Jared

LUNDI 08 OCTOBRE ; 13H02
QUARTIER D'ARAGON - LAVERIE AUTOMATIQUE

« Attends, je rêve ou t'étais en train de... » Je fais des yeux ronds en voyant Malik et avale d’un trait ce que j’ai en bouche. Je fronce les sourcils, j’étais en train de ? « ... piquer dans le bocal à cornichons ?! Non, ce n'est quand même pas toi !! » Attendez, quoi, ce bocal était réservé ?! Ah mais si j’avais su, je n’y aurais pas foutu mes doigts, hein. Finalement, il s’explique. Longuement. Et au fur et à mesure de son explication je sens un fou rire pointé le bout de son nez, mes lèvres s’étirent en un sourire moqueur que j’ai du mal à retenir et rapidement je me met à rire si fort que j’en ai mal au ventre. Je rigole comme ça pendant quelques minutes avant de m’arrêter et de lui jeter un regard toujours amusé. « Alors, oui, j’aime bien les cornichons. De là à en avoir une passion ou un amour inconditionnel… Non. » Non mais attendez, Malik avait un sacré grain quand même. Je sais pas à quoi il carbure, mais j’en veux bien. « Dans l’épicerie c’était Rumer et figure toi que moi aussi je remets parfois un pot dans le frigo. » Non mais, c’est que je pensais à lui hein, ouais je sais c’est mignon mais en fait c’est pas que pour ça que j’en remets, c’est parce que moi aussi j’en mange. J’attrape le pot de cornichons sur le comptoir et le lui tends. « Aller viens, partageons les cornichons de la paix. » Dis-je en riant encore. « Alors raconte, c’est un plat national en Egypte ou… ? D’où te viens cette passion, cet amour dévorant – et c’est le cas de le dire – pour les cornichons ? » Demandais-je, réellement intéressé. Ah ouais peut être que moi aussi j’avais un grain ?

« Rumer, la fille aux cheveux roses qui a... Nicole, tout ça... Je vois. » Je hoche la tête. « Oui la guerre de nos deux partenaires est d’ailleurs particulièrement sanglante, tu ne trouves pas ? » Promis un jour j’arrêterai avec les jeux de mots stupides mais franchement, je ne pus retenir un petit ricanement avant de, finalement, lui tendre les cornichons de la paix qu’il sembla accepter mais il ne plongea cependant pas ses doigts dans le pot pour en sortir un cornichon. Finalement je lui demandai d’où lui venait cette passion pour les cornichons, si c’était un plat national en Egypte ou si il y avait une autre explication. Manifestement, c’était autre chose. « Quand j'étais môme mon père m'a appris que l’Égypte n'était pas seulement un pays producteur de céréales, qu'on y cultivait aussi le concombre et le cornichon. Mais à l'époque je connaissais pas, moi, les cornichons, alors il m'en a fait goûter un... et depuis je ne peux tout simplement plus m'en passer. » Je souris, avant de remarquer son air abattu et son regard ancré sur le sol. Je fronce les sourcils et pose ma main sur son épaule. « Ca va ? » M’enquis-je, j’aimais bien Malik alors si il avait besoin de parler bah je serais là pour l’écouter. Très honnêtement ce n’était pas mon genre mais ce n’était pas plus mon genre de laisser quelqu’un dans la m.

Le candidat rit un peu à mon jeu de mot pourri, au moins c’était drôle ! J’étais fière de moi là pour le coup mais c’en était finit du sujet Rumer/Nicole, les deux jeunes femmes et surtout leur conflit ne nous regardait pas de toute manière. Le candidat parla alors de son père et sembla perdu dans des pensées sombres, je lui demandai alors tout naturellement si ça allait. Je n’aime pas voir des gens au plus bas, c’est déprimant, c’est horrible de constater la plus grande faiblesse d’un homme. « Quoi ? Ah, oui ! Oui oui ça va je... c'est rien, c'est juste que certaines choses ne sont pas toujours faciles à évoquer. » Je hoche doucement la tête, je vois, nous avons tous nos faiblesses et nos sujets tabous. Je ne répondis rien, de peur de dire quelque chose de travers et à la place je pris un cornichon dans le bocal et le mangeai le plus silencieusement possible bien que le cornichon craquait sous mes dents. « Y'a quoi selon toi après la mort, Jared ? » Waouw ! Si je m’attendais à ça ! Je passai une main dans ma nuque, les yeux ronds comme des billes. « Je ne suis pas croyant, mais je pense qu’une fois mort on se réincarne. » Ouais, vraiment, c’est ce que je pense. « Pas forcément tout de suite et uniquement en homme. Je pense que c’est pour ça qu’on peut avoir, par exemple, une certaine affection pour un pays où on a même jamais été. J’avais une fois entendu une histoire d’une française qui était passionnée par le Japon. Elle a appris la langue assez vite, en deux ou trois ans et avait un accent parfait, selon les japonais c’était même un accent typique d’une petite ville. Et figure toi qu’il y a eu un tremblement de terre là-bas un an avant la naissance de cette fille, elle avait même des souvenirs d’une vie au Japon. Donc voilà, ce genre d’histoires ça me fait croire des trucs pareils. Mais j’ai pas la science infuse, qui sait ce qu’il y a après la mort, hein ? » Fis-je en haussant les épaules. Personne ne sait.

« Je tends à croire que la mort est la fin d'une vie, et le début d'une autre. En fait je pense que ça me rassure de penser ça. » Je hoche la tête, en fait il pense un peu la même chose que moi non ? Si je comprends bien, c’est le cas, il le dit juste autrement. « Remarque, aucun défunt n'est jamais revenu pour nous dire ce qu'il y avait après la mort. » Ajouta-t-il, je hochai la tête, forcé d’admettre qu’il avait raison. « C’est clair. Ca serait pratique, remarque… » Je me pris à rêver d’un monde où toutes nos questions trouveraient des réponses, j’en avais tellement, des si compliquées que ce monde me semblait être plus qu’une utopie : un besoin. Le candidat se servit finalement d’un cornichon et le croqua en posant son regard sur moi. C’était perturbant. « Dis, Malik… » Dis-je en levant les yeux vers lui. Chacun son tour pour les questions étranges. « Tu m’as dis que tu étais ici pour trouver l’amour mais… Tu penses vraiment que c’est possible ? Toutes les femmes ici ont l’air tellement… Intéressées. Par le jeu, uniquement, tu penses que l’une d’elle pourrait être sincère avec toi ? » Si ça se trouve je me trompais aussi et il aimait les hommes mais il n’avait pas vraiment l’air d’être de ce bord-là. Remarque, c’est pas forcément toujours écrit sur la tête des gens. Et puis je parlais des filles mais il y en avait deux trois qui avaient l’air sincères mais celles-là me semblait peu enclines à tomber amoureuse. En prenant un nouveau cornichon une dernière réflexion me traversa l’esprit : pourquoi est-ce que je lui avais posé cette question ? Sans doute pour faire une brin de causette…