Elle semble consternée par ma réponse. Pourtant, j’ai tenté de me montrer le plus sincère possible, mais elle s’attendait à quoi avec ce genre de question ? Comment puis-je présumer de sa réaction à elle, alors que je ne sais déjà pas ce qu’elle pense de moi en cet instant même ? Sans déconner, je n’en sais rien. J’imagine qu’elle m’apprécie sinon on ne passerait pas autant de temps ensemble, mais de là a deviner les sentiments exacts qui la rattachent à moi au point de pouvoir prédire de sa réaction future à la révélation de ce bout de moi manquant...? Non, j’en sais rien. J’imagine qu’elle sera déçue, parce que c’est forcément décevant dans sa position actuelle, mais peut être que je me trompe, peut être qu’elle sera à même de comprendre et d’accepter. Le rejet, je n’ai jamais connu que ça. Déception et rejet. Alors j’ai un peu de mal à anticiper autre chose que ce genre de réactions. Elle rejette la tête en arrière et dissimule son visage sous ses bras. Elle est paumée. Ce n’est pas moi qui le déduit, mais elle qui le dit. J’aimerais l’aider, mais je ne peux pas. Et puis, en toute honnêteté, je ne suis pas sûr d’en nourrir l’envie profonde... Que ce passera-t-il lorsqu’elle saura ? Lorsque Valentina saura ? Lorsque AJ saura ? AJ qui me coupait les cheveux encore cet après-midi... Est-ce qu’elle saura accepter, m’accepter ? Je ne suis pas certain d’avoir envie de le savoir. Technique de l’autruche, certes, mais en attendant je peux continuer à nier l’existence de toutes ces conséquences indésirées et indésirables. « Tu te sens comment ? » me demande-t-elle brusquement, obligeant mon esprit à réintégrer son espace-temps. Je l’observe en fronçant les sourcils, pas certain de percevoir où elle cherche à en venir. « Comment ça ? » je lui demande alors, grattant l’arrière de ma nuque. « Physiquement ? Mentalement ? Et par rapport à quoi ? À qui ? » C’est assez vaste comme question, et j’ai du mal à en percevoir l’intérêt... A moins qu’elle me demande comment je me sens vis-à-vis de mon secret ?! « Physiquement, je dirais “bien”. » puisque je ne souffre d’aucune migraine ou autre, un léger manque de sommeil éventuellement, si on gratte un peu. « Mentalement, je dirais que “ça peut aller”. » Les confrontations c’est pas mon truc, et la voir s’acharner de la sorte, se fatiguer, ça m’embête... Pour elle, pas pour moi. « Et vis-à-vis de mon secret, je dirais comme d’habitude “pas trop mal”... » je dois faire avec, quoi. Et pour l’instant, ça va.

Je ne sais pas quoi penser de cette confrontation, elle a l’air plus mal à l’aise que moi, et ça m’emmerde. C’est quand même un comble ! Ne suis-je pas censé être celui qui se ronge l’ongle du pouce jusqu’au sang en martelant le sol de son talon tout en tentant de juguler un début de migraine ? En lieu et place, je suis tranquille, là, à la bien, une cheville reposant sur ma cuisse, mes doigts tirant doucement sur mes mèches fraichement raccourcies afin de voir si elles vont toujours sous mon nez, façon moustache. Réponse : Oui !! Et c’est à ce moment, le moment où je retiens une mèche de cheveux en soulevant la lèvre supérieure, que Nora choisi de se redresser pour m’adresser une nouvelle question. À son air, on dirait qu’elle vient d’avoir la révélation de sa vie. Quoi ? QUOI ?! QUOIIII !! Elle a trouvé mon secret, là, comme ça, en se tapant une sieste sur le dossier du canap ? Elle semble hésiter, c’est que ça doit être grave... Devrais-je m'inquiéter et commencer à ronger l’ongle de mon pouce ? Et brusquement, elle se lance. « Et, tu es entré seul dans le jeu ? » Hein ? C’est quoi cette question débile ? Je fronce les sourcils, perplexe face à la tournure que tout ceci prend... « Bah nan... J’suis rentré avec Sive... » Je lui rappelle, comme si j’avais en face de moi une amnésique précoce. Alzheimer ? C’est une piste à fouiller. Après tout, moi aussi j’ai un secret à trouver... Et soudain, je comprends ! Elle me demande si je suis venu à deux ou plus dans le jeu, et mes sourcils se froncent un peu plus, avant de se détendre pendant que j’émet un « Aaaaaaaaaah ! » de compréhension. « Je t’arrête tout de suite, Blanche-Neige, mon secret est mon secret, personne d’autre dans le nid a le même secret que moi. » et heureusement d’ailleurs. Un seul comme moi c’est déjà beaucoup, alors deux... « J’suis unique. » Je surenchéri en lui offrant un clin d’oeil pourri. J’suis même pas doué pour les clins d’oeil, j’ai toujours peur de fermer les deux yeux en même temps... C’est con. « Tu pensais à quoi ? » je lui demande tout de même, afin de voir où mes réponses la mènent pour qu’elle pense à un secret commun.

