Il n’y avait rien d’étonnant à ce que je souffre d’insomnies. Rien du tout. Au vue de tout ce qui pouvait bien me passer par la tête, impossible de véritablement être en mesure de me reposer, et donc, de dormir… Le petit hamster qui se trouvait là travaillait sans relâche depuis quelque chose, je ne franchement pas comment il faisait pour ne pas flancher. À croire que je n’attendais que ce moment, celui où j’allais complètement perdre la tête parce qu’elle risquait d’exploser, à force d’être constamment surcharger. Mais tout ça n’arriverait pas, bien sûr. Je me faisais des idées, comme toujours. Pour autant, je n’arrivais pas plus à fermer l’œil, bien que je trainais depuis un bon moment dans le lit conjugale qui je partageais toujours avec Andreas – par je ne sais quel miracle, d’ailleurs. Seulement, je devais bien me résoudre à me lever. Ce qui ne voulait pas nécessairement dire que j’avais envie de me mêler aux autres. J’en croisais bien quelqu’un sur ma route, alors que je passais par la salle de bain et les toilettes, comme tous les matins, et alors que j’allais enfiler une tenue, afin de me débarrasser de celle que je portais pour la nuit. Un peu de soleil semblait vouloir se pointer au travers des nuages, là, dehors, et c’est à sa quête que je partis, en prenant la porte. Au bout de quelques instants de marches, je grimpais m’installer tout en haut des remparts, m’installant à califourchon sur la rambarde, mon dos accoudé contre une des colonnes de pierre qui ornait la structure. Je jouais distraitement avec la chaine de mon collier, et la bague qui s’y trouvait, quand une voix se fit entendre parmi ceux de la nature environnante. « Tu tombes amoureuse d'Ennio ? » Mon regard chercha la provenance de celle-ci, que j’avais sans peine reconnu pour être celle de Laoise. Elle se tenait là, non loin de moi. « Je vais finir par croire que tu veux concurrencer Irène. » Bon d’accord, si vraiment elle était venu pour me tenir encore ce genre de reproche, elle pouvait bien repartir d’où elle était venu, j’en avais assez entendu. « Si tu n’as que des reproches à me faire, tu peux t’en aller, tu sais. Je ne te retiens pas. » J’étais tout simplement lasse de son comportement, et une certaine tristesse était perceptible dans ma voix. Je ne mis pas longtemps à détourner le regard, d’ailleurs, pour le reposer sur l’horizon.

« C'est vrai que c'est plus simple d'assumer quand personne n'en dit rien. » Personne, vraiment? N’était-elle pas justement en train d’en parler? Et elle n’avait pas été la seule, visiblement. J’avais eu droit à mon lot de commentaire, depuis quelque temps. Sans même me retourner, je lui répondis d’un air détaché. « Qui t’as dit que je n’assumais pas ? » Je n’étais peut-être pas particulièrement faire de ce que je j’avais fait – surtout en ce concernait cette histoire avec Andreas, qui était, à mes yeux, ma seule véritable erreur de parcours dans ce jeu – mais pour le reste, je n’avais pas de remords. Aucun. Le moment que Keelan et moi avions passé dans le spa restait… mémorable, et j’avais eu, à cette époque-là, du désir pour lui. Et en quoi devais-je avoir eu des regrets si ce sentiment était partagé ? Ce n’était pas l’endroit pour faire ce genre de choses, je devais le lui accorder, et le fait de nous faire surprendre m’avait bien fait comprendre ça. Quant à Finnick ? J’avais au moins eu la présence d’esprit d’arrêter tout ça avant que ça n’aille trop loin, et fort heureusement, nos consciences s’en portaient très bien. Deux échanges de salives qui n’avaient pas été bien plus loin, quand on y pensait. En quoi cela fait-il de moi une fille facile, alors ? Les gens avaient des mœurs assez légères, dans le coin, il faut croire. Ce qui était plutôt drôle, quand on regardait faire les Irène et London de ce Nid. Elles passaient pour de belles salopes, mais ça ne dérangeait à personne, oh non. Parce