Parfois, faut pas se poser de questions, non, ce n'est pas utile, parce qu'à trop se poser de question, on se met des barrières. Ce soir, je n'ai aucune envie de me mettre des barrières, ni aucune raison de réfléchir à ce qui me pousser à me baigner nu dans cette piscine. Une envie, une simple pulsion qu'on ne parvient pas à contrôler. Parce qu'elle est folle et parce que c'est le genre de choses qu'on fait sans se poser des questions justement. J'ai eu envie de faire un truc dingue, boire de l'alcool et camper dans la forêt par exemple. Sauf que j'pense immédiatement à Sive, parce que je ne vois pas avec qui d'autre j'pourrais faire ce genre de chose, surtout à une heure pareille. Mais elle n'est plus là, et j'ai un pincement. Merde. Alors du coup j'en suis arrivé là, à me baigner à poil dans cette piscine qui en a déjà vu des vertes et des pas mûrs. J'ai pas forcément envie d'y rester longtemps, juste quelques longueurs boire un peu de tequila et partir me coucher . Alors du coup j'tente de ressortir, et c'est là que je tombe nez à nez avec Anabel. Juste au moment où je m'apprêtais à m'appuyer sur mes bras pour sortir. « Anabel, ma jolie Ana, salut, t'es là depuis longtemps ? » Je demande un peu trop guilleret, tandis que je m'accroche au rebord de la piscine, devant soudainement pudique. J'regarde un peu partout, c'est bizarre, il m'avait semblé avoir rapporté une serviette. Hum. « Dis moi, t'aurais pas vu une serviette quelque part ? Ou même un short en faite, un caleçon ? Une jupette, non ? » Une jupette, mais bien sûr. Il m'avait semblé l'avoir déposé sur le transat avec la tequila qui y est encore. Bah merde, j'deviens dingue ou quoi ?

L’appel de l’eau, de la plage, se fait soudainement sentir, mais y’a comme un petit problème : il est un peu trop tard pour ça. Non pas que je sois trouillarde d’ailleurs me baigner dans le lac en pleine nuit… mais en fait, c’est justement ça, le problème, oui. Et y aller seule ne me rassure pas totalement. Je préfère encore aller en territoire connu et me contenter de la piscine, même si ça n’a pas le même charme que cette étendue d’eau, là-bas, dehors. C’est donc après un rapide passage au dressing, ou j’enfile mon maillot sous un gilet robe, question de ne pas me promener en bikini dans tout le nid – et un détour par la salle de bain, pour attraper une serviette, que je prends le chemin du centre de remise en forme. À mon avis, il sera vide. Les candidats ont mieux à faire, à cette heure. Mais semble-t-il que je me trompe, car je découvre qu’Evan est déjà sur les lieux, même s’il s’apprête à le quitter, d’après sa position au bord de la piscine. Il m’aperçoit bien vite. « Anabel, ma jolie Ana, salut, t'es là depuis longtemps ? » Il me semble presque trop ravi de me voir, c’est quand même étrange cette façon de me saluer, tout sourire. « Bonsoir Evan, mon cher Evan ! » répondis-je sur le même ton. « Non, non, je viens tout juste d’arriver. » Pourquoi il me posait la question, je me le demandais bien. Peut-être juste comme ça, par curiosité. Je remarque son regard qui cherche… quelque chose. Surement sa serviette. Porter disparu, de toute évidence. « Dis-moi, t'aurais pas vu une serviette quelque part ? Ou même un short en faite, un caleçon ? Une jupette, non ? » J’arque un sourcil, puis il me faut deux petites secondes pour réaliser que… « Tu es nu ?! » Impossible de ne pas m’exclamer, ni même de pousser un léger rire nerveux devant cette remarque d’un ridicule, même si de toute évidence, j’ai visé juste. Et pour la peine, je ne réponds même pas à sa question, le pauvre.

Bon, j'en ai fait trop là non ? Elle a bien vu que j'en ai trop fait ? Ouais, c'est vrai que j'aurais pu retirer un Anabel de trop. Parce que là, non, j'suis grillé, je le vois dans mes yeux. D'autant que les miens doivent s'illuminer en rouge, ou pire, un panneau lumineux au dessus de ma tête doit indiquer que je suis à poil. Mais oui, tout à fait. Je me contente de sourire lorsqu'elle me salue de la même façon que je l'ai fait, un sourire légèrement crispé, pourquoi j'suis crispé à ce point d'ailleurs ? C'est stupide, mais bon. On réagit rarement de façon très intelligente dans ce genre de cas n'est-ce pas ? Elle vient d'arriver, c'est déjà ça. « Tu voulais un peu de tranquillité peut être ? Non parce que je m'en vais dans euh. Bientôt en fait. » Ouai enfin dès que j'aurais retrouvé de quoi me mettre sur le cul, non mais c'est dingue, j'suis pas arrivé à poil, elles doivent bien être quelque part mes petites affaires. Surtout que j'vois la tequila, donc le voleur, si voleur il y a n'est pas un alcoolique de base. J'sais pas quitte à prendre un truc autant voler la seule chose intéressante dans le tas. A moins que cette personne en question est du genre fétichiste ou peut être, juste un chieur. D'ailleurs, j'pose une question, mais à coup sûr, elle a vu mon manège puisqu'au lieu de répondre, elle s'exclame sur ma possible nudité. Alors de suite j'ouvre les yeux, comme des soucoupes, feignant la surprise. « Oh non du tout, quelle idée farfelue. » Mais bien sûr. J'étais sur le point d'ajouter que ce n'était de toute évidence pas mon genre, sauf que. Bah si justement, et pour cause. Si bien que je me colle un peu plus contre la paroi de la piscine. « Tu ne les as pas vu sinon ? » Je demande presque innocemment, parce que mine de rien, elle ne m'a pas répondu la petite Anabel.

