Un parfum de lavande. Il pouvait sentir un parfum de lavande. Son parfum préféré. Celui qu'il avait toujours eu plaisir à sentir, surtout quand il n'allait pas bien, surtout quand il avait eu besoin d'aller un peu mieux. Autour de lui, il y avait toujours eu bon nombre de fleurs, de toutes sortes, de toutes senteurs. Pourtant, il n'aurait jamais voulu sentir que de la lavande, et rien que de la lavande. Alors quelle ne fut pas sa satisfaction lors-qu’après quelques longues minutes de marche, il atterrit dans un vaste champs dont la senteur lui était étrangement familière. Il ne se sentait clairement pas à sa place au sein de ce jeu - ridicule après seulement quelques jours, vous dites ? tout à fait - mais ce lieu-ci avait tendance à lui plaire davantage déjà. Alors il avança à travers le champs de plantes, pouvant constater que quelques abeilles s'y étaient donné rendez-vous, avant de décider de s'y assoir. Il resta ainsi quelques courtes secondes, préférant au final s'y allonger. Son corps s'étendit alors au bout milieu de ce champs de lavande dont il ne se lasserait pas de sentir le doux parfum, tandis qu'il ferma bientôt les yeux pour tâcher de se détendre et d'oublier qu'il avait probablement fait une bêtise colossale en postulant à cette émission de télé-réalité où il n'avait clairement pas sa place. Mais voilà que le soleil qui tapait jusqu'ici sur son visage se fit soudainement discret, comme si quelqu'un se tenait debout au dessus de lui. Instinctivement, il rouvrit les yeux, mais ne distingua rien d'autre qu'une sombre silhouette. Il se redressa alors légèrement, plissa les yeux et porta sa main au dessus de ces derniers, pouvant cette fois-ci apercevoir un jeune homme qu'il n'était pas certain d'avoir déjà rencontré. Et pour cause, il se débrouillait plutôt bien pour faire oublier au reste du monde qu'il existait. « Je ... j'essayais juste de me détendre » lui adressa-t-il alors, très timidement. Allez savoir, peut être que son camarade s'était demandé ce qu'il fichait allongé au milieu du champs. Ou alors, autre possibilité, il s'en foutait éperdument. Oui, tout compte fait, c'était encore plus probable.

D'accord, il est vrai que ça n'était pas bien normal de s'allonger au bon milieu d'un champs de lavande, hm. Mais Raphaël n'avait jamais prétendu être normal, sachez-le. Il ne l'était pas et il en avait même bien conscience. Et tout ce qu'il voulait à cet instant précis, c'était se détendre en profitant d'une senteur qui lui était chère. Le reste, il s'en fichait un petit peu disons. Oui, il n'avait que faire d'être pris pour un original, pour un mec un peu timbré qui se plait à s'allonger en plein champs et à y débuter une sorte de petit somme. Il ne demandait à personne d'assister à cela, de toute manière. Et si quelqu'un n'était pas content, et bien qu'il aille se faire ... voir. Sauf que bon, il y avait quand même un petit problème. Figurez-vous qu'il venait de comprendre que quelqu'un se trouvait au dessus de lui, autrement dit que l'un de ses camarades était tout près. Cela posait problème dans le sens où il aurait pu supporter l'idée de passer pour un imbécile aux yeux du public, mais savoir qu'un jeune homme qui se trouvait juste là devait assurément rire intérieurement de son cas, ça avait déjà tendance à l'embarrasser un petit peu plus, disons. Surtout que le jeune homme en question semblait le prendre pour un passionné de lavande à son sens le plus extrême, autrement dit pour un mec capable de la sniffer par pur plaisir. Dans le fond, c'était un peu ce qu'il était, mais il avait étrangement tendance à penser que son camarade n'y pensait pas dans le même sens que lui. « Mon ... kiff ? » releva-t-il dans un premier temps, un peu désabusé. Parce que oui, messieurs dames, Raphaël avait peut être vingt-trois ans, mais il parlait davantage comme un vieux bonhomme que comme un jeune de maintenant. « Oh non, tu sais je ... je ne suis pas ... enfin ... » Oui, mais encore ? Parce que là, ça n'avançait personne, en fait. Et bizarrement, il laissa sa phrase en plan, ce qu'il avait souvent tendance à faire à vrai dire. Il poussa simplement un soupire, espérant que son camarade le comprendrait quand même. Surtout que ce dernier lui tendit la main. Curieux. Pourtant, il saisit cette dernière et se releva. Mais son camarade reprit la parole et l'embarrassa pour de bon. Le junkie aux lavandes ? C'était une insulte ? Un compliment ? Une appellation plutôt neutre ? Il préférait pencher pour la troisième éventualité. « Je suppose que je n'ai pas d'autre choix que de faire avec » reprit-il à son tour, en haussant doucement les épaules. « Mais sinon, tu peux m'appeler Raphaël. » Au cas où ça l'intéressait. Remarquez, pas sûr que ce soit le cas.