qu’elle avait la tête de l’emploi, bien sûr. « De toute façon, ce n'est clairement pas dans ce jeu que qui que ce soit d'autre viendra critiquer, vous êtes tous pareils. » Je ne peux m’empêcher de tourner la tête vers elle, et de vriller mon regard dans le sien. Sait-elle à quel point ces propos sont blessants, ou fait-elle justement exprès de me blesser, pour des raisons qui me semblent obscures. Je suis blessée, et malgré toute l’affection que j’ai pour elle, il m’est impossible de retenir le flot de mots qui veut sortir de ma bouche. « Oh, bien sûr, et toi, je suppose que tu es Miss Parfaite! Et comme tu n’as jamais fait d’erreurs, tu te permets de nous critiquer en nous regardant de haut, c’est ça? » Jamais je ne m’aurais cru être aussi méchante envers elle, et ça me blesse de l’intérieur de lui répondre de la sorte, mais… elle l’a cherchée. Malheureusement. « Ça t’amuse, peut-être ? Tu crois que ça ne fait pas mal ? Que tu peux te permettre de balancer ce genre de choses aux autres sans penser aux conséquences ? » Je m’arrête un moment. Je sens que je vais craquer, mais non, je me retiens. « Laisse-moi te dire que tu te trompes... » Léger moment d'arrêt, je pousse un court soupire. « Et moi, je m’étais vraiment trompé sur ton compte… » Je sens le besoin de détourner la tête pour éviter de la regarder à nouveau, ce que je fais dans l'instant qui suit. Ça me fait beaucoup trop de mal. À croire que l’on détruit à coup de mots la belle relation que nous avions construite. Et ça me peine plus que je ne l’aurai cru.

Cette situation tournait en rond. Les répliques de la jeune femme m’atteignaient de plein fouet, et mon seul moyen de défense étaient ces mots que je profanais à mon tour, ce qui n’avait pour seul résultat d’en faire naître, d’autant plus cruel, dans la bouche de mon interlocutrice. Un cercle vicieux, voilà ce que c’était. Et nous étions tout simplement en train de nous y enfoncer, à un point où j’imaginais mal que nous arriverions un jour à trouver un moyen de nous sortir de cet engrenage. À mes yeux, il était carrément trop tard pour ça. « Ne t'inquiète pas, on est deux dans ce cas-là. Je me suis vraiment trompée sur toi. Je pensais que tu étais différente, pas le genre à envoyer valser ta culotte à la première occasion que tu avais. » Sur quoi se basait-elle, au juste pour me lancer ces accusations ? La seule personne avec qui j’avais franchi le pas ne méritait même pas que j’y accorde attention. Certes, il y avait eu Keelan. Et ça changeait la donne. Totalement. Ce moment où elle nous avait surpris semblait être le point culminant, l’élément déclencheur, l’étincelle qu’il avait fallut à Laoise pour éclater. Qu’elle en pense ce qu’elle veule, mais Keelan n’était pas le premier venu, et si ça n’avait pas été lui, justement, je doute que nous ayons songé un seul instant à partager ce genre de moment intime. Il y a avait eu depuis le début une attirance entre l’homme et moi, palpable de semaine en semaine. Dire que je m’étais précipité serait mentir. Ce moment-là c’était plutôt fait attendre, mais elle ne comprendrait pas ça. Et de toute façon, tout ceci n’avait plus d’importance aujourd’hui. « Au fond, ça doit être ça, ton truc, passer pour la douce et innocente Anabel pour ensuite pouvoir te taper tout ce qui bouge. » Elle était vicieuse, comment un aussi petit bout de femme pouvait se montrer aussi mesquin en à peine quelques mots… Aurait-elle reçu des leçons de l’illustre maître en la matière, et j’ai nommé Andreas. Bah bravo, je crois que l’élève avait dépassé le mentor au niveau des insultes. Et pour la douleur, inutile de mentionner que sur dix, le cota était atteint depuis un bon moment. « Les autres, au moins, ne se cachent pas derrière une foutue apparence, ils disent dès le début comment ils sont. » Non, là, ça n’allait plus. « Ça suffit. » Je ne pouvais plus en entendre. Je me levais de ma