Non, vraiment, je vais presque croire qu’Evan est tout en fait en extase de fait que je m’invite au centre de remise en forme alors qu’il s’y trouve, à croire qu’il s’ennuyait bien tout seul, le pauvre. Cet accueil, plus que chaleureux, est plutôt amusant, tout compte fait, mais ça reste un peu… louche, non? Oh, pas que je me fais des idées. Du tout. Mais soit il prépare un sale coup, soit il a quelque chose à se reprocher. Dans les deux cas, je suis dans le doute. Mais à défaut de savoir de quoi il en retourne, je préfère jouer le jeu et l’imiter, d’humeur taquine. « Tu voulais un peu de tranquillité peut-être ? Non parce que je m'en vais dans euh. Bientôt en fait. » Là, tout à coup, je me questionne en me demandant si je n’ai pas fais quelque chose de mal. On dirait qu’il cherche un moyen de s’échapper. D’accord, mais de quoi? Il n’apprécie pas ma compagnie, soudainement ? Non, j’en doute. Je veux dire… on n’est pas en froid, lui et moi, aux dernières nouvelles. « Bah, pas vraiment, tu peux rester, si ça te dit. » Ce n’est que lorsqu’il me demande de quoi se vêtir que je comprends enfin son curieux malaise. Il est vrai que de le surprendre dans sa plus simple tenue à de quoi être gênant. Et même s’il feint la chose, j’ai vu clair dans son jeu. Trop tard! « Oh non du tout, quelle idée farfelue. » Je secoue la tête, un sourire moqueur au visage, en levant les yeux au ciel. « Arrête, tu n’as pas vu ta tête quand tu mens… ce n’est pas convainquant DU TOUT. » Oui, oui, avec l’accent sur les deux derniers mots. Fort inutile, mais je m’amuse bien moi. Je ne suis pas en mauvaise posture, contrairement à lui. « Tu ne les as pas vu sinon ? » Son petit air presque piteux me convint de tenter de retrouver la trace de ses effets personnels, et je m’éloigne un moment pour faire un rapide tour d’horizon des lieux, regardant sur et sous les transats, mais rien, niet, c’est peine perdue, il n’y a rien ici. Sauf la bouteille de Tequila, mais ça je crois qu’elle lui appartient. « Y’a rien à l’horizon, chef. Mais je peux toujours te passer ma serviette. À une seule condition. » Pas de truc à craindre, hein. Je ne suis pas sadique, moi. « Tu vas devoir aller m’en chercher une autre. » Comme marchandeuse, on a connu plus avare que moi.

N'allez pas croire que je ne suis pas content de voir débarquer Anabel, à vrai dire. J'suis même plutôt ravi, ça fait un moment qu'on a pas passé de temps ensemble. C'est juste la situation qui est délicate. Elle est carrément gênante. J'suis pas contre le fait de me balader à poil, j'suis juste contre le fait de me faire surprendre à poil. La différence c'est que je ne l'ai pas choisi. C'est con mais c'est comme ça. Alors du coup j'essaye de me défiler, normal. Enfin ça ne change rien finalement puisque j'suis toujours dans la piscine pour le moment, alors même si elle me dit que j'dois partir, j'pourrais pas. Pas maintenant. Alors, c'est totalement con. En plus, elle me dit que je peux rester. Le contraire m'aurait étonné aussi. J'suis pas toujours un bon acteur, j'suis rarement un bon acteur. Surtout quand j'suis pris au dépourvu alors elle remarque rapidement que je mens. Elle s'en amuse même, la fourbe. Bon, ça me fait quand même sourire. Surtout quand elle m'accuse de ne pas être convainquant. « Bon d'accord, j'suis nu, et tu m'as surpris, et je me sens con ! » Faute avouée à moitié pardonné non ? Je penche la tête légèrement sur le côté, et fais la moue. Surtout que si je veux sortir d'ici, et bien, j'vais avoir besoin de son aide. Je lui demande si elle veut bien chercher, elle s'exécute. Et je tends sur mes bras pour essayer de chercher à mon tour sauf qu'il n'y a plus rien du tout. Elle me confirme qu'il n'y a rien. Je grimace, mais aussitôt mon sourire s'élargie lorsqu'elle me dit que j'peux prendre sa serviette. « Oh c'est vrai ? T'es adorable ma petite Ana. » Bon y'a une contrepartie, mais c'est pas une méchante Anabel, je la vois mal me torturer en retour. Et je ne me trompe pas puisqu'elle me demande de lui prendre une serviette en échange. « Marché conclu ! » Je lui tends la main pour sceller le pacte. J'aurais tellement pu supporter pire que j'veux même aller lui chercher une serviette sur les mains s'il le faut. Mais non. Parce que finalement ce n'est pas une bonne idée. C'est même une très mauvaise idée. « Je t'offre de ma tequila si tu veux... »