Elliot

MERCREDI 03 OCTOBRE ; 15H36
QUARTIER AUBANEL - HABITATIONS ABANDONNÉES

Perdu au milieu de tous ces vestiges, pour ne pas dire décombres, je ne savais trop sur quoi m'attarder. Le plancher était en si mauvais état que je craignais de faire un pas de trop et que ce dernier ne s’effondre sous mes pieds. Bon à priori une telle chose ne risquait pas d'arriver, la production n'aurait jamais laissé l'accès à une habitation pouvant s'avérer dangereuse pour les visiteurs décidant d'y pénétrer. Cela avait été mon cas cet après-midi. Curieux de jeter un coup d’œil dans ce qu'une maison abandonnée depuis peut-être plusieurs années maintenant pouvait encore contenir, je m'étais introduit dans l'une d'elles et y avait alors découvert, avec stupeur, que rien ou presque n'avait été déplacé. Les meubles, légèrement abîmés, demeuraient là. Mais il y avait une forte odeur de... rah impossible à décrire. Toujours était-il qu'à mesure que je me frayais un chemin à l'intérieur de cette habitation, celle-ci se faisait de plus en plus intense. C'est alors que des pas se firent entendre, juste derrière moi. Alerté, je me retournai et découvris au pas de la porte une demoiselle, dont le visage me disait vaguement quelque chose mais dont le nom, lui, était passé bien malgré moi aux oubliettes. « Tu sens ? » fis-je naturellement à l'encontre de ma camarade, désignant cette fameuse odeur que, peut-être, j'étais le seul à percevoir dans la pièce. « J'espère que personne n'est mort ici. » je poursuivis, crédule comme toujours et légèrement paranoïaque aussi. Un candidat passé par là juste avant nous avait peut-être oublié dans un coin un rognon de pomme ou un mégot de cigarette mais non, bien sûr, à ça je n'y pensai pas un instant. Je ne voyais là qu'une sombre histoire de cadavre dissimulé dans le living de ce qui était autrefois un salon. Si la jeune femme décidait de prendre la fuite maintenant, je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même.

Je me suis réveillée avec cette idée fixe que j'allais faire quelque chose d'utile pour une fois. Aujourd'hui, c'est le nettoyage de Printemps. Je m'attaque direct à la partie balayage et réparation dans les habitations abandonnées. Je mets une salopette court avec en-dessous un mini-débardeur noir. Je m'arme de mon balai et mon petit pelle, accompagné de masque pour éviter que la poussière entre par les voies respiratoires. Je marche gaiement vers le quartier Aubanel, en fredonnant un air entêtant. Je rentre. Je vois quelqu'un de dos. Il se retourne. Je lui souris et pose un regard bienveillant sur lui. - Tu sens ? Je hausse un sourcil interrogateur, puis je respire l'air ambiant. Oui, il y a comme une drôle d'odeur. Étrange. Je reconnais cette odeur, mais je n'arrive pas à le décrire. Je l'ai sous la langue en plus. - J'espère que personne n'est mort ici. Je ris. Il a l'air effrayé à l'idée de découvrir un cadavre dans un des coins de la pièce. Je me rapproche et me mets à côté de lui, je lui gratifie d'un sourire rayonnant pour le rassurer. - T'inquiètes. Je dirai que ça a l'odeur du vieux, mêlé à de la moisissure. Je me mets les mains dans les poches et siffle en balayant la pièce de mon regard. - Et bien, le travail de déblayage va être plus long que prévu. Je le fixe un instant. Je ne crois pas qu'on s'est présenté. Son nom, je le connais. Un doux prénom aux sonorités occidentales. - Malik, c'est ça. Moi c'est Elliot., lançai-je d'une voix enjouée. Je regarde de nouveau la salle dans son ensemble. On pourrait retrouver des trésors cachés par ici. J'adore les objets vieillots que je collectionne. Je leur donne une seconde jeunesse.