place, non pas pour partir – même si l’envie se faisait plus pressante de minutes en minutes – et allait me poster droit devant elle, mon regard rivé dans le sien. Il me fallut prendre mon courage à deux mains pour parler. « Tu ne me connais pas, tu n’as pas le droit d’insinuer tout ça… Je ne suis pas parfaite, moi, d’accord ? Et encore moins innocente, mais ça, je suppose que tu le sais déjà… Seulement, je ne te permets pas de me juger de la sorte alors que tu ne sais rien de moi, rien du tout. » Les gens ne connaissaient que ce que je voulais bien laisser entrevoir de ma personne, et en deux mois, je m’étais montrée plutôt discrète quand à la jeune femme que j’étais, là-bas, dehors. J’avais un visage d’ange, j’étais gentille… automatiquement, on m’associait à tout ce qu’il y avait de bon. Et pourtant. Je n’étais pas blanche comme neige, je dirais plutôt que je trempais plus souvent qu’autrement dans le gris, sans jamais toutefois toucher au noir. Et est-ce que c'était un problème? Visiblement si. Pour elle, du moins. « Que me reproches-tu, exactement, hein? Pourquoi tu t’en prends autant à moi? Tu t’acharnes sur mon cas, Laoise, et je ne sais même pas si tu t’en rends compte… mais tu es blessante, mesquine… méchante. Alors explique-moi qu’on en finisse d’accord ? Plus vite ce sera fait, et plus vite on pourra mettre un terme à… tout ça, à notre pseudo-amitié qui ne semble plus valoir grand-chose à tes yeux. » Pourquoi faisait-elle ça? Ça me dépassait, et il fallait que je lui demande. Mais je ne m’attendais pas à recevoir une réponse de sa part. Même pas une petite. C’était trop demander. Oh, mais allez-y, maintenant qu’Ezéquiel était partie, il fallait bien que quelqu’un prenne la relève pour me pourrir la vie… Involontairement, cette pensée fit remonter en mot un flot de panique que je croyais enfouie pour toujours, et j’étouffe un espèce de sanglot. Cette situation va avoir ma peau, ou du moins, venir au bout de mes forces. De ma patience, aussi. Je me détourne rapidement de la candidate pour m’éloigner, allant m’accouder contre la rambarde, posant ma tête dans le creux de mes mains. « Oh, et puis, laisse tomber. Vas-t-en, c’est tout. » Je la chassais, tout simplement. Je ne voulais plus entendre cette conversation, je ne voulais plus la voir, elle. Alors il ne lui restait qu’à tourner les talons et partir, ce n’était pas bien difficile, il me semble.

- je n'ai pas pu m'empêcher de te répondre -

Mieux vaut apprendre à se taire lorsque l’on ne parle que pour blesser les autres. Lorsqu’il nous est impossible de contenir nos propos, il est surement préférable de garder le silence plutôt que prononcer ces quelques mots qui pourraient blesser l’autre. C’est une leçon qu’aurait du apprendre Laoise, ou du moins, que quelqu’un aurait dû lui faire. Semble-t-il que personne n’avait encore osé lui faire ce reproche, lui faire comprendre que tout n’est pas toujours bon à dire. Mais à mes yeux, elle avait clairement dépassé les bornes, et je ne pouvais plus en supporter d’avantage. J’avais peut-être cette tendance à me laisser marcher sur les pieds, mais parfois, parfois, je savais me montrer plus forte que j’en avais l’air. Et si ma première réplique avait été l’attaque, il m’était impossible d’agir de la sorte bien longtemps. Ma seule demande, ma véritable requête, était simplement de comprendre. Il me semble que ce n’était pas tant demander. Elle me devait bien ça. Ensuite, libre à elle de me rayer de sa vie si c’est vraiment ce qu’elle désirait. Je lui avais tourné le dos, et mon visage avait trouvé refuge dans le creux de mes mains, tel un masque derrière lequel me cacher. Je la chassais, oui, car à mes yeux, je ne voyais pas en quoi continuer à se faire du tord de la sorte pouvait nous servir. « Je n’aurais pas dû m’attacher à toi. » dit-elle dans un seul souffle, si bien que je failli ne pas l’entendre. Mais