Lulu

MERCREDI 10 OCTOBRE ; 19H06
QUARTIER D'ARAGON - LAVERIE AUTOMATIQUE

L'inconvénient lorsque l'on vit en communauté, c'est très certainement... L'aspect "communauté". Douches publiques, lit à deux, frigo à trente... ouais... Ça pouvait vraiment devenir problématique lorsque, comme moi, vous préfériez tuer le temps à dessiner plutôt qu'à parler, vivre avec tout un tas de gens dont vous ne connaissiez même pas l'existence il y a de cela quelques mois. C'est un tremplin relationnel comme un autre, certes, mais je n'étais pas là pour ça. Je n'étais pas là pour me faire des potes, qu'ils m'aiment, tant mieux, qu'ils ne puissent pas me voir, tant pis. Enfin, vous imaginez bien, je ne suis pas non plus du genre à refuser une conversation, préférant attraper le taureau par les cornes. Ce soir encore, je faisais les frais d'une vie en communauté trop prononcée à mon gout. Laver ses vêtements étaient une vrai combat. Sachez que j'avais horreur du sale. Certains pourront donc être étonnés, attachants le côté "tatouages, vêtements pas toujours en bon état/un morceau" comme quelque chose de sale. Mais non, bien au contraire, c'était un style comme un autre et celui ci s'entretenait. Ainsi, j'avais pris l'habitude de passer deux fois à la douche par jour, de laver mes vêtements deux fois par semaine et de changer de tenue tous les jours, choses il me semble normales, non ? A mes yeux, elles l'étaient tout du moins. Corbeille sous le bras, je pénétrais alors dans la pièce, saluant d'un signe de tête le candidat qui s'y trouvait déjà. Je posais alors le conteneur sur une des machines alors que le jeune homme prenait la parole. Il ne me semblait cependant pas lui avoir déjà parlé jusqu'ici. « Lulu aurait-il perdu ses... » mes yeux se plissent un instant avant de se poser sur celui ci. Vraiment ? Remarquez, j'ai entendu bien pire. « Malik. » le saluais-je, comme pour lui préciser que son identité ne m'avait pas échappé. Je ne le connaissais pas, mais avais déjà pu l'observer, comme bien d'autres. Un blanc s'installe. J'ouvre la seconde machine pour y glisser une à une mes affaires. Mais finalement, celui ci reprend la parole. « Bon, je crois qu'il faut que tu saches que je t'observe depuis le début de l'aventure sans oser t'aborder. C'est bête hein, mais tu m'impressionnes je crois. Enfin voilà, maintenant c'est fait, j'suis content de moi. » l'impressionner ? Allez savoir pourquoi, je ne pensais pas que je pouvais impressionner quiconque dans cette aventure. « Désolé mais tu n'as pas à l'être. » j'hausse les épaules et me relève après avoir glissé un de mes hauts dans la machine en face de moi « Les gens attachent bien trop d'importance à l'apparence. Je suis comme n'importe qui. Je suis accessible. » ou du moins, c'est ce qu'il me semblait. Peut-être me trompais-je ? D'ailleurs, mon ton se voulait tout à fait calme et posé, comme pour lui expliquer, et non pas pour l'effrayer.