Une odeur suspecte et ça y est, je m'imaginais déjà tomber sur une charogne en ouvrant un placard ou une porte. Je pouvais heureusement compter sur la présence rassurante de cette demoiselle, à mes côtés, pour me signifier que non, cette odeur ne pouvait être celle de la mort. « T'inquiètes. Je dirai que ça a l'odeur du vieux, mêlé à de la moisissure. » Il était en effet probable qu'il s'agisse de ça, bien que nous n'en avions pas la confirmation non plus. Roh allez, je me faisais forcément des films et mon imagination me jouait des tours, ça n'était pas possible autrement. J'essayais maintenant intérieurement de me convaincre que non, personne ne s'était donné la mort ici, non, aucun corps n'avait un jour gisé sur ce sol, et oui, j'avais tendance à faire une montagne de pas grand chose. « Ça ne rend pas l'odeur plus agréable, tu en conviendras. » On allait finir par le savoir, hein, que j'étais indisposé par cette dernière, seulement c'était plus fort que moi, il fallait que tout le pays le sache . « Et bien, le travail de déblayage va être plus long que prévu. » Tu m'étonnes, avec tout ce bazzare, on y était encore là demain. Mais c'était excitant malgré tout de se dire qu'on pourrait éventuellement trouver, ici et là, de vieilles reliques ou des objets appartenant à une époque révolue. Tout ceci me fascinait d'ordinaire, mais c'était un peu normal pour quelqu'un nous venant du pays des momies, non ? J'esquissais un sourire tandis que la jeune femme se présenta bientôt à moi. « Malik, c'est ça. Moi c'est Elliot. » Elliot donc, connaissait le mien de nom. J'ignorais comment elle l'avait appris, mais cela n'avait pas tellement d'importance au final. « C'est bien ça, et enchanté Elliot ! » rétorquais-je gaiment. « J'aime beaucoup ce prénom. » ajoutais-je ensuite. C'était une anecdote comme une autre, sans grand intérêt là encore. Mais oui, Elliot était un prénom dont j'aimais la consonance. « Tu penses qu'en dénichant quelque part par là un bouton ou un levier, une gigantesque boule de pierre dévalera l'escalier et foncera sur nous, comme dans Lara Croft ? » Bon bon, je n'étais pas sérieux, et je pense qu'elle n'allait d'ailleurs pas tarder à s'en rendre compte. Je me mis à pouffer de rire, puis repris un ton se voulant d'avantage solennel. « Je ne sais pas toi, mais je ne peux m'empêcher de me demander qui vivait ici anciennement. C'est subjuguant je trouve. » Nous serions peut-être amenés à trouver des effets personnels appartenant aux anciens occupants de ces lieux. Si ce devait être le cas, je comptais ne rien emporter, et tout laisser à sa place. Je n'étais pas ici pour piller quoi que ce soit, et Elliot non plus, très certainement.

Malik, c'est ce gars au teint basané avec des yeux bleus incroyables. Sa couleur de peau m'indique qu'il n'est pas du type caucasien. Non, c'est plus exotique que ça. Mais je n'ai pas une nationalité particulière en tête. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il vient d'Orient. J'en suis presque sûre. L'odeur dont il faisait allusion ressemble vraiment à de la moisissure, à de l'humidité également. Ces lieux se sont dégradés au fil du temps, mais certaines choses sont restées comme par exemple, cette table en bois au centre. - Ça ne rend pas l'odeur plus agréable, tu en conviendras. J'acquiesce. L'odeur n'est pas terrible, mais il y a pire comme odeur. Les effluves me parviennent par parcimonie. On finira par s'habituer si on reste longtemps dans cette maison. Par contre, l'amas de poussière est considérable. Des particules volent à l'air libre. Il est temps du nettoyage. Je n'ai pas eu l'occasion de parler à Malik, donc je me présente à lui sans aucune cérémonie. Un sourire suffit. - C'est bien ça, et enchanté Elliot ! Sa gaieté est attractive, voire même contagieuse. Mon sourire s'agrandit quand il ajoute : - J'aime beaucoup ce prénom. Très peu de gens apprécient mon prénom réellement. Au même temps, il n'est pas très original. En fait, mon véritable prénom c'est Ella. Personne n'est au courant. On m'a toujours appelé Elliot depuis que je suis gamine. Mon père m'a donné ce surnom. Je préfère qu'on m'appelle Eli. Mais ça fait plaisir. - Tu penses qu'en dénichant quelque part par là un bouton ou un levier, une gigantesque boule de pierre dévalera l'escalier et foncera sur nous, comme dans Lara Croft ? Ou comme dans Indiana Jones. Je ris. Ça pourrait arriver mais je n'y crois pas trop. Au pire, des araignées pourraient nous attaquer à tout moment. - Ou que la plafond nous tombe sur la tête, rajoutai-je sur un ton plaisantin. Mon regard bleuté parcoure toute la pièce, à la recherche d'objets insolites. Je dépose le balaie et mets mon masque dans ma poche. J'aperçois le cadre d'une photo sur le plancher à côté d'une malle et de vieux tableaux. Je m'approche et m'accroupis. Je le prends dans ma main. - Je ne sais pas toi, mais je ne peux m'empêcher de me demander qui vivait ici anciennement. C'est subjuguant je trouve. Je hoche la tête et répond en dépoussiérant la vieillerie d'un geste : - Moi aussi. Viens voir. Apparemment, cette maison aurait appartenu à cette famille. J'examine attentivement la photo. Des visages souriants. Une famille qui semblait unie. Je pose un regard attendri sur cette photo en voyant combien ils avaient l'air heureux tous ensemble. - Tu viens d'où, Malik ? T'as des frères et soeurs ?, lui demandai-je d'une voix mélancolique en ne quittant du regard le précieux artefact d'un temps révolu. Je repense à notre propre portrait de famille qui trône majestueusement à l'entrée du couloir. C'est là que je me rends compte combien la maison me manque.