Je ne suis pas certain de savoir où elle souhaite en venir avec la question concernant le fait d’être entré seul ou non, mais j’essaye de lui répondre comme d’habitude, le plus sincèrement possible. Bon, mon clin d’œil est almost pourrave, mais elle a compris qu’il s’agissait de me la jouer un peu sur le ‘unique’, hein ? Dans la réalité des faits, hormis mon secret, je n’estime pas réellement être unique. Même mon secret ne l’est pas. Enfin si, dans le nid, il l’est, mais dans le monde… certainement pas. Ou peut être que si ? J’en sais rien, et j’ai pas envie d’y réfléchir, sinon je vais encore saigner du nez. Je lui pose une question histoire de savoir où elle en est dans sa tête, et sa réponse concernant Indiana Jones me laisse à penser qu’elle n’en est nulle part. J’esquisse un sourire malgré tout, et part dans la surenchère. « Ouai, c’est Tweedy, mais faut pas le dire. » Petite blague encore plus pourrie que la sienne, mais qui me fait rire comme un con, tout seul, dans mon canapé. Sauf que je le ravale bien vite, mon rire, et mon sourire aussi, pour afficher une mine blanche lorsqu’elle évoque à nouveau mes parents. « Qu’est-ce que tu veux savoir ? » je concède. Puisque, après tout, je suis là pour jouer, alors jouons.

Casseuse d’ambiance. En deux secondes elle vient de me faire passer de l’euphorie exagérée suite à une blague moisie, à la sévérité, tout aussi excessive, suite à sa demande de revenir sur le sujet de mes parents. Je pensais qu’elle avait lâché l’affaire après que je lui eus demandé, mais visiblement elle semble plus tenace que ça, et ne se laisse pas avoir par les sentiments... Bon, les parents... Qu’est-ce qu’elle veut savoir sur eux ? « Tes parents font-ils parti de ton secret ? » Hum... « Non. » je réponds rapidement avant de froncer les sourcils sous l’effort de la réflexion. « Attends. » je lui intime en la stoppant d’un mouvement de main. Main qui finira par atterrir dans ma nuque pour la gratter, oscillant entre hésitation et nervosité. « Peut être un peu, si... De manière collatérale, on va dire. » Voilà, t’en obtiendra pas plus, poursuis Jeannine. C’est ce que mon geste de main lui demande, en lui faisant signe de reprendre. « Si non, comment ta mère a-t-elle réagit face à ton secret ? Et, euh, ton père aussi » Bonne question. Mais comme je n’ai pas envie de m’étendre là-dessus, je réponds de manière monosyllabique. « Ma mère, je sais pas. Mon père, mal. » C’est pas un secret, j’en ai déjà parlé avec Andreas, mais je fais déjà l’effort de lui répondre, avec franchise qui plus est, je ne suis pas sûr d’être capable de faire plus que ça. J’essaierais, si elle insiste, mais je ne promets rien. « Désolé... » je lui souffle, tout de même, en baissant légèrement les yeux. Désolé, parce que j’ai conscience de ne pas l’aider là. Ok, je ne suis pas censé le faire, mais lui foutre des bâtons dans les roues, c’est pas vraiment mon style, aussi.

Bon, c’est officiel, j’aime plus les confrontations, même pas avec Nora. Surtout pas avec Nora, en fait. Je voudrais pouvoir lui dire, mais je ne peux rien lui dire. Pourtant j’en crève d’envie. Malgré l’appréhension, la crainte de tout ce qui suivra ou pas, j’en crève d’envie. Mais peut être que c’est mieux ainsi, peut être que c’est mieux qu’elle ne sache rien ? Non. Je sais bien que non, mais je ne peux m’empêcher de me lover dans ce petit confort artificiel et totalement légitimé par la Production. Du coup, j’en dis juste assez, et quand le sujet me déplait, je réponds du bout des lèvres, avant de m’excuser parce que j’ai conscience que de ne rien dire ne l’aide pas. « Tu n’as pas à t’excuser, t’es pas là pour me filer ton secret, t’inquiètes » Si, j’estime que si, parce que je pourrais en parler plus librement, mais là, c’est au-delà du secret, je n’aime tout simplement pas parler d’eux, c’est trop… révoltant. « Dernière question, après je te laisse tranquille: tu es en froid avec tes parents ? » Je soupire, me frotte la nuque, remonte la main dans mes cheveux, les ébouriffe en plissant un œil, comme sous l’influence d’un vilain mal de crâne. « Avec mon père, oui. » Je réponds non sans difficulté. « Mais ce n’est même plus froid, en fait, c’est tellement froid que ça en devient chaud, comme la glace que tu tiens entre tes mains et qui fini par te brûler la paume… Tu vois ? » J’ai jamais vraiment compris ce phénomène, la neige qui chauffe les mains, jusqu’à le comparer avec ma relation père-fils. Maintenant, je comprends.

Loxias, tu peux quitter le confessionnal !

Nora, tu as le choix, tu peux te rétracter ou bien confirmer ton idée mais dans ce cas tu engages 5 000€ de ta cagnotte personnelle. Que choisis-tu ?