Excusez Raphaël de n'être pas suffisamment au courant des tendances linguistiques des jeunes de maintenant pour saisir le sens du mot "kiff". Au fond, il devrait pouvoir comprendre un tel mot, puisqu'il était relativement jeune et donc censé vivre avec son temps, mais ça n'était justement pas le cas. Non, Raphaël n'avait l'habitude ni de parler d'une telle manière, ni d'entendre les gens lui parler de la sorte. Il faut dire qu'il était bien trop insociable pour passer du temps en compagnie de jeunes gens qui, c'est certain, auraient justement pour habitude de parler de cette manière. En tout cas, c'était manifestement le cas de son camarade, qui devait le trouver terriblement chiant à cet instant précis. Et bien oui, sans doute trouvait-il ridicule de ne même pas être dans la capacité de saisir le sens d'un mot assurément banal dans son vocabulaire. Il lui expliqua en tout cas ce qu'il aurait du être capable de comprendre de lui même et Raphaël lui adressa un petit sourire désolé. Parce qu'il se trouvait bête d'avoir du lui demander une "traduction". Vraiment bête, hm. Il n'eut en tout cas pas le temps de répondre quoi que ce soit, car son camarade enchaina bien vite, lui assurant qu'il l'avait pris en flagrant délit et que cela lui causerait quelques soucis. Bon, Raphaël comprit tout de même que son camarade n'était pas sérieux, ne serait-ce que parce qu'un point de vue logique, ses propos ne tenaient pas la route. Là encore, il ne trouva rien à répondre, et se contenta de saisir la main de son camarade lorsque celui-ci la lui tendit. Une fois debout, il eut droit à une proposition de surnom pas franchement plaisante. Disons que "le junkie aux lavandes", ça ne lui plaisait pas plus que ça. Sans doute parce qu'il y voyait une dimension très péjorative, et qu'il n'avait pas nécessairement envie de subir ça si tôt après son entrée dans le jeu. Pour autant, il partait du principe qu'il n'était pas tellement en mesure de refuser, qu'il n'avait au fond pas vraiment le choix. Son camarade afficha alors une mine un peu attristée, ce qui eut le don de le culpabiliser légèrement. Puis il lui proposa "lavandeman", ce qui lui fit arquer un sourcil. Son camarade semblait tenir à ce surnom-ci, à en juger par sa mine suppliante. Mais tandis qu'il s'apprêta à lui faire savoir que ce surnom lui allait, histoire de lui faire plaisir, voilà que son camarade reprit précipitamment la parole pour l'inviter à se balader. « Oui, allons-y » articula-t-il alors, dans un léger sourire. « Pourrais-je mettre un nom sur une telle énergie ? » demanda-t-il ensuite, d'une petite voix. Parce qu'il venait de lui donner son prénom mais qu'il ignorait toujours le sien, hm.