sa voix porta jusqu’à mes oreilles, guidé par le vent. Je soupirais. « Désolé de te décevoir à ce point, alors. » répondis-je sur le même ton, relevant la tête pour fixer mon regard sur le paysage. Un temps gris trônait sur l’Irlande ces derniers jours, était-ce le reflet de mon humeur? Du moins, c’était tout à fait à son image. J’osais finalement me retourner pour à nouveau faire face à la jeune femme, restant toutefois à distance, me posant tout contre le mur de pierre derrière moi. À nouveau, je me remis à tâter la chaine qui me pendant au cou, et cette bague qui y était accroché. Ma bague de fiançailles, qui ne me quittait jamais, d’ailleurs. « Je t’apprécie Laoise, d’accord… mais… si tu n’as que des reproches à me faire, si c’est la seule chose que je risque de lire dans ton regard, à chaque fois qu’il croisse le mien… ça ne sert à rien de se forcer à réparer les choses… » Comme si, de toute façon, il y avait de l’espoir quant à l’issue de cette discussion. « Je n’arriverai pas à le supporter, de toute façon. »

Pourquoi semble-t-elle impassible à chaque mot que je prononçais, pourquoi ne réagissait-elle pas moindrement aux propos que je lui jetais à la figure. Aurait-il mieux fallut que je la gifle pour qu’elle sorte de cette torpeur qui semblait l’habiter. Cette impression de parler à un mur de brique s’amplifiait au fur et à mesure que nous nous enlisions dans cette conversation. Je n’allais rien obtenir qu’elle, rien du tout. Elle ne voulait pas parler. Du moins, pas clairement mettre en paroles ce qu’elle me reprochait réellement, outre que par des remarques franchement peu admirables de sa part. Des reproches. J’avais cette impression de faire fausse route, de foncer littéralement… dans un mur, oui. Sur lequel je risquais de m’abimer. Pas physiquement, non. Mais mentalement parlant, cette situation risquait d’avoir ma peau. « D’accord. Super. » Sa réaction me puait au nez, et sonnait tellement faux à mes oreilles. À croire qu’elle s’était résignée, et que plutôt que de tenter de mettre un terme à tout ça, ne faisait que d’enfoncer le pieu encore plus profondément. Pour me blesser d’avantage? Je l’ignorais. « C’est… tout ce que tu as à dire ? » lui demandais-je, mon regard la scrutant dans un mélange d’incompréhension et d’agacement. Mais visiblement, elle n’en avait pas terminé avec moi. Non. « Amuse-toi bien avec Keelan, Ennio, Andreas, peu importe celui que tu veux, alors. » Je détournais légèrement la tête, levant mon regard vers le ciel, me mordant la lèvre inférieur, mon regard ruisselant de larmes que je refusais de laisser sortir. À quoi bon? Me reprocher mes affinités avec ces candidats, c’était totalement puéril de sa part. Je pouvais presque comprendre pour Andreas (surtout lui) et pour Keelan (tout à fait logique, même)… mais que venait faire Ennio dans tout ça? Certes, mon affection pour le candidat était connue de tous, désormais. Était-ce suffisant pour l’inclure dans ce lot qu’elle considérait être mes ‘conquêtes’ dans le nid? Ce n’était pas ainsi entre lui et moi. Je doutais même que cette amitié ne débouche sur autre chose que… de l’amitié, justement. Je soupirais un bon coup avant de reprendre la parole, cherchant à contenir les émotions qui m’affligeait. « Tu sais, si c’était réellement ce que tu voudrais… on en serait pas rendu là. » Non, elle n’aurait pas cherchée à me faire comprendre, par tous les moyens, comment mon comportement l’horripilait, si cela ne l’avait pas déranger. Et me dire, comme ça, d’un ton aussi détaché, que je devais justement aller me jeter dans les bras du premier venu, c’était un peu hypocrite de sa part. « Mais bon… je suppose que je n’ai plus qu’à m’en aller, maintenant... » Et pourtant, je ne le fis pas. Non, parce que je cherchais peut-être une excuse pour rester encore un peu. Un signe de sa part? Du moins, quelque chose pour me retenir, c'est tout.