Cette odeur n'était pas non plus nauséabonde, mais la renifler n'avait vraiment rien d'agréable. Néanmoins je décidai de passer outre celle-ci, et peu à peu je me sentais de moins en moins incommodé. Une question d'habitude sans doute. Quant à la fameuse maison dans laquelle nous venions de pénétrer, je nous voyais déjà face à une gigantesque boule de pierre fonçant droit devant nous, façon Lara Croft. « Ou que la plafond nous tombe sur la tête » répliqua-t-elle. Dans le premier cas comme dans le deuxième, nous étions mal barrés. Alors nous n'avions qu'à nous en tenir au toucher avec les yeux, afin de ne pas poser le doigt sur n'importe quoi. Seulement Elliot semblait décidée à farfouiller ici et là, et bientôt elle fit une découverte, tandis que je me questionnai sur les anciens habitants de ces lieux. « Moi aussi. Viens voir. Apparemment, cette maison aurait appartenu à cette famille. » Je m'approchai furtivement d'elle, Elliot tenait entre ses mains un cadre, plus précisément la photo d'une famille visiblement heureuse. Je m'imaginai alors les moments que ces parents et enfants avaient pu passé au sein de cette présente demeure. Allez savoir pourquoi ils n'habitaient plus ici désormais... D'un autre côté la photo semblait tout de même un peu dater. « Tu viens d'où, Malik ? T'as des frères et sœurs ? » Je pouvais me rendre compte, à l'entente de sa question et de la façon dont elle me la posais, qu'Elliot était comme bouleversée par la trouvaille qu'elle venait de faire. Cette photo ne la laissait clairement pas indifférente, et moi non plus d'ailleurs. « Initialement d’Égypte. Je vis désormais à Londres. Et oui, j'ai un frère jumeau. » Et c'est à cet instant précis que je réalisai qu'en fait, Abdel me manquait. Je pensais qu'être tenu éloigné de lui quelques temps ne me ferait rien de particulier, et que je serai content de le retrouver ensuite, sans plus quoi. Mais en fin de compte j'étais perdu sans lui, moi qui avais toujours vécu à ses côtés. Il était un peu ma moitié, une moitié dont je me retrouvais maintenant séparé, et je ne le vivais pas aussi bien que je l'aurais pensé. Mais je n'aimais pas monopoliser la conversation en ne parlant que de moi, si bien que bientôt je m'intéressai à mon tour à ma camarade, dont je ne connaissais au final que très peu de choses. « Et toi Elliott, d'où viens-tu ? De la famille, également ? » lui demandais-je alors tout en reportant une nouvelle fois le regard sur la fameuse photo de famille. Ah mais que ferions-nous sans nos proches, je vous le demande. Voyez combien l'éloignement peut être difficile à supporter, même après seulement une semaine et demi d'aventure.

Cette maison avait une âme autrefois. Maintenant, elle n'est que ruine. Les vestiges d'un temps révolu, d'un passé champêtre. Les gens qui y vivaient sont soit partis soit morts tout simplement, laissant derrière eux des souvenirs de leur passage. Des reliques me rappelant l'importance d'un foyer, d'un chez soi. Lors de mes années sur la route, j'ai oublié que c'était d'être en famille, d'avoir des personnes qui t'attendent pour le dîner. C'est avec un certaine mélancolie que je fouille ici et là pour retrouver des trésors perdus, oubliés. Mes recherches m'ont mené à une cadre photo poussière. J’époussette le cadre avec soin et observe la photo en silence. Des souvenirs m'envahissent peu à peu. J'ai le cœur qui se serre. Mes proches me manquent. C'est ridicule ; ça ne fait que deux semaines. Pourtant, je ne peux m'empêcher d'éprouver une certaine nostalgie. Je demande à mon camarade son pays d'origine en lui tendant la photo de famille pour qu'il l'observe à son tour. Il répond : - Initialement d’Égypte. Je vis désormais à Londres. Et oui, j'ai un frère jumeau. L'Egypte, le pays d'illustres pharaons. Il est loin de chez lui. La distance doit être encore plus difficile surtout pour des jumeaux. Après, je généralise peut-être un peu trop. Tous les jumeaux ne réagissent pas de la même manière. Certaines peuvent se passer de l'un et de l'autre alors que d'autres sont inséparables. Tellement inséparables qu'ils en crèveraient presque d'être séparés. Une relation fusionnelle qui rappelle celle que je partage avec la petite dernière de la famille. - Et toi Elliott, d'où viens-tu ? De la famille, également ? Perdue dans mes pensées, je fixe intensément le parquet. Je mets les mains dans ma poche. Je lève la tête et la penche légèrement en arborant un sourire rêveur. - Les Etats-Unis, dans l'état de la Californie - à Los Angeles. J'ai grandi près de la mer, entouré de musique et de cinéma. J'y vis toujours. C'est la ville où je me sens le plus chez moi. J'ai trois soeurs : Harlan, Devon et Jimmie. Elles me manquent. Ma mère me manque. Mon père ... aussi ... Ses mots n'arriveront jamais à sortir de ma bouche. Je n'arrive pas. Je ne veux pas le formuler à voix haute. J'ai le ventre qui se noue, je baisse les yeux. - Ton frère te manque aussi, n'est-ce pas ? Comment s'appelle-t-il ? Tu ne te sens pas un peu seul à Londres ? Je pose peut-être trop de questions. J'ai limite l'impression que je l'agresse là. C'est un moyen pour moi de penser à autre chose. Surtout qu'il a l'air gentil comme garçon.