Au fond, ce jeune homme ne devait pas être bien méchant. Disons qu'il ne l'intimidait pas autant que d'autres personnes, ou qu'il n'avait pas l'air de lui vouloir grand mal. C'était déjà ça, hm. Et cette idée de petite balade dans le champs de lavande n'était pas pour déplaire à Raphaël qui, clairement, avait bien envie de profiter encore pleinement de cette senteur si agréable. Il demanda alors à son camarade comment celui-ci se nommait. Car ci ce dernier semblait désireux de l'appeler Lavandeman, malgré le fait qu'il connaisse maintenant son vrai prénom, Raphaël ignorait encore tout du sien. Jean-Claude ? Hm, pourquoi pas. Il devait être français. Et ses parents devaient affectionner les prénoms un peu vieillots. Raphaël ne jugeait pas, de toute manière. Ah mais non, ça n'était en fait qu'un trait d'humour. Alors qu'aux yeux de Raphaël, cela avait paru étonnement crédible. « Non, c'est bien d'avoir de l'humour. C'est vraiment mieux que d'en être complètement dépourvu » lui signifia-t-il alors, dans l'esquisse d'un sourire. Parce qu'il aurait préféré avoir l'aisance de Sven - oui, donc, c'était Sven hein - en matière d'humour, que d'être ennuyeux comme un mort. Son camarade se montra alors quelques peu curieux. Au fond, et même si Raphaël n'aimait pas forcément parler de lui, il ne verrait aucun inconvénient à le faire. Ce jeune homme semblait plutôt bien attentionné, ça aidait à le mettre à l'aise. « Je suis suisse, je viens de Neuchâtel. Je n'aime pas grand chose, à vrai dire. Ma vie ne me plait pas, j'ai sans cesse l'impression que ce monde, cette époque, n'ont rien à m'apporter. Hm, je suis thanatopracteur de profession, dans l'entreprise de pompes funèbres de ma famille. » Tout en marchant, il posa un regard embarrassé sur son camarade. « Je ne sais pas tellement ce que tu voudrais savoir de plus. Mon âge, peut être ? J'ai vingt-trois ans. Et comme tu as du t'en rendre compte, je ... je ne suis pas de ceux qui s'expriment avec aisance et font preuve d'assurance. » Il baissa quelques peu la tête, regardant ses pieds, et poussa un petit soupire. « Parle-moi de toi, Sven » demanda-t-il ensuite, tout en relevant la tête pour recapter le regard du jeune homme. Nul doute qu'il serait plus intéressant de l'écouter que de lui parler de lui.

Ainsi donc, ce jeune homme ne se nommait pas Jean-Claude - comme l'avait naïvement cru Raphaël - mais Sven. Bien, il tâcherait de s'en souvenir, histoire de ne pas avoir à le lui redemander, et d'éviter ainsi une autre plaisanterie à ce sujet. Quoi qu'il en soit, Raphaël fut bien vite amené à parler de lui, de son lieu de vie, de ses goûts - ou plutôt de ce qu'il n'aimait pas - ainsi que de sa profession. Et justement, c'est à ce niveau là que son camarade sembla avoir un petit problème de compréhension. Et là, Raphaël se sentit bien bête. Il avait employé un mot complexe, que peu de gens devaient assurément connaitre, et qui ne parlait pas à la plupart des gens. Ainsi donc, il se sentit un peu crétin de ne pas avoir pensé, soit à développer ce en quoi consistait un tel métier, soit à trouver un synonyme. Et bien du coup, il allait faire les deux. « Le terme "embaumeur" pourrait aussi convenir. Il s'agit de s'occuper de personnes décédées, de leur apporter certains soins afin de leur permettre de recouvrer une apparence semblable à celle qu'ils ont pu avoir de leur vivant. Le but de la thanatopraxie est de préparer les défunts pour leurs funérailles, en les préservant d'un état de décomposition avancé et ainsi de permettre à leurs proches de faire un deuil plus aisé. » Parce qu'il va de soi que l'on aurait vite fait d'être traumatisé par la vue d'un corps décomposé, tout abimé. Son travail consistait justement à éviter cela. Est-ce qu'il en était fier ? Pas tellement. Disons qu'il partait surtout du principe que quelqu'un devait s'en charger, et que si cela permettait à d'autres de se sentir mieux dans le deuil, il le faisait volontiers. Ce fut ensuite au tour de son camarade de lui parler un peu de lui - à la demande de Raphaël - ce qui permit bientôt à ce dernier de se rendre compte que son camarade était extrêmement jeune, qu'il était belge d'origine, mais surtout qu'il se voyait comme celui qui parviendrait à le "décoincer". Son camarade passa alors son bras autour de son épaule, ce qui gêna partiellement Raphaël, qui pourtant se laissa faire. « Tu dis avoir l'intention de me décoincer. Ce n'est pas plutôt une façon détournée de me persécuter ? » demanda-t-il, la boule au ventre. Il ne pouvait s'empêcher de penser de la sorte. C'était chaque fois plus fort que lui. Et il en souffrait. A force, ça finissait même par lui dévorer les entrailles.