Je n'aimais décidément pas les cimetières. Ressasser le passé était une activité qui ne me plaisait pas, une activité que je trouvais inutile, lassante. Alors, pour tuer le temps, j'essayais de dompter les lieux, j'essayais d'apprendre à aimer, à défaut de pouvoir y arriver. Je parcourais des yeux les noms, les dates, les fleurs fanées ainsi que tous ces petits détails qui faisaient d'une mort une sorte d'ultime recueillement. C'était inutile. Les morts étaient morts, et tenté qu'ils puissent encore nous entendre, ne le voulait très certainement plus. Ils avaient échappé à une vie merdique, évité le vomis des trottoirs, les factures, la politique, la drogue et tout ce qui faisait du monde un connard à part entière. L'être humain n'était pas bon, bien entendu, et j'étais presque certain que la plupart des gens s'en rendaient compte, une fois leur vie écoulée. Je n'en étais moi même pas encore là, non, ou du moins n'en avais pas encore conscience. Alors, je me contentais de parcourir des yeux, toutes ces vies gâchées, résumées en de simples pierres pour leur prouver qu'ils n'avaient au final eu aucun impact sur le monde en lui seul. Certains avaient le droit à des caveaux, plus riches, plus solitaires, plus tristes. Des anges dessinés sur ceux ci, comme si l'humain qui avait construit cette statue était certain que le mort qui allait être jugé en dessous était digne de la porter. Stupide. J'entends alors une voix, je ne me retourne cependant pas, la reconnaissant. Sven. Etrange n'est ce pas ? Pourtant elle me semblait familière et ce avant même que je n'ai pu lui adresser un seul mot. Certainement que ses jacassements lors du prime ne m'avaient laissé qu'un souvenir trop imposant. « Envie de compagnie, peut-être ? » même sans lui à mes côtés, je me serais senti plus accompagné que toutes ces pierres entassées. « Pourquoi pas. Tu serais bien capable de te perdre, tout seul ici. » je me retourne alors, pensant croiser ses yeux. Mais la pénombre est encore trop épaisse. « Envie de communiquer avec les morts, Sven ? »

Pour tout vous dire, je ne savais vraiment pas ce qu'il m'attendait. Peut-être avait-il eu vent de ma dernière conversation avec son compagnon, Joshua. Très certainement même. Oui, c'était maintenant sûr. « D'accord. Tu te fais une opinion sans matière pour juger, disons ça oui, que je pourrais me perdre, si ça te chante. » opinion sans matière à juger ? Il était là, en pleine nuit dans un cimetière. A moins de me chercher, c'est qu'au fond, il était tout aussi perdu intérieurement que je pouvais parfois l'être. Mais je ne relevais pas, me contenant de le regarder s'exciter comme une puce, presque impatient d'entre encore un mot de plus, toujours un mot de plus. « Non, en fait, je suis censé être à ton service. Alors, je te suis partout durant cette semaine même si tu me fous carrément les jetons, t'as la gueule d'un cadavre tatoué qui irait droit à la morgue. Et donc j'te suis pour exécuter tes moindres désirs, comme l'angelot le veut. Ton prochain désir je peux presque le deviner, c'est que je ferme ma gueule non? » qu'il fasse la roue, puis un triple saut périlleux arrière, se réceptionne mal et s'éclate la tête contre une pierre tombale. Oui, j'imaginais tellement bien la scène. Mais oui, en effet, quelque part, je traquais le silence. « Mais celui-là, même avec tout l'or du monde, tu n'y arriverais pas, malheureusement. » oh et puis « Et juste pour l'info, ton petit jeu avec Joshua n'aboutira jamais. » je l'observe un instant. Il n'est pas petit de taille, pourtant j'ai l'impression de faire face à un enfant, ce qui est tout à fait étrange. Je n'avais jamais croisé de personne comme lui, peut-être parce que je les évite. Peut-être parce que je vis dans un monde productif, un monde d'adulte désormais. « Tu as fini ? » mon ton est calme, neutre, détaché. « Tu ne connais que ta version de la vérité. Tu juges également sans connaitre, on le fait tous. Nous sommes humains. Et mes paroles n'étaient pas faites pour te blesser. Non, cependant, tu es là pour me blesser, moi. » je porte alors ma cigarette à ma bouche, ne tardant pas à y mettre feu avant d'en recracher la fumée. « La vérité est que je ne t'en tiendrai pas rigueur. Tu peux bien me surnommait de cadavre tant que ça te chante, je reste honnête. Il n'y a aucun jeu entre ton petit ami et moi. Tout simplement parce que j'ai bêtement trop de respect pour toi pour tenter quoi que ce soit. Vois comme les choses sont ironiques maintenant que tu commences à m'insulter, Sven. »