m’y efforce. Parfois c’est simple, comme lui parler de mes voyages, ou évoquer mon enfance, et parfois c’est plus compliquer, comme lorsque je dois répondre au fait d’être ou non retourné voir mes parents depuis. J’ai pas vraiment envie d’en parler, alors je lui réponds avec franchise, avant de lui faire savoir que je n’ai pas très envie d’évoquer ce sujet. Elle pourrait insister, partir du principe que cette volonté de ne pas répondre est suspecte en soi, mais elle choisi de me laisser libre, de ne pas m’infliger d’autres questions à ce propos... Du moins, pour l’instant, puisque la confrontation n’est pas terminée, et qu’elle peut, à tout moment, revenir dessus. A la place, elle décide de me questionner de manière plus large, afin de se renseigner sur la nature et la corpulence de mon secret. Elle me demande s’il s’agit de quelque chose de lourd à porter, si je me sentirais libéré une fois qu’on me l’aura dérobé... Bonne question. Je ne sais pas quoi répondre, alors je me laisse le temps de la réflexion pendant qu’elle s’offre le luxe d’une nouvelle question. Elle veut savoir comment elle réagira face à mon secret... Une autre bonne question à laquelle je n’ai pas de réponse. Alors je reviens à la première. « Je vis avec mon secret depuis des années, je... C’est difficile de répondre à cette question, parce que je ne saurais pas dire s’il est lourd à porter ou non, j’en sais rien... Il est. Point. Il fait partie de moi, partie intégrante, alors qu’il soit révélé ou non, je ne me sentirais pas libéré pour autant, puisqu’il existera toujours... Et puis, j’ai pas forcément envie de m’en libérer non plus... Pas du tout, même. » Qu’est-ce que je serais sans mon secret ? Absolument rien. C’est lui qui a fait ce que je suis aujourd’hui, tout simplement. « Et quant à ta réaction... J’en sais rien, Nora. Je ne pense pas que tu serais surprise, mais j’imagine que tu seras déçue. C’est l’absence de surprise qui te décevra, et la déception qui te surprendra... Ou pas. J’en sais rien. Je n’en sais rien du tout, Nora. » Et c’est bien ce qui me fait peur, justement.