Oui, il n'était pas le premier à me signaler que je 'effrayais, d'ailleurs, vous découvrirez un peu plus tard que sa partenaire, Nicole, n'avait pas l'air de me trouver physiquement aimable non plus. Mais que voulez-vous, je ne laissais personne indifférent, et c'était très certainement cela qui faisait un tout. Certains me trouvaient mystérieux à souhaits, d'autres juste effrayant. La réalité était que je ne me trouvais rien de tout ça. Ce n'était qu'une image extérieure. J'étais accessible. Alors certes, je n'étais pas non plus quelqu'un de particulièrement bavard, ni de particulièrement sociable. Non, j'étais créatif. J'aimais parfois m'enfermer dans ma bulle, quitte à louper une à deux soirées communes. Peut-être que cela en gênait certains, mais j'avais ce besoin là, cette nécessité que de me retrouver, et de n'avoir à être jugé par personne d'autre que moi même. Jugement certainement encore plus coriace encore. Cependant, je n'étais plus étonné. Je n'étais plus étonné par ces réactions effrayée à mon égard, à ces mères pensant que je ne suis que racaille. La vérité est que personne ne sait rien de ma vie. La vérité est qu'ici comme en dehors, les gens continuent de juger sans savoir. Alors bien évidemment, je laisse courir, parce que cela ne m'intéresse pas que de leur faire changer d'opinion à mon sujet. Après tout, certains pratiquent l'expression de "la première impression est la bonne" alors pourquoi devrais-je changer pour eux ? Je n'ai pas à m'adapter, à rentrer dans les normes, me sentir mal pour leur propre bien. Alors, je choisis de vivre, quitte à en déranger, à en effrayer quelques uns. Je ne pense pas être pour autant quelqu'un de menaçant. « Pourtant je... je trouve que tu dégages quelque chose de... hostile,... mais comme tu dis c'est le look qui fait ça. » Je poussais un léger soupir, réunissant mes vêtements pour les placer deux par deux dans la machine. J'avais des tocs, ce genre de manie, de rituel qui, si il n'est pas appliqué, vient à déranger une vie. Je me devais de plier les vêtements, et ce en toutes circonstances. Ainsi, ma corbeille était tout à fait bien rangée. « C'est parce que tu n'as pas l'esprit encore assez ouvert. » me contentais-je de répondre. Peut-être que cela allait le vexer, mais je ne voyais pas l'intérêt que de simplement approuver. Autant lui faire remarquer son erreur pour qu'il tente par la suite de la corrigée. Je n'avais rien contre lui, non, je le trouvais même plutôt agréable. « Dis, t'as beaucoup de tatouages... ils ont une signification particulière, ou ?... » je me relève de nouveau, tendant légèrement mon bras pour en scruter quelques instants ses inscriptions avant de le rabaisser. « Ces tatouages retracent en grande partie ma vie. » ma renaissance. « Une sorte de journal intime, si tu préfères, en un langage cependant plus artistique. » je pose alors mes yeux sur le jeune homme « Et toi ? Qu'est ce qui te permet de te souvenir de chaque moment ? »

Oui, il est vrai que j'avais pris l'habitude d'être jugé sur mon apparence, ce qui n'avait rien d'étonnant, puisque dès que quelque chose venait à sortir de l'ordinaire, il s'en suivant en général nombre de critiques. C'était comme ça, l'humain était parfois quelqu'un de plutôt critique, ne pouvant s'empêcher de comparer cela a une norme, sa norme. Moi, je n'entrais généralement dans aucune des leurs, alors il était bien logique que j'en reçoive les différents avis. Au moins, je ne laissais personne indifférent, bien que ce dernier point ne m'importait que très peu. « Tu n'es pas le premier à me le reprocher. Et certainement pas le dernier à le penser. » cependant, ma précédente phrase n'avait pas été formée pour être une critique, non, ce n'était qu'un constat, à prendre ou à laisser. Après tout, il pouvait bien penser ce qu'il voulait, et ce comme n'importe qui, je n'étais pas apte à contre dire ses pensées, puisqu'après tout, chacun était libre de faire ce qu'il voulait, penser comme bon lui semblait. Alors, je tournais les pages, inscrivant mon passé, mes pensées, mes envies sur mon corps, encrant chacun de ces messages. « Moi, et bien... je ne peux compter que sur ma mémoire et les souvenirs emmagasinés depuis des années. Pour le moment elle ne s'avère pas trop défaillante. » c'est ce que je faisais, au début, avant de penser qu'un jour, j'en viendrai à tout oublier. Et ça, c'était bien la dernière chose que je souhaitais. Passer mes yeux sur ces tatouages traçait mon vécu. « Si demain il t'arrivait quelque chose d'extraordinaire, je sais pas, si par exemple tu gagnais cette émission... cela donnerait lieu à un nouveau tatouage ? » gagner l'émission n'avait rien d'extraordinaire à mes yeux, bien que je ne pensais pas arriver jusque là bas. Non, cependant je me permettais de ne pas lui faire remarquer, peut-être pour qu'il ne le prenne pas mal, peut-être pour n'être simplement pas mal vu par le jeune homme. « Certainement oui. » me contentais-je de répondre, en une évidence absolue. « Je suis convaincu que chacun doit stocker ses souvenirs quelques part. A travers un appareil photo, un journal comme des croquis. »