Nous nous trouvions présentement au sein d'une maison anciennement habitée par une famille dont nous venions tout juste de dégoter une photo d'époque. L'occasion pour Elliot de m'interroger sur la mienne de famille, et sur mes origines. J'évoquai donc l'Egypte, l'Angleterre et enfin mon frère jumeau. Puis je lui demandai d'où est ce qu'elle venait, et si elle avait aussi de la famille. « Les Etats-Unis, dans l'état de la Californie - à Los Angeles. J'ai grandi près de la mer, entouré de musique et de cinéma. J'y vis toujours. C'est la ville où je me sens le plus chez moi. J'ai trois soeurs : Harlan, Devon et Jimmie. Elles me manquent. Ma mère me manque. Mon père ... aussi ... » Je la sentis comme susceptible de se refermer sur elle-même à tout instant. Parler de son père était-il tabou ? Car parler du mien l'était, et sans trop savoir pourquoi je me reconnus un peu en elle, sur le moment. Pas question de la forcer à en parler, j'aurais détesté qu'on m'y oblige de mon côté, alors autant converser à propos d'autre chose hein, c'était mieux, pour l'un comme pour l'autre. « Ton frère te manque aussi, n'est-ce pas ? Comment s'appelle-t-il ? Tu ne te sens pas un peu seul à Londres ? » Woupla, une question à la fois non, c'était possible ? Ah bon, bah heureusement que j'avais une assez bonne mémoire pour me souvenir des trois questions enchainées par la demoiselle. Tout d'abord, il était question de mon frère je crois, qui, effectivement, me manquait beaucoup c'est vrai. « Oui, je me rends compte depuis que je suis ici à quel point me retrouver loin de lui est éprouvant. » Ce qui devait se justifier par le fait que nous étions jumeaux et que notre lien était plus fort encore que ceux de frères d'âges différents, je présume. Nous avions tout vécu à deux jusqu'ici : la grossesse, la naissance, les coups durs, les grandes joies. Pour la première fois je me trouvais éloigné de lui, et je ne pensais pas que cela serait si difficilement surmontable. Il devait se foutre de moi en me voyant l'avouer comme ça, devant les caméras, et il était de toute façon trop fier et trop humble pour reconnaitre que lui aussi était un peu perdu loin de moi. J'étais juste celui des deux qui exposait ses sentiments, tandis que mon frère gardait tout pour lui. « Et il s'appelle Abdel. » ajoutais-je, avant de n'entreprendre de répondre à sa troisième question. « À Londres non, ici oui. Là-bas, je vis avec ma mère et mon frère vois-tu. Ce dernier quittera la maison sous peu mais en attendant, on vit tous les trois ensemble car je n'ai pas les moyens de m'offrir un petit chez moi. Pas avec le salaire dérisoire que je touche. » Il fallait être réaliste, se loger à Londres n'était pas tâche facile, surtout quand on touchait peu d'argent en fin de mois comme c'était mon cas. Nous avions déjà eu du mal à nous payer un logement à notre arrivée en Angleterre, toutes les économies de la famille y étaient passées, alors j'allais devoir attendre de m'enrichir un peu avant d'envisager une vie en solo, dans un appartement rien qu'à moi. Et puis je redoutais quand même un peu de devoir quitter le foyer pour vivre seul. Moi qui m'étais toujours trouvé entouré de mes proches. « Tu vis seule toi aussi ? » lui demandais-je ensuite, un peu curieux c'est vrai mais avant tout demandeur d'informations la concernant. Elle pouvait très bien vivre en collocation... ou même en couple allez savoir.